Insolite. Récemment remis en service, le tramway fait presque tout le tour de Paris. Montons à bord pour un parcours-découverte de la capitale et de ses à-côtés.
Une fois n’est pas coutume, c’est à un voyage en tramway que nous vous convions. Une escapade de 22 kilomètres, avec ses haltes et ses bonnes surprises. Une autre manière d’aborder la capitale. Par ses bords, justement. Disparu de Paris en 1937, le tram y est réapparu progressivement à partir de 2006. Son parcours circulaire emprunte sur leurs deux tiers les Maréchaux: une succession de boulevards formant un petit périphérique intérieur et portant les patronymes des plus illustres militaires du Premier Empire napoléonien, Brune, Soult, Poniatowski, Macdonald, et bien d’autres encore.
Parés pour un quiz? Pourquoi pas, mais c’est un autre jeu que voici, un jeu de découvertes. Un peu de patience encore: dans quelques années, quand le dernier tronçon sera terminé, il sera possible de faire tout le tour de Paris en tramway. Pour l’heure, et c’est déjà beaucoup, le T3, comme on l’appelle, roule du pont du Garigliano , au sud-ouest, à la porte de la Chapelle, au nord, avec changement à porte de Vincennes. Le ticket coûte 1 euro 80, valable une heure et demie sur l’ensemble du réseau intra-muros. Ce serait dommage de se priver.
Embarquons par exemple pont du Garigliano, dans le XVe arrondissement, sur la rive gauche de la Seine. Face au siège de France Télévisions, en verre et marbre de Carrare, le tram démarre, silencieux. Premier arrêt et première halte déjà: Balard.
Un sentier bucolique
On traverse la route, passe sous un pont, découvre la place Balard et, soudain, Paris, entièrement. Face à nous, un demi-cirque de façades haussmanniennes, animées de rues qui partent en étoile et pénètrent dans la ville. Au bas des façades, des cafés et brasseries, Le Bistrot Balard, Le Terminus Balard, Le Balard, pas compliqué. Le lieu est parfait pour savourer un petit-déjeuner ou prendre l’apéritif le soir, en terrasse si le temps le permet.
Mais retournons un instant sur nos pas, jusqu’au pont sous lequel nous étions passés. Gravissons-le cette fois. Par le chemin ou l’ascenseur qui partent de la place. Là circulaient autrefois des trains. Aujourd’hui, c’est une promenade joliment paysagée . Des panneaux informent sur la flore et la faune: l’orme, le rouge-gorge, le crapaud, le hérisson… Sur 1,3 kilomètre, cette allée paisible emprunte une portion de l’ancienne Petite Ceinture parisienne. Baladons-nous encore un peu sur cette voie bucolique. Là où le sentier débouche sur le parc Georges-Brassens , vaste et vallonné. Un lieu qui, à l’époque, représentait le pendant au sud de Paris des ex-abattoirs de la Villette au nord. Le train de la Petite Ceinture acheminait ici les bêtes. Deux sculptures colossales de taureaux témoignent de ce passé révolu.
A l’autre bout du parc, au 104 de la rue Brancion, se trouve le Marché du livre ancien et d’occasion . Ouvert uniquement les samedis et dimanches de 9 h à 18 h, il se tient sous le beau toit de tuiles claires de l’ancien marché aux bestiaux. Une cinquantaine de libraires s’y réunissent tous les week-ends.
Après dix minutes de marche rue Brancion, nous retrouvons nos Maréchaux et notre tram. En voiture! Le T3 passe devant la Cité internationale universitaire . Cette ambition pacifiste de l’après-Première Guerre mondiale devenue une sorte de village olympique pour étudiants du monde entier s’active en permanence. On peut y visiter le Pavillon suisse , œuvre de Le Corbusier construite au début des années 30.
L’empire Tang
Un peu plus loin dans le XIIIe arrondissement s’érigent les portes de Choisy et d’Ivry. A la fenêtre, l’Asie. Sortons du tram. Que ces tours de trente étages et plus paraissent hautes! Erigées dans les années 60, elles étaient destinées à des «cadres parisiens» qui ne s’y installeront finalement jamais. Au contraire de dizaines de milliers de Chinois, Laotiens, Cambodgiens et Vietnamiens, fuyant pour beaucoup les régimes collectivistes de l’époque. Les débuts de la présence asiatique dans cette partie méridionale de Paris datent pourtant du premier quart du XXe siècle: des Chinois acheminés en France pour suppléer dans les usines les combattants partis au front de 14-18. Certains travaillaient chez le constructeur automobile Panhard & Levassor, dont il reste un imposant vestige en brique rouge, avenue d’Ivry.
