Immobilier romand. Les prix des logements ont eu tendance cette année à se tasser dans les régions où ils avaient pris l’ascenseur. Ailleurs, là où ils étaient restés plus sages, ils ne progressent plus. La chasse aux bonnes affaires peut commencer.
Patricia Michaud et Patricia Meunier
L’inondation n’a pas eu lieu. Certains experts avaient pourtant promis la mise sur le marché de nombreux logements en 2015 en Suisse romande. Or, «malgré la présence de multiples chantiers, on ne peut pas parler d’un excédent de logements résidentiels», explique Philippe Kaufmann, responsable de la recherche immobilière au Credit Suisse. «On observe ponctuellement une offre trop importante, car il est impossible d’avoir un équilibre en tout temps dans toutes les communes», poursuit-il. Même si l’on constate que le nombre de biens proposés sur le marché a augmenté ces dernières années, le taux de vacance reste inchangé à un niveau peu élevé depuis 2001, ce qui montre que la situation reste stable.
Quelques excès, mais de petite envergure, se dessinent dans certaines régions des cantons de Fribourg et du Valais. «L’offre d’habitations y est plus dense et les prix raisonnables, car il n’y a pas eu de pénurie aiguë», explique Hervé Froidevaux, de Wüest & Partner. Contrairement aux cantons de Genève et de Vaud, où se manifeste un certain manque de biens immobiliers. Du côté de la demande, elle est désormais un peu moins forte qu’il y a quelques années. En cause, le très léger ralentissement de l’immigration. De plus, il faut encore tenir compte de l’incertitude en lien avec la mise en application, dès 2017, des contingents d’étrangers à la suite de l’initiative contre l’immigration de masse.
L’évolution des prix varie selon les régions. Selon le dernier rapport annuel sur la stabilité financière de la Banque nationale (BNS), «les déséquilibres dans de nombreuses régions suisses se sont si fortement creusés que l’accalmie actuelle du marché ne suffit pas encore à les effacer». La BNS constate également que «la surévaluation a pu quelque peu s’estomper grâce à la baisse des prix des propriétés, en particulier autour du lac Léman». Dans cette région, les prix ont ainsi légèrement baissé depuis quelques trimestres. Ce mouvement intervient en réaction à la forte hausse qui s’est produite depuis les années 2000 et que même la crise financière de 2008 n’a pas freinée. D’ailleurs, la progression se poursuit dans le canton de Neuchâtel. Dans le Jura, le marché reste stable.
Des emprunts très avantageux
L’intérêt pour la propriété du logement est, sans surprise, stimulé par l’accalmie des prix. D’autant que les taux d’intérêt pour les emprunts hypothécaires restent historiquement bas. «Cela fait plusieurs années qu’on nous prédit une remontée. Mais elle ne se produit pas», note Catherine Michel, la présidente de l’USPI Vaud.
Au contraire: après l’introduction des taux d’intérêt négatifs par la BNS, certains taux ont brièvement plongé, avant de se stabiliser à un faible niveau. Actuellement, en négociant âprement, «on peut obtenir un taux fixe à 10 ans de 1,6 à 1,8%, voire de 1,3 à 1,4% auprès de certains établissements financiers, constate Stéphane Defferrard, administrateur-directeur de la société DL. A 5 ans, on est dans un ordre de grandeur de 1 à 1,3%, contre 0,9 à 1,1% pour le Libor. Et, à moins d’un gros changement macroéconomique, il ne devrait pas y avoir de forte évolution à la hausse ces prochains temps.» De l’avis d’Yvan Schmidt, partenaire chez iConsulting, «la période est donc toujours propice au blocage des taux».
Le spécialiste observe néanmoins que «certaines banques veulent désormais limiter la durée des prêts à 10 ans, voire moins». De son côté, Stéphane Defferrard rappelle que, «contrairement à la période 2005-2012, durant laquelle on pouvait revendre son bien immobilier dans les deux ans tout en réalisant un bénéfice», il est désormais avantageux d’investir dans un logement «seulement si l’on compte le conserver un certain temps».
L’intérêt accru pour les propriétés par étage (PPE) et les maisons individuelles n’émane pas seulement de personnes désireuses de posséder leurs quatre murs. Dans son rapport, la BNS relève une hausse de l’attrait des investissements immobiliers, notamment pour les ménages. Plusieurs observateurs font le même constat: découragés par les rendements maigrichons offerts par les placements (non risqués) traditionnels, de plus en plus de particuliers s’offrent un ou plusieurs appartement(s) destiné(s) à la location. «Sur la durée, ils peuvent espérer obtenir des rendements nets de l’ordre de 4%», estime Philippe Sormani, président du CIFI. Encore plus optimistes, d’autres experts évoquent une moyenne de 5%.
