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Profession: tueuse en série

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Jeudi, 1 Octobre, 2015 - 05:46

Rencontre. Kathrin Hirsbrunner compte plus de 80 000 exécutions à son actif. Ses victimes? Des campagnols et des taupes, nuisibles pour les agriculteurs. Reportage dans les champs.

Sabine Pirolt

«Crac!» Le bruit est bref et glace le sang. C’est celui que Kathrin Hirsbrunner produit en étirant la colonne vertébrale du campagnol qu’elle tient entre ses mains. Il vient de passer de vie à trépas en une seconde. Ni une ni deux, elle pose le minuscule cadavre sur l’herbe verte à côté d’un autre qui gît au pied d’un des 200 pièges dont elle a parsemé le champ. Il s’agit d’un tube métallique, qui se termine par un tunnel. Elle l’installe dans une des galeries creusées par les campagnols. Le piège se déclenche à partir d’une poussée de huit grammes. «J’ai attrapé le mâle et la femelle. Il doit y avoir encore des petits, car la mère a des tétines.» Bienvenue dans le royaume de la seule «taupière» de Suisse.

La Bernoise parcourt le champ de deux hectares, l’oreille aux aguets. Lorsqu’un campagnol est capturé sous terre, en surface, un clapet métallique se rabat et donne l’alerte. «Clac!» Le bruit provient d’un piège à quelques mètres de là. «Dès que j’entends ce bruit, j’y vais le plus vite possible, je ne veux pas laisser l’animal souffrir trente minutes ou une heure.» Kathrin Hirsbrunner s’approche et sort délicatement l’engin du sol. Il est rempli de terre. Visiblement, certains rongeurs font de la résistance. Certains jours, ses seules prises ne sont que des monceaux de terre. «C’est frustrant. C’est comme si les campagnols avaient congé: ils ne parcourent pas les couloirs de leur maison mais se contentent de recouvrir de terre les objets intrus qu’ils y découvrent. Ils ont raison de faire ça: ils ne veulent pas d’imposteurs chez eux.» La quinquagénaire nettoie le tube et le remet en place. Il lui faudra encore un peu de patience, comme au chat roux, qui, dans un champ voisin, attend de capturer une proie depuis plus d’une heure.

Pitié pour les victimes

En moyenne, une journée se solde par la destruction de 150 rongeurs. Dans les plantations d’arbres fruitiers, elle n’en capture que 50 à 70, car les déplacements d’un piège à l’autre prennent plus de temps. Au fait, pourquoi s’en prendre à ces pauvres bêtes? «En creusant leurs galeries, elles forment des tas de terre, truffés de cailloux, sur la surface d’un champ. Lorsque le paysan fauche l’herbe, la terre qu’il embarque avec sa récolte forme des gaz dans le silo, sans parler des cadavres de rongeurs qui pourrissent dans le foin et risquent d’empoisonner une vache.» Autre problème d’importance: au fil des années, les amas de terre prennent le dessus sur les surfaces d’herbe. Adieu les récoltes. Quant aux plantations d’arbres fruitiers qui abritent des souris, elles finissent mal: en hiver, les racines servent de festin aux rongeurs. «J’ai eu un mandat dans une plantation au Luxembourg. J’y ai travaillé une semaine. Ils avaient perdu 30 000 arbres. Je leur ai proposé de former quelqu’un. C’est une activité qui demande de la discipline: il faut attraper jusqu’à la dernière souris, sinon, ça recommence à zéro.»