L’impression est celle d’une certaine douceur. Les tours lumineuses, tout autant que crayeuses, dominent les rues d’immeubles bas, légèrement en retrait et agrémentées d’arbres. Partout des enseignes en gros caractères d’Extrême-Orient. Du 44 au 48, avenue d’Ivry, les magasins chinois Tang Frères , institution commerciale parisienne, valent le détour pour leur profusion exotique et l’atmosphère délicieusement surannée qui s’en dégage.
Parc zoologique à Porte Dorée
Le T3 repart, entame un long virage à gauche, franchit la Seine, atteint la rive droite. Puis la porte Dorée. Et, toute proche, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration , ex-Musée des arts africains et océaniens, construite en 1931 dans un style Art déco. Sa belle façade en bas-relief est un hommage de la Troisième République aux peuples colonisés. Le musée lui-même est aujourd’hui un hommage de la France aux immigrés.
Le Parc zoologique (anciennement Zoo de Vincennes, rouvert en 2014 après rénovation) est à dix minutes de marche. Une réussite tarifée tout de même 22 euros l’entrée pour un adulte, 16 euros 50 pour les 12-25 ans et 14 euros pour les enfants de 3 à 11 ans. Le documentaire animalier diffusé correspond parfaitement à ce que l’on voit sur place. Rien de la société des babouins ne nous échappe. Une fois la visite achevée, une balade en barque sur le lac Daumesnil du bois de Vincennes voire un pique-nique sur ses berges ouvragées et ombragées sont de l’ordre du possible.
Au bord du canal de l’Ourcq
Après changement de rame à l’arrêt porte de Vincennes, nous empruntons la route au nord-est. Parvenu porte des Lilas, notre tram serpente dans les boulevards d’Algérie et d’Indochine, puis débouche porte de Pantin. Sur notre gauche, vue de derrière, l’immense Philharmonie, le nouvel opus de Jean Nouvel, la «salle qui manquait à Paris pour l’écoute de la musique classique». Ce temple caparaçonné d’aluminium complète une offre culturelle foisonnante à cette extrémité de la ville. Là se trouvent en effet déjà la Cité de la musique, la Grande Halle de la Villette et le parc du même nom, habillé de rouge métallique par l’architecte suisse Bernard Tschumi. Mais aussi, à quelques pas, de l’autre côté du canal de l’Ourcq , la Cité des sciences et de l’industrie qui fait le bonheur – et l’éducation – des petits et des grands.
En guise de pas de côté, une échappée à la Galerie d’art contemporain Thaddaeus Ropac , au 69, avenue du Général-Leclerc, à Pantin. Atteignable en une petite demi-heure de marche, plus rapidement en bus ou à vélo (voir «Adresses »), cette ancienne chaudronnerie du XIXe siècle abrite des œuvres monumentales, mais pas que. En revenant sur nos pas, nous nous attardons un instant au 49 de l’avenue, devant le bâtiment rouge brique de la piscine municipale . Construit en 1937 dans un style à la fois massif et délicat, inscrit aux monuments historiques, il est en attente de restauration et pour autant toujours ouvert aux nageurs. L’intérieur, avec ses parements en céramique et son double étage de cabines en coursives surplombant le grand bassin, est saisissant.
Rosa Parks et la barre de 600 mètres
Longeons, par exemple en Vélib’, l’une des branches du canal de l’Ourcq jusqu’à la station porte de la Villette. Puis regagnons le tram qui, de là, sillonne un Paris «éco-urbain», conçu pour que s’y mélangent l’habitat populaire et plus haut de gamme, des populations françaises et immigrées. Un voisinage stimulant d’«incubateurs» d’entreprises. En prime, des loisirs de masse et une nature recomposée. «Plus long bâtiment de Paris» (600 mètres) , les anciens entrepôts Macdonald réhabilités sont le clou d’une architecture qui ne s’interdit rien. Le tram y marque l’arrêt à la station Rosa Parks, un nom symbole pour un avenir arc-en-ciel. Quelques minutes plus tard, la station porte de la Chapelle met un terme provisoirement définitif à notre parcours-découverte. Les Maréchaux nous saluent bien.
«La rive gauche, on la laisse aux vieux»
Le tram, je valide
N’ayez pas peur des «no go zones»!
Village people