Cet intérêt pour la pierre «soutient des prix immobiliers qu’on attendait plutôt en baisse», commente le cabinet de conseil Wüest & Partner dans une étude réalisée pour la Banque cantonale de Fribourg. «Encore faut-il pouvoir trouver des objets adéquats à acheter», note Yvan Schmidt. Du côté des immeubles locatifs de plusieurs appartements, le marché est «quasi monopolisé par les caisses de pension, dont les rendements sont mis sous pression par les taux d’intérêt négatifs».
Même si la combinaison entre douceur des taux hypothécaires et tassement des prix pousse de plus en plus d’Helvètes à se poser la question de l’achat d’un logement, bon nombre d’entre eux voient leur accès à la propriété entravé par les conditions strictes d’octroi d’un crédit hypothécaire. La fameuse règle des 10% de fonds propres hors 2e pilier «continue à déployer tous ses effets», note Yvan Schmidt. A tel point qu’un report de la demande se fait sentir sur le marché locatif. Et que le taux de propriétaires parmi les ménages de nationalité suisse, qui n’avait cessé d’augmenter ces dernières années pour atteindre 49% en 2013, a pour la première fois baissé en 2014, à 47,3% (selon l’Office fédéral du logement, qui attribue ce taux parmi les ménages de nationalité étrangère à 17,3%, en léger tassement). Si cette pression accrue a tendance à tirer les loyers vers le haut (+ 5% environ en moyenne, selon le partenaire d’iConsulting), elle est freinée au niveau de l’offre par la mise sur le marché «d’un nombre correct de nouveaux logements».
Le franc fort freine les affaires
Contrairement à l’industrie exportatrice, le marché de la propriété n’est pas directement impacté par la force de la monnaie suisse. Seuls certains de ses segments souffrent sérieusement. Comme les biens en vente dans les régions touristiques du pays, notamment les stations valaisannes. «Le franc fort influence à la baisse la demande de logements de la part d’une clientèle européenne qui doit désormais payer plus cher avec ses euros pour acheter en Suisse», confie Philippe Kaufmann.
Le niveau élevé de la devise helvétique incite les investisseurs étrangers à privilégier des achats immobiliers en zone euro. On observe aussi ce phénomène dans l’analyse des quotas pour les achats de résidences par des non-résidents. Jusqu’à présent, ils étaient toujours remplis à leur maximum. Désormais, ils ne sont pas pleinement utilisés. Le plus gros impact sur l’immobilier de l’évolution de la devise helvétique se situe sans surprise ailleurs: en provoquant un ralentissement de la conjoncture à l’échelle nationale, le franc fort incite tous les acteurs du marché (privés et commerciaux) à la prudence. Une prudence bienvenue après des années de folie? Tout dépendra de son ampleur…
Les gains des propriétaires
Posséder son logement permet de diminuer ses charges mensuelles de parfois plus de moitié. Exemple.
La motivation première des futurs propriétaires est le potentiel d’économies sur les charges de logement. Administrateur et directeur de la société de conseil DL, Stéphane Defferrard donne un exemple concret: «Pour un appartement de 5,5 pièces d’environ 150 m2 comportant deux places de parc à Fribourg, vos dépenses en tant que locataire se situeraient autour de 2800 francs par mois. En tant que propriétaire, et en admettant que le prix d’achat soit de 850 000 francs, votre charge mensuelle serait d’environ 2000 francs avec un taux fixe à 10 ans de 1,5%.» La charge en question se composerait des éléments suivants: les intérêts du prêt à 80% (850 francs par mois), les frais d’entretien effectifs (450 francs par mois) et l’amortissement (700 francs par mois). Ce dernier poste de dépense n’étant rien d’autre que de «l’épargne forcée», le coût réel de ce logement avoisinerait 1300 francs par mois.
Sommaire:
Vaud: les années de croissance soutenue des prix sont terminées
Genève: le marché atterrit en douceur, mais il reste cher et compliqué
Fribourg: la détente du marché vaudois menace les promoteurs fribourgeois
Valais: en plaine, les prix progressent. En montagne, ils sont sous pression
Neuchâtel: le haut du canton retrouve son rythme de croisière
Jura & Berne: nn marché stable et empli de quiétude