Décryptage. Par plusieurs interventions aux niveaux tant fédéral que cantonal, l’UDC met en doute la loyauté des personnes naturalisées.
C’est une offensive en règle que lance l’UDC dans le but de supprimer la double nationalité. Au Conseil national, le Saint-Gallois Lukas Reimann a déposé une motion non encore traitée en plénum. De plus, dans trois cantons alémaniques, des députés UDC ont sollicité leur gouvernement pour qu’il intervienne à Berne.
Yvette Estermann (UDC/LU) est touchante lorsqu’elle affiche son patriotisme helvétique, d’autant plus que son accent trahit encore ses racines. «La démocratie suisse, unique, est semblable à une fleur qu’il faut arroser soigneusement», écrit-elle sur son site internet. Née en Tchécoslovaquie, cette Lucernoise d’adoption grandit dans une famille farouchement anticommuniste, puis suit son futur époux en Suisse, où elle arrive en 1993. Titulaire du passeport à croix blanche six ans plus tard, elle est élue conseillère nationale en 2007 et renonce à solliciter de nouveaux documents à Bratislava, devenue entre-temps la capitale de la Slovaquie. «J’entends souvent dire que les Suisses sont désavantagés par rapport aux binationaux, qui peuvent voter dans deux pays.»
Yvette Estermann – comme Toni Bortoluzzi (UDC/ZH) d’ailleurs, dont le père est Italien – n’a donc pas voulu de la double nationalité, qui lui aurait permis d’accéder à la citoyenneté européenne. Logique pour ces politiciens qui militent dans le parti le plus eurosceptique de Suisse. Celui-ci ne cesse de revenir à la charge pour obliger les personnes fraîchement naturalisées à abandonner le passeport de leur pays d’origine. «La double nationalité peut générer des conflits de loyauté à l’égard de l’un ou l’autre des Etats. Elle offre aussi des possibilités étendues d’abus de prestations sociales», argue Lukas Reimann dans sa motion.
Dans les cantons de Bâle-Campagne, de Nidwald et de Zoug, on s’inquiète aussi. «Les doubles nationaux s’identifient encore trop à leur ancienne patrie, ce qui retarde leur intégration», regrettent les députés UDC zougois Thomas Werner et Beni Riedi.
Dans sa réponse à Lukas Reimann, le Conseil fédéral refuse d’entrer en matière. «Depuis son introduction en 1992, la double nationalité n’a débouché sur aucun problème pratique majeur. Elle reflète notre démocratie consensuelle et témoigne de la capacité de la Suisse à intégrer différentes cultures.»
Anachroniques
A l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), on peine aussi à comprendre le sens de la démarche de l’UDC. Plus de 750 000 Helvètes vivent à l’étranger, dont 70% sont binationaux. Qu’adviendrait-il pour leurs enfants à leur naissance? «Toutes ces interventions sont anachroniques à une époque où les flux migratoires ne cessent de se développer», relève Ariane Rustichelli, codirectrice de l’OSE. Autre chiffre révélateur: en 2014, 36% des unions scellées en Suisse ont été des mariages mixtes «fabriquant» automatiquement des petits êtres binationaux.
A Berne, on ne tient pas de statistiques sur les élus binationaux des Chambres, mais on les estime à une quinzaine. La plupart d’entre eux s’offusquent des velléités de l’UDC. Ainsi, Ada Marra (PS/VD) revendique son identité plurielle. «Comme d’habitude, l’UDC veut faire une distinction entre les vrais Suisses de souche et les autres en créant une nationalité à deux vitesses.» La socialiste n’a pas du tout envie d’abandonner son passeport italien. «C’est une question de loyauté envers mes parents. Il n’est pas question pour moi de rompre ce lien.»
Même son de cloche chez Jacques Neirynck (PDC/VD), titulaire de trois nationalités (belge, française et suisse). «Toutes ces initiatives ne sont qu’une gesticulation idéologique de l’UDC pour rassurer son électorat en Suisse alémanique. En fait, elles ne font au contraire que retarder l’intégration des étrangers, qui forment un quart de la population suisse.»
En matière d’intégration, le doyen du Parlement est intarissable, surtout à propos de sa propre naturalisation dont la procédure a duré vingt-quatre ans. En participant régulièrement à des émissions de la RTS, ce professeur belge était devenu encombrant, trop bien intégré en quelque sorte. Raison pour laquelle on lui a refusé la nationalité suisse dans un premier temps!