De bonnes raisons de s’aventurer dans les quartiers de mauvaise réputation. Ces lieux où il fait bon flâner et goûter à tout contrairement à ce qu’en disent les rumeurs.
Paris, coupe-gorge djihadiste? En janvier, quelques jours après les attentats islamistes, Fox News activait son GPS de guerre. La chaîne conservatrice américaine, tout gyrophare dehors, dressait une liste de «no go zones», des quartiers de Paris comparés à Bagdad, à éviter comme la peste. Habités, comprenait-on, de dangereux musulmans. Du lourd. La maire, Anne Hidalgo, surjouait l’indignation, annonçait des poursuites pénales contre le média US, qui présentait ses excuses. Bonne communicante, la Ville, outragée, tentait de retourner la situation à son avantage: les «no go zones» devenaient des «must go zones», autrement dit des lieux à visiter, et plutôt deux fois qu’une. Eh bien soit, allons-y!
Belleville
A cheval sur les Xe, XIe, XIXe et XXe arrondissements, la «no go zone» de Belleville est en réalité l’un des plus agréables quartiers de la capitale, du moins dans sa partie basse. La promenade sur le large boulevard de Belleville, pourvu d’un terre-plein central planté de sophoras du Japon, est quelque chose à faire. On trouve là trois «communautés»: maghrébine, asiatique et juive. Certes, le temps et la géopolitique ont fait leur œuvre et l’on ne peut pas dire que les relations entre Maghrébins et juifs (les moins nombreux) soient ici les plus fraternelles du monde – la guerre des Six Jours en 1967 avait provoqué des violences antijuives. Mais, pour l’heure, la paix règne, à shabbat comme durant le mois du ramadan, qui transforme le boulevard en un immense marché, où il fait bon flâner et goûter à tout.
A Belleville, une même origine tunisienne réunit beaucoup de ces «frères ennemis». Quelques restaurants juifs, casher ou pas, demeurent. Leur spécialité est la kémia, un mezzé tunisien servi sur assiette. Dans l’étroite rue Denoyer, couverte de graffitis, on entend, par une porte grande ouverte, l’amicale engueulade de vieux joueurs de cartes à l’accent pied-noir. Les Asiatiques, principalement originaires de Chine, occupent, eux, la rue de Belleville, qui coupe le boulevard et monte vers le XIXe dans un halo de restaurants.
Barbès
Barbès, dans le XVIIIe, où des trafiquants de cigarettes s’activent à la sortie du métro. On ne jure pas qu’on s’y promènerait sans appréhension à 3 heures du matin. Il n’empêche, là encore, le quartier, maghrébin et davantage noir-africain à partir de Château-Rouge et la Goutte-d’Or, est plaisant et goûteux – le touriste est généralement gourmand. Une polémique a éclaté au début de l’été. La raison en est l’ouverture, pile devant l’entrée du métro Barbès et à l’angle du boulevard de la Chapelle, d’une brasserie aux murs blanc pétant, ajourés de grandes vitres. On dirait une élégante verrière. Mais c’est surtout très bobo et les prix pratiqués y sont élevés, rapportés aux usages modestes du quartier – «Tête de pont de la gentrification», ont critiqué certains, attachés à l’identité populaire des lieux. En face, de l’autre côté des voies du métro aérien, le cinéma Louxor, entièrement restauré, est une merveille d’orientalisme début XXe.
La Chapelle
Quittons Barbès à pied par le boulevard de la Chapelle, passons devant le hammam du numéro 120, puis devant les bains maures du 54, prenons le pont de fer qui enjambe les voies du train, et nous voici, un petit kilomètre plus loin, à la station de métro La Chapelle – zone fortement déconseillée par le cousin Fox News. De là, s’engager dans la rue du Faubourg-Saint-Denis, jusqu’à la rue Cail, sur votre gauche. Quartier indien. Les adeptes du régime végane (aucune trace animale dans la nourriture) sont ici à la fête. A l’enseigne de Krishna Bhavan, plusieurs restaurants vous régalent. Une visite rapide de la supérette Cash & Carry est l’une des expériences les plus dépaysantes qui soient à Paris.
Décidément, ces «no go zones» méritent le détour.
«La rive gauche, on la laisse aux vieux»
Le tram, je valide
N’ayez pas peur des «no go zones»!
Village people