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Élisabeth Lévy, causeuse «pas de gauche»

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Jeudi, 21 Novembre, 2013 - 05:55

L’emmerdeuse.A la tête de «Causeur», magazine qui a provoqué controverse avec  son «Manifeste des 343 salauds», elle revendique une pensée libre.

Une pétroleuse. Le genre de fille avec jerricane d’essence et phrases allumettes, capable de vous transformer le briefing d’une rédaction en bataille rangée, hurlantes et claquages de portes. Le genre de fille qui ne s’en excuse jamais: elle demeure de celles qui voient la vie dans le conflit, l’éblouissement dans la polémique. Depuis trois semaines, elle est servie, Elisabeth Lévy, fin de quarantaine sexy, yeux bleu-vert comme deux lampes-torches qu’elle vous balance dans la gueule, gouaille parigote et verbe fort.

Elle est servie parce que le «Manifeste des 343 salauds» (lire L’Hebdo du 7 novembre), publié par le magazine Causeur, et qui entend s’élever contre la pénalisation des clients de la prostitution, a mis – comment écrire ça avec nuance? – un bordel intégral, quasi international. On ne parle bientôt que de ça, de Paris à Berne en passant par Stock­holm: interdire ou non, pénaliser ou non le travail des filles de joie ou leur clientèle?

Lazzis et insultes. Miss Lévy, à la tête de la rédaction du mensuel Causeur, a tout entendu depuis quelques jours. Les lazzis des féministes historiques (échauffées par la référence sacrée aux 343 «salopes» luttant pour l’avortement dans les seventies), les cris de la gauche au pouvoir (en plein projet abolitionniste de la prostitution), les rétractations molles du slip de certains signataires fameux (Nicolas Bedos, ridicule), et les insultes en prime. «Sur un site, je me suis fait traiter de «merde déguisée en jolie fille»; au moins, il y avait un peu de positif. J’étais plus choquée par ceux qui ont qualifié le journal de foyer microbien.»

Elle vous dit ça derrière un coup de rouge, dans ce restaurant italien du VIe parisien où elle vous a donné rendez-vous. Durant un moment, la conversation vire anciens combattants: Elisabeth Lévy connaît bien la Suisse, elle y a travaillé à Lausanne, au sein de la rédaction du Nouveau Quotidien (l’ancêtre canaille du Temps) entre 1993 et 1995, et fit ensuite quelques piges pour L’Hebdo. «J’en garde un très bon souvenir, et je ne suis pas de ces Français qui ironisent sur la Suisse. J’y ai côtoyé des gens formidables. D’autant que le NQ, ce n’était pas tout à fait la Suisse. Je saute sur chaque occasion de revenir voir des potes. Un journaliste comme Alain Campiotti, qui dirigeait la rubrique étrangère, est l’un de ceux qui m’ont appris à penser: c’est-à-dire à penser par moi-même.»

Sur le mont Igman. C’est durant un reportage dans la Bosnie en guerre pour le quotidien romand qu’elle rencontre pour la première fois le philosophe Alain Finkielkraut, demeuré un ami proche: «Nous étions au sommet du mont Igman, au-dessus de Sarajevo, pour une interview. On s’est tout de suite entendus, sans forcément être d’accord.»

Voilà le truc, le seul à connaître. Pour supporter Elisabeth Lévy, pour tenir ses nerfs, autant le savoir d’entrée, et prendre régulièrement une grande respiration: ne pas suivre «la pensée dominante», ne pas être d’accord, y compris avec ses collègues et amis, fait intrinsèquement partie de sa manière. Elle en a d’ailleurs fait le slogan de Causeur.

Ses parents sont des Français d’Algérie, juifs nés au Maroc. Père médecin, mère pharmacienne. Elle est venue au monde à Marseille, mitan des sixties, enfant du milieu entre une grande sœur et un petit frère. Adolescence passée dans les livres, partout et tout le temps, table familiale où l’on remettait le couvert à coups d’engueulades régulières sur la politique et le reste, notamment avec son père. Après ses études, Elisabeth Lévy tente le concours chic de l’Ecole nationale d’administration, l’ENA, mais ne réussit pas. «J’aime profondément la France, l’idée de la France, la République, la laïcité, la démocratie. J’avais déjà envie de défendre ça.»

