Eclairage. Alors que des milliers de «populaires» s’apprêtent à prendre, dimanche 4 octobre, le départ de Morat-Fribourg, le psychologue et psychothérapeute Nicolas Duruz publie un petit ouvrage dans lequel il dresse une typologie des différentes manières de courir.
Stéphane Gobbo
Impossible de faire deux pas en ville ou à la campagne sans croiser de joggeurs. Chaque année, la course à pied attire de nouveaux adeptes, en témoigne le succès exponentiel des compétitions populaires. Psychologue et psychothérapeute, Nicolas Duruz s’y est mis lui aussi, mais sur le tard. Il avait 60 ans, c’était en 2003, lorsque son fils l’a défié de prendre avec lui le départ des 10 kilomètres de Lausanne. Le plaisir de courir fut si grand que celui qui est aujourd’hui professeur honoraire de psychologie clinique à l’Université de Lausanne n’a depuis jamais arrêté. «Mais sans que cela devienne une addiction», précise-t-il.
Nicolas Duruz publie aujourd’hui un petit ouvrage* dans lequel il fait part de son expérience, centrée sur l’impression que l’acte de courir lui permet de pleinement vivre l’instant présent et de se ressourcer intérieurement grâce à un effort soutenu mais non forcé. Dans la seconde partie de son essai, il dresse une typologie du courir basée sur une grille anthropologique établie par le psychanalyste belge Jacques Schotte. Celle-ci permet de classer tous les types de production humaine, il l’a adaptée à la course à pied pour postuler qu’il existe quatre façons de courir, sans que l’une élimine l’autre.
Courir contactuel
«Habiter le monde de manière contactuelle, c’est vivre ce monde en faisant l’expérience de lui être rattaché par un lien primordial», écrit Nicolas Duruz. Le coureur contactuel se vide la tête, voit des idées surgir et repartir aussi vite. Il appréhende le monde en le respirant, il est dans l’immédiateté du geste, à l’écoute de son corps et du monde qui l’entoure. «C’est une manière de vivre le temps et l’espace autrement, sans se préoccuper du chronomètre, explique le psychologue. C’est le premier état du coureur, on se sent bien, quelque chose résonne en nous sans que l’on ait besoin de se poser la question du «Qui suis-je?».
Courir performant
«Lorsqu’on court performant, notre corps est comme un objet devant nous, le temps et l’espace sont objectivés. On devient alors un technicien, on se spécialise, mais on perd le lien avec la sensation du monde environnant. S’inscrire à une course, c’est faire vibrer cette dimension performance, puisqu’il y a un coup de feu au départ et un classement à l’arrivée. La route n’est plus sentie, mais mesurée. On se concentre sur l’effort forcé, sans laisser sa pensée vagabonder.»
Courir collectif
Il est ici question du vivre ensemble. Du plaisir et du surplus de motivation ressentis lorsqu’on court au sein d’un groupe. «C’est une sensation qu’il fait bon expérimenter, mais il faut respecter une éthique sportive, parce que le vivre ensemble implique des règles. Et si l’on est reconnu quand on les respecte, avec la satisfaction qui en découle, on est éjecté dans le cas contraire.» Lorsqu’on court collectif, anonyme au sein d’une foule, on se situe également par rapport à la communauté des non-coureurs, dont le regard peut être «bienfaisant en tant que source de reconnaissance», mais aussi «aliénant lorsqu’il véhicule exagérément des normes de conduite qu’il faut satisfaire à tout prix».
Courir motivé
«Après quel idéal court-on quand on court? Qu’est-ce qui nous anime, qu’est-ce qu’on veut se prouver? Le coureur motivé se construit dans ses idéaux et ses fantasmes.» Courir motivé, c’est aller au-delà de la performance, être porté par une passion qui nous pousse à aller au-delà de nos limites. En ce qui le concerne, Nicolas Duruz avoue privilégier le courir contactuel, pour le plaisir simple de se sentir en syntonie avec le monde environnant. Il est néanmoins parvenu en 2009 à courir le semi-marathon de Lausanne en moins de deux heures!
* «Dis-moi pourquoi tu cours – Comment la course à pied nous révèle à nous-mêmes». De Nicolas Duruz. Ed. Médecine & Hygiène, 120 p.