Portrait. Ruffian de la politique, le milliardaire à la situation patrimoniale peu claire prétend être le prochain président des Etats-Unis. A ce jour, il est son principal (et à peu près unique) supporter.
Eva C. Schweitzer
Vus de l’Hudson River, les gratte-ciel de West Side Manhattan respirent la modernité. Et la grandeur. C’est le fameux «New York feeling». Une partie, un complexe situé sur d’anciens docks, a été construite par Donald Trump. Trump City devait abriter l’immeuble d’habitation le plus haut du monde.
Vu de plus près, l’ensemble de gratte-ciel ressemble davantage à une collection de plots empilés sans grâce. L’immeuble d’habitation le plus haut du monde n’est pas né. Une autoroute sur piliers des années 30 passe sous les fenêtres. Le nom de Trump s’étale certes en lettres dorées sur la Trump Place, mais le magnat a depuis longtemps revendu le tout à un promoteur immobilier. D’ailleurs, il n’y est jamais allé de sa poche: le projet a été financé à hauteur de 3 milliards de dollars par des investisseurs de Hong Kong, car de riches Chinois cherchent souvent des appartements pour leurs fils à Manhattan. Pour Trump, ce sont les partenaires d’affaires rêvés.
Et voilà qu’à 69 ans l’homme veut devenir président des Etats-Unis. Et quel président! Il promet qu’à peine à la Maison Blanche c’en sera fini des risettes adressées à la Chine. Il entend prélever des taxes exorbitantes sur les produits chinois et stopper l’exode des emplois. Il fera en sorte qu’il n’y ait plus d’«anchor babies», ces enfants de mères qui ne viennent aux Etats-Unis que pour accoucher, afin que leur progéniture ait la nationalité américaine. Si le président chinois, Xi Jinping, débarquait un jour en visite d’Etat à Washington, affirme Trump, il l’inviterait, au mieux, à manger un Big Mac. Quant aux immigrants mexicains, il assure qu’ils ne sont que des violeurs important aux Etats-Unis de la drogue et des épidémies.
Trump, c’est ça: il la ramène tout le temps et aucun de ses outrages ne l’embarrasse. Il réunit la goujaterie du New-Yorkais et l’absence d’humour d’un type du Midwest.
Les Blancs du sud l’aiment. Du coup, il a pris la tête des birthers racistes qui affirment qu’Obama est né au Kenya. Il prétend même avoir déniché des preuves à ce sujet à Hawaii, mais il ne les a jamais montrées.
Cet homme est une énigme dans son genre, et bien des questions le concernant restent sans réponses, notamment à propos de ses positions politiques, ses motivations et sa fortune.
Vacheries mine de rien
C’est aussi un style: la scène suivante se déroule un après-midi dans le quartier branché de SoHo, il y a quelques années, au sein du Condominium Hotel de Trump. En bas, les voisins protestent contre la gentrification du quartier. Sur la terrasse tout en haut, Trump devise avec Peter Vallone, ancien chef des démocrates new-yorkais, et Tamir Sapir, immigrant russe, ex-chauffeur de taxi et investisseur dans le gratte-ciel. Donald Jr., le fils, et Ivanka, la fille, sont aussi présents. Mine de rien, Trump sort une vacherie: «Grâce aux manifestants qui rendent cet immeuble célèbre, nous avons déjà enregistré des milliers de réservations pour nos studios.»
Trump se vend comme un self-made-man mais, en réalité, il a hérité d’une entreprise familiale. Son père, Fred, était déjà un promoteur à succès et un millionnaire. Son grand-père, Friedrich Drumpf, était chercheur d’or dans le Klondike, venu d’Allemagne, quand bien même Trump s’attribue dans son livre The Art of the Deal des origines suédoises.
Toujours soucieux de rester sous les feux de la rampe, il s’est publiquement disputé avec l’ancien maire de New York, Ed Koch, et a été en guerre avec l’héritière Leona Helmsley pour la possession de l’Empire State Building. A sa mort, il la décrivit comme «une coriace, infâme, mais un élément de New York». On pourrait en dire autant de lui.
Flou sur les comptes
Donald Trump a dévoilé sa fortune à la Federal Election Commission (FEC), ce qui n’éclaire en rien sur ses comptes. Le New York Times a constaté qu’il touchait un salaire annuel de 14 222 dollars d’une de ses sociétés alors qu’il demande 250 000 dollars pour un discours. D’autres médias parlent de 265 millions de dettes.
Alors qu’il prétend posséder 10 milliards de dollars, Bloomberg News lui concède au mieux 2,9 milliards, surtout en immeubles. A l’image du 40 Wall Street, érigé en 1928. Ce bâtiment était à l’époque le quartier général de Chase Manhattan, la banque de Rockefeller. Trump l’a acquis et rebaptisé Trump Building: c’était son premier gratte-ciel. Selon le rapport de la FEC, l’immeuble réalise 5 millions de chiffre d’affaires par an et vaudrait donc au moins 50 millions. Mais il est obéré par une hypothèque de plus de 50 millions.
