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Un nouveau job pour Isabelle Chassot?

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Jeudi, 24 Septembre, 2015 - 05:52

Enquête. La directrice de l’Office fédéral de la culture affiche un profil idéal pour devenir chancelière de la Confédération. Osera-t-elle?

Elle a rosi, Isabelle Chassot. Son futur chef, le conseiller fédéral Alain Berset, avait à peine présenté à la presse la nouvelle directrice de l’Office fédéral de la culture qu’un journaliste exprimait déjà la surprise que beaucoup ressentaient: «N’êtes-vous pas surqualifiée?» Dame! On avait évoqué pour elle d’autres sommets. La Fribourgeoise, alors conseillère d’Etat et présidente de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique, a régulièrement figuré parmi les papables pour le Conseil fédéral et la Suisse romande avait rêvé d’elle pour endosser la fonction de secrétaire d’Etat à la formation et à la recherche. «Madame Culture»? L’habit semblait un rien étroit pour l’envergure politique de cette femme d’Etat.

Elle peut rougir de nouveau, Isabelle Chassot. Parce qu’on reparle d’elle. Quand bien même elle dirige la culture depuis à peine deux ans et vient de mener à bien le message qui détermine la politique culturelle de la Confédération et ses subventions pour les quatre ans à venir, on l’imagine déjà ailleurs. Et cette fois-ci, il s’agit bel et bien du Conseil fédéral, même si la place à prendre est celle qui s’exerce loin des projecteurs: celle de chancelier, ce serviteur de l’Etat qu’on appelle le 8e conseiller fédéral parce qu’il participe aux séances du gouvernement avec voix consultative et organise son travail. Si la sortante Corina Casanova, une démocrate-chrétienne comme Isabelle Chassot, fut l’incarnation même de la discrétion, d’autres chanceliers avant elle osèrent jouer un rôle plus politique. Le plus célèbre d’entre eux, le PDC Karl Huber, en place de 1968 à 1981, donna du poids à la fonction en obtenant le droit de présenter des propositions au Conseil fédéral. C’est lui aussi qui inventa les entretiens de Watteville, cette rencontre régulière entre dirigeants des partis gouvernementaux et conseillers fédéraux visant à mettre de l’huile dans les rouages du consensus.

Motus et bouche cousue

Légèrement abasourdis quand, avant l’été, Corina Casanova annonça sans avertir qu’elle allait se retirer à la fin de l’année, le président du PDC, Christophe Darbellay, comme ses homologues ou chefs de groupe ont tous dit qu’ils ne diraient rien sur les successeurs. Motus jusqu’aux élections fédérales. Et ils continuent de le répéter: «On verra après le 18 octobre, vraiment», sourit Christian Levrat.

Dans la délicate mécanique fédérale, la Chancellerie apparaît un peu comme un lot de consolation. Le PDC l’a obtenue parce qu’il ne compte plus qu’un siège au gouvernement depuis l’éviction de Ruth Metzler. Dès lors, l’UDC, qui veut entrer par la grande porte avec un second siège au gouvernement, n’y aspire pas. Même si son chef de groupe Adrian Amstutz nous informe que «deux ou trois personnes m’ont signalé leur intérêt pour ce poste». Quant aux autres partis du gouvernement, PLR et socialistes, ils disposent chacun de deux conseillers fédéraux et, même s’ils progressent un peu le 18 octobre, n’auront pas la légitimité d’imposer, en plus, un chancelier. Ce n’est pas faute de disposer de candidats potentiels, pourtant. Les deux vice-chanceliers actuels, Thomas Helbling (PLR) et André Simonazzi (proche du PS), sont fort bien placés. En effet, depuis le début du XXe siècle, le Parlement, à deux exceptions près, a toujours puisé le chancelier dans le bassin de ses suppléants. Sans doute parce qu’ils connaissent la maison comme personne. Autres candidats estimés valables: le secrétaire général de l’Assemblée fédérale Philippe Schwab (PLR) et son adjointe et secrétaire du Conseil des Etats Martina Buol (PS). Ces deux-là ont l’avantage d’être connus des parlementaires, qui sont précisément ceux qui élisent le chancelier.

