Dans une partie excentrée du Marais, un quartier fait fureur. Portrait d’une faune.
C’est une composition où tout semble avoir été pensé dans le moindre détail. Où chaque élément est comme à sa place et contribue à l’équilibre général. Un pour tous, tous pour un. La galerie d’art contemporain, l’hôtel de charme, la librairie, le vendeur de jambon noir de Bigorre, l’importateur de meubles nordiques, le photographe, la sandwicherie mozzarella. Et puis aussi le bar à tacos, le comptoir d’empanadas, le chausseur hispter, le coiffeur, le marchand de vin et le bougnat. Sans oublier la boulangerie, le styliste de prêt-à-porter et les primeurs du jardin. Mais, forcément, on en oublie, tant il y a de commerces de bouche de qualité et de boutiques du meilleur goût. Rien de cela n’existerait vraiment sans les cafés, chacun dans sa partie, chacun dans son style. Grâce à eux, le «village» est vivant. Vous êtes dans un endroit bien précis du Marais, certainement le lieu le plus tendance de Paris.
Eloignez-vous donc de Saint-Paul, cœur grouillant du «Marais historique», et dirigez-vous vers la rue de Bretagne, aux trottoirs récemment élargis et plantés de micocouliers, sortes d’ormes déjà hauts et abondamment feuillus. «C’est le quartier où il faut être aujourd’hui», se félicite le maire du IIIe arrondissement, Pierre Aïdenbaum, qui veille sur ce petit miracle de l’entreprise humaine. On a l’impression d’une villégiature tout au long de l’année. Les noms des rues ont un côté «campagne», façon vieilles provinces françaises: de Beauce, de Saintonge, de Poitou, de Normandie, de Picardie… Ces dénominations remontent au règne d’Henri IV. Elles rappellent les terres d’origine des nobles de l’époque, qui se firent édifier des demeures pareilles à de petits châteaux, les fameux hôtels particuliers, encore debout.
Une promiscuité choisie
C’est dans cette architecture aux réminiscences XVIIe, avec ses façades blanchies à la chaux, que s’épanouit aujourd’hui une faune qui, pour baigner dans un passé recomposé, n’en est pas moins ancrée dans le présent le plus actuel. Sans trop se tromper, on dira que la population est bobo et pour partie tout à fait aisée. Gens de prod et de mode. Metteurs en scène, comédiens de théâtre, acteurs de cinéma. On y aperçoit Florence Foresti promenant son chien quand elle n’est pas en tournée, Carole Bouquet achetant d’anciennes cartes postales, Jalil Lespert marchant portable à l’oreille, Jean Dujardin se fournissant en cigarettes, Marion Cotillard au restaurant. Personne ne s’aviserait de leur demander un autographe, ce n’est pas le genre. Car tout cela est assez snob mais se veut surtout très cool. Chacun est au fond l’égal de l’autre, comme on peut l’être l’été dans le Luberon, le propriétaire d’un 4x4 ne valant pas plus que le petit mécanicien du coin remplaçant une durite.
Le marché des Enfants-Rouges, au 39 de la rue de Bretagne, est emblématique de cet esprit «vacances». Sauvé de l’abandon au début des années 2000, il est, avec ses quatre siècles d’existence, le plus vieux marché de Paris. Il doit son nom à un orphelinat dont les pensionnaires étaient vêtus d’un habit rouge. Aujourd’hui, on y vient pour manger, principalement le midi, assis sur des bancs dans une promiscuité choisie. Tout est bio ou presque. Alain et ses sandwichs rencontrent un grand succès. L’italien – un vrai – ne désemplit pas. Il y a toujours la queue au marocain. L’antillais régale de ses acras, le japonais de ses bentos. Mention spéciale au stand burgers.
Les touristes étrangers qui le fréquentent adorent ce lieu. Beaucoup d’Américains, d’Anglais, d’Australiens, de Japonais. Fiona, attablée à l’italien, vient d’envoyer un texto à son mari. Elle est heureuse de lui dire qu’elle a trouvé «un coin d’Australie à Paris». «Ça change des french bistrots traditionnels», dont elle juge l’étiquette parfois un peu raide. Adam, son voisin de table, vient, lui, de Californie, où la bonne réputation des Enfants-Rouges s’est propagée.
Lustre d’antan
Rue de Bretagne toujours – décidément centrale –, Le Café Charlot et Le Progrès sont deux adresses immanquables. Si le premier, à l’angle de la rue Charlot, cultive un genre un peu guindé, le second, brasserie-tabac à l’angle de la rue Vieille-du-Temple, joue davantage la décontraction. Cela dit, une décontraction toute travaillée côté clientèle. L’été, les filles sont habillées de petites robes charmantes et sexys. Quentin, «dans la mode», accompagné d’Alicia, «responsable de magasin», est ce soir-là à la terrasse du Progrès. Il n’habite pas le quartier, mais c’est là qu’il se plaît. «Pour tous ses bons petits bars, dans les side streets (les rues perpendiculaires à la rue de Bretagne, ndlr)», dit-il, l’œil joyeux.
Comment réaliser qu’auparavant, il n’y a pas si longtemps de cela d’ailleurs, tout ici était assez pauvre? Il a fallu une loi d’André Malraux dans les années 60 pour rendre au Marais son lustre d’antan. «L’Hôtel Salé, qui abrite le Musée Picasso, c’était la cour des Miracles, se souvient Pierre Aïdenbaum. Beaucoup des immeubles auxquels on trouve aujourd’hui un chic fou étaient pouilleux.» Né en 1942 dans une famille juive alors cachée dans le Massif central, élu maire du IIIe en 1995, Pierre Aïdenbaum, du Parti socialiste, est un enfant du Marais. Son père, artisan casquettier, s’installa notamment rue des Rosiers.
Instruite de ce passé, la dolce vita de la rue de Bretagne n’en a que plus de saveur.
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