Tendresse pour les taupes

C’est l’heure de la pause café. Verena, collaboratrice et amie de Kathrin, une ancienne libraire, a mis une casserole d’eau sur le petit réchaud à gaz installé dans la voiture. Au fait, n’ont-elles jamais pitié de leurs victimes? Elles répondent, comme un seul homme: «Bien sûr que oui!» Et de décrire les petits qu’elles attrapent parfois par deux, dans un même piège, «comme s’ils jouaient à se poursuivre dans les galeries». Kathrin Hirsbrunner, elle, a une tendresse particulière pour les taupes. «Elles sont mignonnes et si belles avec leur fourrure soyeuse. Mais je comprends le problème, d’autant plus qu’une taupe a besoin de 150 mètres de corridors pour vivre. Ça en fait, de la terre sur les champs…» Lors de ses premiers mandats, la Bernoise est même rentrée chez elle, sans avoir eu le cœur à en attraper et donc sans salaire. «J’ai fini par me dire que cela n’avait pas de sens.» Depuis, elle s’est bien rattrapée. A ce jour, elle comptabilise quelque 80 000 prises, dont 24 000 uniquement à l’aérodrome militaire d’Emmen. «J’y ai travaillé deux mois par année, durant trois ans, et je fais des contrôles deux fois par année. Les campagnols attirent les oiseaux, dont la présence peut être dangereuse pour les avions.»

Chaque automne, en octobre, elle part travailler dans les Grisons, où elle donne des cours aux paysans. «J’en ai déjà formé vingt-deux. Dans certains champs, il ne reste plus que 30 à 40% d’herbe. Je facture une journée 900 francs. A long terme, ne pas agir coûte bien plus cher.» Il faudra au moins trois ou quatre ans aux agriculteurs grisons qui la mandatent pour attraper tous les campagnols. Là-bas, en altitude, l’herbe est tellement riche et les vers de terre si dodus que les rongeurs sont plus fertiles. Alors qu’en plaine, le poids moyen d’un adulte est de 100 à 130 grammes, là-haut, il est de 200 grammes. «Il m’est même arrivé d’attraper un campagnol de 19 centimètres de long. J’ai écrit à l’Université de Zurich, ils étaient fascinés par ma prise.»

Alors que les deux femmes sont occupées, le chat roux, bredouille, s’est approché d’un des pièges qui ont bien fonctionné. Il se sert et repart bien vite avec deux dépouilles dans la gueule. Pas grave, de toute façon, à la fin de la journée, les autres dépouilles seront déposées au bord de la forêt pour les renards, notamment.

Si les agriculteurs sont soulagés par l’action des deux «taupières», il arrive que leur présence dans un champ provoque des réactions violentes de la part de promeneurs. «Certains sont très agressifs. Ils nous traitent d’assassins et de trous… Plus nous travaillons près des villes, plus c’est le cas. Une personne a même pris mon numéro de plaque minéralogique pour me dénoncer à la police. Les gens pensent que le lait vient de la Migros… Alors j’ai fait des panneaux pour expliquer notre activité.»

Reconversion

Kathrin Hirsbrunner n’a pas toujours parcouru les champs, aux trousses des souris. D’abord sculptrice, elle a ensuite travaillé avec des personnes handicapées ou souffrant de troubles psychosociaux. «Au bout de douze ans, j’avais envie de me mettre à mon compte, d’avoir une activité en plein air qui me permettrait de bouger.» Alors qu’elle cherchait une bonne idée, un reportage sur le dernier taupier professionnel de Suisse lui est revenu à l’esprit. On est alors en octobre 2004. «L’hiver durant, j’ai lu, sur internet et dans les bibliothèques, tout ce que je trouvais sur les campagnols. Mais, avec l’expérience, je peux dire que la moitié ne joue pas.» Les premières semaines, elle s’est fait la main, bénévolement, chez les agriculteurs. Aujourd’hui, elle croule sous les demandes. Son emploi du temps dépend de nombreux facteurs: la météo, la géographie d’un champ, la date de fauche – elle intervient deux ou trois jours après pour une meilleure visibilité –, la saison. «Je fais deux mois de pause par année: janvier et février. Le premier mois, je m’occupe de la paperasse, le deuxième, je m’envole dans une autre partie du monde pour faire du parapente. Et je ne pense plus aux souris…»

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Dominic Büttner
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