Une femme d’État

Bref, à moins de grands chambardements dans les rapports de force au soir du 18 octobre, on pourrait imaginer que la fonction demeure entre les mains du PDC. «L’enjeu politique est tout relatif», estime la vice-présidente du PLR, Isabelle Moret. Et si Mme Chassot était d’accord de travailler dans l’ombre, il est certain qu’elle aurait le calibre et l’expérience nécessaires. D’autant plus qu’on se demande si elle ne galvaude pas un peu son talent à l’Office de la culture.» Chez les Verts, le conseiller aux Etats Robert Cramer renchérit: «Elle a tout ce qu’il faut. Le sens de l’Etat, une connaissance intime des mécanismes de la Confédération et des cantons, qualité indispensable pour organiser des élections et des votations à l’échelon national. Enfin, elle se montre parfaitement à l’aise dans les langues nationales.» D’autres soulignent encore le vaste réseau de la Fribourgeoise qui s’étend des arcanes fédéraux, où elle officia comme collaboratrice personnelle des conseillers fédéraux Arnold Koller et Ruth Metzler, jusqu’à l’ensemble des cantons. Partout, on loue son caractère fédérateur et une autorité naturelle qui n’effraie pas, mais motive.

Les adversaires

Mais il y a quelques mais. D’abord, un autre nom de haut fonctionnaire circule et pas des moindres: Walter Thurnherr. Cet Argovien, qui passe pour un homme fort du Palais, n’est pas affilié à un parti mais a servi toute une lignée de conseillers fédéraux PDC, Flavio Cotti, Joseph Deiss et Doris Leuthard. Secrétaire général au Département de l’économie, il a d’ailleurs suivi sa cheffe au Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication. Mme Leuthard pourrait le remercier de ses précieux services en appuyant sa candidature de tout son poids politique au sein du PDC. D’autant plus qu’on s’attend à ce que Doris Leuthard démissionne au terme de sa présidence de la Confédération en 2017. Placer ses plus fidèles collaborateurs avant de quitter la scène, un grand classique de la vie politique.

Autre obstacle: si la femme clé des élections, la PBD Eveline Widmer-Schlumpf, venait à démissionner à la suite d’une débandade magistrale de son parti cet automne – ou si elle n’était pas réélue, ce qui est moins probable – on irait vers une dynamique difficilement prévisible. Et si l’UDC ne proposait pas un candidat capable et «bilatéralo-compatible» pour le Conseil fédéral, on pourrait alors se retourner vers un «PDC de droite», nous glisse un élu PLR influent. «Ça le ferait aussi.» Deux ministres PDC tout soudain? Avec un tel cadeau de Noël, le parti ne pourrait décemment pas prétendre à la Chancellerie.

Ne me quitte pas

On le voit, Conseil fédéral et Chancellerie, tous sont élus le même jour de décembre, tout se tient et, à ce stade, tous les jeux d’esprit sont permis. La fine politicienne qu’est Isabelle Chassot ne va donc pas se hasarder à dévoiler ses intentions. D’autant plus que la réponse archivague qu’elle avait donnée à un journaliste du Tages-Anzeiger au moment de la démission de Mme Casanova, à savoir, «la question ne se pose pas en ce moment. Je me plais énormément à l’Office fédéral de la culture», avait déjà provoqué quelques froncements de sourcils. On peut comprendre.

Alain Berset, par exemple, nourrit beaucoup d’estime pour sa cheffe d’office, une Fribourgeoise qu’il connaît bien, qu’il a choisie de surcroît. Stratège, il sait aussi l’importance qu’ont l’agenda du Conseil fédéral et la personne qui le tient, soit le chancelier ou la chancelière. Il n’empêche. Il serait bien embêté si Isabelle Chassot quittait son poste. Pour une fois qu’il a placé une femme à une direction, et une Latine de surcroît. Tout serait à recommencer. Alors qu’il a sa gigantesque réforme des retraites à passer au Parlement. Pff… Peut-être bien qu’Alain Berset va devoir se remettre au piano et chanter, à l’adresse d’Isabelle: «Ne me quitte pas».

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Peter Schneider / Keystone
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