Vaud. Contraction ou simple baisse de la croissance: les termes divergent pour décrire l’évolution du marché vaudois. Mais tous les experts s’accordent à dire qu’il y a un fort ralentissement.
Patricia Michaud
Il y a des années qu’on n’avait pas vu ça sur l’arc lémanique: «Les premières ventes à perte ont été conclues ces derniers mois dans la région», rapporte Catherine Michel. Certes, la présidente de l’USPI (Union suisse des professionnels de l’immobilier) Vaud nuance, précisant qu’il s’agissait le plus souvent de biens mis sur le marché par des expatriés, propriétaires depuis peu d’années et pressés de repartir. Reste que le symbole est fort. Même dans une zone où la pénurie de logements fait figure de cas d’école, les acquéreurs ne sont plus prêts à payer n’importe quel prix. Plus largement, il illustre le tassement généralisé qui caractérise actuellement le marché immobilier vaudois.
Amorcée l’an dernier déjà, l’accalmie s’est confirmée dans le canton ces derniers mois. En mesurer l’importance demeure néanmoins délicat: alors que certains observateurs parlent de stabilisation, d’autres évoquent carrément une contraction. Directeur général du Groupe MK, Anthony Collé fait partie de la seconde catégorie: «En 2014, les prix avaient déjà subi une correction de l’ordre de 5 à 10% hors arc lémanique et de 5% sur l’arc lémanique, mais les vendeurs ne l’avaient pas forcément répercutée. Désormais, ils sont obligés d’être à l’écoute du prix juste.»
Un autre spécialiste évoque une chute du prix des PPE de l’ordre de 5 à 15%, contre 10 à 20% pour les maisons individuelles. Moins renversants, les relevés du CIFI mettent le doigt sur une poursuite de la croissance des prix (+ 2,4% pour la PPE et + 2% pour les villas entre 2014 et 2015). Cette dernière n’en demeure pas moins extrêmement faible si on la compare avec celle enregistrée sur dix ans (+ 94,4% pour les PPE et + 83,7% pour les villas).
Du côté des prévisions non plus, tous les acteurs du marché immobilier ne tirent pas à la même corde. Alors que certains anticipent un recul des prix marqué pour ces deux prochaines années, Anthony Collé s’attend à «deux ou trois ans de raison, où le volume des transactions va augmenter mais où les prix n’évolueront ni à la hausse ni à la baisse». A l’inverse, tout le monde s’accorde à dire que dans le segment haut de gamme les choses ne vont clairement pas changer à l’avantage des propriétaires.
Reflux
«Actuellement, on observe des prix en chute de 15 à 20% sur le luxe», selon le directeur du Groupe MK. Catherine Michel constate pour sa part que «dans la région de Nyon, le plus grand fléchissement de la demande concerne les maisons individuelles de plus de 2 millions de francs. Et au-delà de 3 millions, c’est devenu très compliqué.» Les ménages disposant d’un compte en banque bien garni mais qui hésitaient jusqu’à présent à investir dans un logement de standing feraient donc bien d’ouvrir l’œil afin de repérer les meilleures occasions.
Que les personnes au budget plus modeste se rassurent: il existe actuellement d’autres possibilités de s’offrir des logements à prix cassés en terres vaudoises. Ainsi, les régions périphériques du canton, qui avaient vu déferler il y a quelques années un flot de promoteurs tournant le dos à un bord du lac saturé, regorgent d’appartements et de villas de qualité affichant un panneau «à vendre». En effet, le marché se détendant sur l’arc lémanique – notamment grâce à l’aboutissement d’une série de complexes d’habitation d’envergure –, les zones moins populaires présentent les premiers signes d’un phénomène de reflux. «De belles occasions sont également à saisir dans le domaine de la revente, note la présidente de l’USPI Vaud. Avec la mise sur le marché de nombreux appartements flambant neufs, ceux de la génération précédente, moins récents mais encore en très bon état, peuvent être négociés à des prix très intéressants.»
Logements abordables encore rares
Si trouver un toit à se mettre sur la tête relève enfin (un peu) moins du parcours du combattant dans le canton de Vaud, la situation demeure tendue sur plusieurs fronts, dont celui des appartements dits abordables. Considérées comme l’un des meilleurs moyens de pallier la pénurie de logements au loyer modéré, les coopératives d’habitation «ont plus de peine à voir le jour, à une époque où les banques serrent la vis» et où le cautionnement des communes est plus difficile à obtenir, précise Anthony Collé.
Un pas vers une amélioration de la situation pourrait être franchi ces prochaines semaines si le Grand Conseil accepte le contre-projet de l’exécutif cantonal à l’initiative de l’Asloca «Stop à la pénurie de logements». Le texte prévoit la production de 5000 à 6000 nouveaux logements par an, avec un focus net sur les loyers abordables. Pour ce faire, il est prévu de créer une nouvelle catégorie de logement d’utilité publique (LUP), appelée LLA (logement à loyer abordable). Cadrés tant au niveau de leur surface que de leur prix, les LLA ne seraient pas subventionnés mais pourraient faire l’objet d’incitations communales, telles que quotas dans les plans d’affectation ou bonus de surface.
Dans l’argumentaire accompagnant le dépôt de ce contre-projet, le Conseil d’Etat regrette que le dynamisme de la construction de logements dans le canton ces dernières années n’ait amené qu’une bouffée d’air insuffisante. Ce ne sont pas les derniers chiffres de Statistique Vaud qui contrediront cette affirmation: au 1er juin 2015, le taux de vacance cantonal était de 0,7%, identique à celui de 2014. Et désespérément loin du 1,5% déterminant une sortie de pénurie, une barre qui n’a plus été franchie dans le canton depuis 1999.
«Les gros chantiers cantonaux sont majoritairement dévoués à la PPE. Or, une série d’entre eux sont encore en stand-by, faute de préventes suffisantes», analyse Yvan Schmidt, partenaire chez iConsulting. «Ce n’est pas une très bonne nouvelle au niveau des taux de vacance», poursuit-il. Son de cloche similaire chez Anthony Collé: certes, le boom de la construction de logements commencé «à la suite de la prise de conscience des années 2008-2010» n’a pas fini de faire ses effets et «on devrait voir encore pas mal de projets aboutir d’ici à 2017». Le hic? «Au-delà, on risque d’avoir une nouvelle crise du logement, car peu de grandes réalisations sont planifiables avec la nouvelle LAT (loi sur l’aménagement du territoire).» Une nouvelle hausse des prix se dessine donc pour la fin de la décennie.
Sommaire:
Vaud: les années de croissance soutenue des prix sont terminées
Genève: le marché atterrit en douceur, mais il reste cher et compliqué
Fribourg: la détente du marché vaudois menace les promoteurs fribourgeois
Valais: en plaine, les prix progressent. En montagne, ils sont sous pression
Neuchâtel: le haut du canton retrouve son rythme de croisière
Jura & Berne: un marché stable et empli de quiétude