Trump a annoncé quatre fois sa faillite pour se débarrasser des dettes de son empire. La première fois – la plus spectaculaire – remonte à 1991 et concerne le casino Trump Taj Mahal d’Atlantic City. Le journaliste David Cay Johnston, Prix Pulitzer, racontait récemment à la radio WBAI qu’il avait vu l’avis de taxation 1990 de Trump. Ce dernier disait posséder 3 milliards de dollars et était en réalité dans le rouge pour 295 millions. En 2006, le journaliste économique Tim O’Brien écrivait dans son livre TrumpNation que l’entrepreneur ne possédait qu’entre 150 et 250 millions de dollars. Trump l’a poursuivi en justice, sans succès.
Dépenses en circuit fermé
Donald Trump entend dépenser 1 milliard de dollars pour sa campagne électorale. A ce jour, il est seul à alimenter son fonds de campagne. The Trump Organization lui a octroyé un crédit de 1,2 million, dont la moitié a été dépensée en voyages à bord d’avions Trump et de réceptions dans des hôtels Trump. Au moins, l’argent reste dans la famille.
La Trump Tower se dresse sur la Cinquième Avenue, tout près de la cathédrale Saint-Patrick, et compte 58 étages – Trump parle de 68. Entre le Trump Grill et le Trump Cafe, on peut y acheter des cravates Trump, des livres Trump et du chocolat Trump. C’est ici qu’a été tourné The Apprentice, la téléréalité de Trump sur «l’île la plus impitoyable du monde, Manhattan». Dans cette série, des jeunes gens aux dents longues rivalisent pour un emploi chez Trump. A la fin de chaque épisode, Trump éjecte un malchanceux avec ces mots: «You’re fired!» (vous êtes viré). La Trump Tower abrite des nantis. Outre Donald Trump lui-même, on y rencontre Nicoletta, une Italienne qui voterait pour lui si elle le pouvait: «Il pourrait être le Berlusconi de l’Amérique!»
Un autre gratte-ciel, la Trump World Tower, sur la Première Avenue, face aux Nations Unies, est finalement devenu l’immeuble d’habitation le plus haut du monde. Trump a eu des ennuis avec d’influents voisins craignant qu’on ne leur bouche la vue. D’ailleurs, il hérisse toujours l’establishment républicain. Les conservateurs récoltent des fonds pour mieux se débarrasser de lui.
Car, en fait, Donald Trump défend des positions clairement démocrates: hausses d’impôts pour les riches, caisse maladie pour les pauvres. Il a toujours été opposé aux guerres d’Irak. Il a traité un républicain aussi éminent que John McCain de lâche, le candidat républicain Lindsey Graham de couille molle et cet autre candidat qu’est Scott Walker, l’ennemi intime des syndicats, de minus. Et Jeb Bush en a eu plus que sa part: le frère de George W., lui aussi candidat à la présidence, s’est vu intimer en public de parler anglais. Marié à une Mexicaine, il parlerait espagnol à la maison.
Au golf avec clinton
Donald Trump est-il l’arme secrète des démocrates (il était inscrit au parti avant de cotiser chez les républicains en 2009)? Il a un jour décrit Bill Clinton comme le meilleur président que les Etats-Unis eussent jamais eu. Et ce serait Clinton qui l’aurait incité à faire acte de candidature. Les deux hommes jouent au golf ensemble sur les greens de Trump, qui a versé des fonds au trésor de campagne de Hillary Clinton et fait une donation à la Clinton Foundation. Les Clinton étaient invités au troisième mariage de Donald Trump avec le mannequin slovène Melania Knauss. Trump prétend que Hillary était bien obligée d’y assister vu les sommes qu’il lui avait versées. Et d’ajouter que cela montrait combien tous les politiciens étaient vénaux. Sauf lui, bien sûr.
On compare souvent Donald Trump avec P. T. Barnum, un légendaire artiste de cirque et politicien new-yorkais. Mais il ressemble davantage à Marcy Tweed. Né en 1823, celui-ci était un magnat de l’immobilier, un jongleur de la finance et le patron de Tammany Hall, le plus grand club politique de New York, qui allait chercher au port les immigrés italiens et irlandais, leur fournissait un job, un logement, la licence d’alcool et la nationalité américaine. En échange, il ne demandait que leur vote. Aujourd’hui, Trump promet son aide aux enfants d’immigrants blancs afin qu’ils ne se laissent pas marcher sur les pieds par les Mexicains et les Chinois.
Est-ce que cela fonctionnera ou est-ce que cela nuira plutôt à la marque Trump? Ses remarques sur le Mexique lui ont coûté quelques contrats avec des chaînes TV. Des habitants de ses immeubles lui tournent le dos. Au Trump Plaza de Jersey City, l’immigrant sénégalais Ebu Mbaye assure: «Je ne dis plus jamais à quiconque que j’habite un immeuble Trump. Je me contente d’indiquer l’adresse.»
© «Die Zeit» Traduction et adaptation Gian Pozzy