Enquête. La Croix-Rouge du Cambodge inaugure un palace. Au Kenya, le mouvement s’est lourdement endetté dans la construction d’hôtels.
Le mouvement fondé par Henri Dunant se découvre une passion tardive pour l’hôtellerie de luxe. Ces projets immobiliers, qui devraient servir à financer des activités humanitaires, connaissent toutefois un succès mitigé.
Le 31 août dernier, la Croix-Rouge cambodgienne (CRC) a inauguré son premier établissement cinq étoiles, le Green Palace Hotel, dans le nord du pays. «J’espère que nous allons gagner beaucoup d’argent avec cet hôtel», a déclaré Men Neary Sopheak, porte-parole de la CRC, interrogé en marge de la cérémonie par le quotidien Cambodia Daily. La formule fait grincer des dents dans ce pays où le revenu annuel médian (950 dollars) permettrait tout juste de s’offrir trois nuits et un snack au minibar du Green Palace. Plus grave: selon plusieurs experts, la Croix-Rouge cambodgienne serait instrumentalisée par le régime autocrate et corrompu du premier ministre, Hun Sen, et de son épouse, Bun Rany. Le projet hôtelier servirait à recueillir les dons d’entreprises et d’hommes politiques, en signe d’allégeance au régime. La construction du Green Palace avait notamment provoqué l’ire de l’investisseur suisse Marc Faber, fin connaisseur de l’Asie, l’automne dernier (lire L’Hebdo du 30 octobre 2014). L’hôtel de la Croix-Rouge cambodgienne n’ouvrira ses portes qu’à la fin de l’année, et il est trop tôt pour savoir s’il dégagera bel et bien les revenus escomptés.
Il ne reste qu’à espérer que le projet cambodgien connaîtra un meilleur sort que celui de la Croix-Rouge du Kenya (KRCS), qui a elle aussi massivement investi dans la pierre ces dernières années. Le mouvement kényan a bâti trois hôtels entre 2007 et 2013, dont un cinq-étoiles de 148 chambres dans la banlieue de Nairobi, un trois-étoiles de 58 chambres adjacent, ainsi qu’un cinq-étoiles de 68 chambres à Eldoret, dans la vallée du Rift. Là aussi, l’objectif était de financer les activités humanitaires de la Croix-Rouge locale.
Un vain investissement
La KRCS s’est lourdement endettée pour bâtir ces hôtels. Comme le montre son rapport annuel de 2014, le mouvement a d’abord souscrit un crédit de 17 millions de dollars en 2009, un deuxième de 7 millions en 2011, puis un troisième de 6 millions en 2013. Ces crédits cumulés de 29 millions de dollars représentent le triple des dépenses humanitaires annuelles de la Croix-Rouge du Kenya. Et, malheureusement, l’investissement ne porte pas les fruits attendus.
Le nombre de touristes, qui était déjà en baisse de 5% en 2014, s’est effondré de 25% durant les trois premiers mois de 2015, selon les chiffres officiels. Des attaques terroristes ont engendré plus de 400 morts ces deux dernières années et fait fuir les touristes. Dans ce contexte, les crédits immobiliers de la KRCS sont devenus trop lourds. La Croix-Rouge a tenté de revendre une partie de ses hôtels ou de trouver un investisseur. Jusqu’ici sans succès.
Les crédits de la KRCS, souscrits à l’origine auprès d’établissements privés, viennent d’être transférés auprès de la National Bank of Kenya (NBK), une banque détenue par le gouvernement et par le fonds de pension national. Selon Abbas Gullet, secrétaire général de la Croix-Rouge kényane, le transfert des créances permettra aux hôtels de payer un taux d’intérêt inférieur.
Pourtant, vu les objectifs de ces investissements, ne reviendrait-il pas plutôt au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ou à la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge (IFRC) de reprendre ces crédits, plutôt que de les faire porter au contribuable kényan? «La question ne se pose pas dans les circonstances actuelles», tranche Abbas Gullet. A Genève, un porte-parole du CICR rappelle que les sociétés nationales de la Croix-Rouge agissent en toute indépendance.