Finalement, elle se décide pour un stage de journalisme à l’Agence France-Presse, en 1987, où elle gagne ses premiers galons d’emmerdeuse: «Tous les matins, je faisais le tour des bureaux, demandant et insistant pour avoir quelque chose à faire.» Un mélange de chienne de chasse et de séductrice bavarde, le cocktail est rare et efficace, elle se fait vite remarquer. «Je crois vraiment que mon principal talent, c’est les gens que j’ai pu rencontrer.» Elle cite l’essayiste Philippe Muray, ou Philippe Cohen, collègue qui vient de décéder et qu’elle fréquenta en travaillant autrefois pour l’hebdomadaire Marianne.

Bande hétéroclite. Elle a ainsi peu à peu formé dans Paris un genre de bande, hétéroclite, émargeant tous azimuts: Eric Zemmour ou Finkielkraut, Franz-Olivier Giesbert (le directeur du Point) ou Frédéric Beigbeder (qui lui a soufflé l’idée du manifeste des «salauds»). Elle parle volontiers à ceux qu’elle combat, trouve qu’il est important d’interviewer Marine Le Pen. «Je suis d’une grande logique dans la discussion. J’aime aller au bout des raisonnements, c’est aussi pourquoi je donne l’impression de m’imposer parfois en force quand je débats. Je n’ai pas peur de la castagne. J’aime essayer de faire entrer du grésillement dans le consensus. Et quand j’interroge Marine Le Pen dans Causeur, ma première question, c’est: vous dites: “On n’est plus chez nous.” C’est qui “on”, et c’est qui “nous”?»

Quand on cherche à la classer à droite (au choix, pour ses adversaires: réac, facho, crypto lepéniste, identitaire, assimilationniste, etc.), elle se cabre. «Je ne suis pas de gauche, c’est vrai. C’est la seule étiquette que je revendique. Mais quand j’écoute Zemmour sur l’avortement, je me sens de gauche, les choses sont plus nuancées que les étiquettes.»

Ce qui la rend folle, c’est ce qu’elle appelle «le camp du bien». Une posture centre gauche bien-pensante, souvent, et sûre d’avoir raison, tout le temps. Alors elle agace, sans relâche. Elle en a aussi fait un livre en 2002, Les maîtres censeurs (Lattès). Côté vie privée, pas mariée, pas d’enfant par choix, amours compliquées, un goût pour les hommes qui séduisent, et un sens de la formule qui tue: «Je refuse de vivre dans un monde où les hommes ne seraient plus des obsédés sexuels.»

Bonne cliente. Devenue bonne cliente radio-télé, toujours prête sur les plateaux (Giesbert autrefois, RTL, Taddeï) à la bagarre idéologique sur les sujets qui fâchent («un demi-Xanax avant une émission, tout de même. Et, ces temps-ci, parfois un entier»), elle est désormais la directrice de la rédaction de Causeur. Lancée comme un site internet en 2007, avec 4000 abonnés, la plateforme est devenue mensuel papier en kiosque depuis avril 2013. On y croise par exemple les plumes de Roland Jaccard ou de Basile de Koch, ou Finkielkraut, dans un univers idéologique qui penche quand même le plus souvent à droite, tendance libres penseurs. L’actionnaire de référence, Gérald Penciolelli, tenta brièvement durant les années 90 de faire de Minute une sorte de Canard enchaîné de droite: info, humour, provoc. Mais ça ne marcha pas.

Causeur renouvelle ainsi le genre, débats forts et pimentés, polémiques, ton très éditorialisant, avec désormais entre 10 000 et 15 000 ventes par numéro («il nous en faudrait 20 000 régulièrement pour respirer vraiment»). Mais Elisabeth Lévy se marre: «Au fond, on n’a pas un rond pour la promo. Alors ce buzz autour des “salauds” et de notre cover “Touche pas à ma pute!”, que cela serve au moins à ça.» Elle vous embrasse façon femme pressée. Elle s’en va en marchant très vite.

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Roberto Frankenberg
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