Reportage. Le «mermaiding», soit nager avec une nageoire géante comme une sirène, est une activité en pleine expansion. En Suisse alémanique, les cours sont pris d’assaut. «L’Hebdo» a testé pour vous.
Il fait chaud ce samedi après-midi de septembre dans la piscine d’Opfikon, petite ville située à côté de l’aéroport de Zurich. Couleur pourpre, jaune ou bleu, des nénuphars flottent sur la surface de l’eau. Agiles, une demi-douzaine de silhouettes, les jambes prises dans un costume qui se termine par une nageoire, ondulent dans les flots verts en direction des plantes aquatiques en plastique, les saisissent et les ramènent au bord du bassin. Bienvenue dans le monde enchanteur des sirènes ou du mermaiding (de mermaid, la sirène, en anglais).
Apprendre à nager comme une sirène: cette tendance vient des Etats-Unis et bat son plein en Europe. En Suisse alémanique, Cristina Würgler, 32 ans, professeure de natation et maître nageuse, a fondé la Meerjungfrauen Schwimmschule voilà bientôt une année et donne des cours à Opfikon, à Dübendorf et dans tout le pays, sur demande. Mi-septembre, elle viendra donner son premier cours privé en Suisse romande, dans le canton de Vaud. «Les cours ont beaucoup de succès. Dans un premier temps, j’ai enseigné aux enfants, mais récemment j’ai ouvert la formation aux adultes.»
«C’est si beau…»
Evidemment, les hommes ne se pressent pas au portillon. «C’est un truc de femmes. Presque toutes ont rêvé, un jour, d’être une princesse ou une sirène…» Elle-même a découvert le phénomène en voyant une fillette évoluer, en costume avec une grande nageoire, dans les eaux de la piscine zurichoise. «Je veux le même costume, ai-je pensé immédiatement. Elle avait ramené son équipement des Etats-Unis.» L’heure avance et le cours hebdomadaire pour les avancées touche à sa fin. Bienvenue aux novices, soit quatre femmes et trois fillettes, qui se pressent déjà autour du bassin pour découvrir cette discipline aussi gracieuse que féminine. Leur motivation se résume en trois mots: «C’est si beau…» Les participantes forment un cercle.
Le cours commence par une question: «Qui sait comment nage une sirène?» C’est la benjamine du groupe, Delia, 6 ans, qui répond en faisant onduler son petit corps. Ariel, la sirène de Disney, est passée par là. A moins que ce ne soit la série à succès qu’évoque une autre participante. «Je regarde H2O avec mes deux filles et leurs copines. C’est une série australienne qui raconte les aventures de trois adolescentes qui se transforment en sirènes dix secondes après être entrées en contact avec l’eau», explique Sandra, venue de Winterthour. Les apprenties sirènes sont priées d’onduler sur place, comme si elles pratiquaient le hula hoop, mais dans un mouvement avant-arrière. Cristina explique un détail capital: les jambes doivent rester tendues. Les participantes sont invitées à prendre place sur un banc, décoller leurs pieds du sol et simuler des mouvements verticaux, les jambes serrées. Première constatation: une sirène qui se respecte a des abdos en béton. Dans la piscine, quelques nageurs observent la scène d’un air songeur. On remercie le ciel de découvrir cette nouvelle discipline dans un coin aussi perdu.
Il est temps de se jeter à l’eau. Toutes les participantes sont priées de se tenir par la main et au signal de la belle sirène en chef, sautent dans la piscine pour mieux en ressortir quelques secondes plus tard et choisir la couleur de leur tenue, soit un long fourreau agrémenté d’une palme dans laquelle il s’agit de glisser les deux pieds. Le tout est prolongé par une nageoire en plexiglas. A ce stade, le détail a de l’importance, puisqu’une sirène se doit d’être belle. La petite Delia a une longueur d’avance: son haut de bikini est confectionné dans le même tissu que le fourreau qu’elle a apporté: elle a reçu l’ensemble pour son anniversaire. Classe! Les autres font touristes, dans leur haut et leur queue dépareillés qu’elles enfilent avec plus ou moins de difficulté, assises puis carrément couchées sur le dos pour faire glisser l’étroit fourreau jusqu’au ventre. La sensation d’emprisonnement est immédiate. Elle va de pair avec l’étrange impression de ressembler à un phoque. Et, plouf, on se laisse rouler dans le bassin et on ondule en restant à la surface. Grave erreur, l’effet éléphant de mer guette. Il faut plonger, et vite.
Technique efficace
A quelques mètres de profondeur, les bras collés le long du corps, le mouvement devient plus naturel, presque jouissif. Marita, une participante venue d’Argovie, virevolte déjà sous l’eau, sans lunettes de protection, ses longs cheveux dénoués, comme il se doit. Un seul détail rappelle sa condition humaine: un pince-nez. Pas de doute, elle s’inspire bien des vidéos de la magnifique Hannah Fraser, une sirène professionnelle qui vit à Los Angeles et qu’elle a découverte sur l’internet.
Cristina demande aux participantes de nager du bord de la piscine jusqu’aux flotteurs qui délimitent l’aire d’exercice. Si nager comme une sirène demande beaucoup d’énergie, la technique est très efficace. Il suffit de quelques mouvements de queue pour arriver, bien plus vite que prévu, à l’endroit souhaité. Dur, dur le bord de la piscine. Les exercices se suivent et ne se ressemblent pas: les participantes tentent de former une étoile de mer, se croisent à différentes hauteurs, essaient de tourner sur elles-mêmes. Cristina leur apprend même à sourire et envoyer des baisers sous l’eau. Une excellente idée à l’ère des selfies. Le cours touche à sa fin. Les sirènes sont épuisées et regagnent la rive. Markus s’approche de son épouse, Sandra. Leurs deux filles se sont lancées dans cette activité aquatique cet été. Comment se sent-il avec trois sirènes à la maison? «On ne peut mieux!» sourit le grand gaillard, l’air charmé. Qui a dit que les sirènes sont une légende?