Eclairage. La montée de l’UDC dans les années 1990 a été sous-estimée, tout comme son recul en 2011. De même, on néglige d’interroger les conséquences de son hégémonie électorale sur la gouvernabilité de la maison suisse.
Chantal Tauxe
Pour bien comprendre le choc que l’hégémonie de l’UDC a créé dans le paysage politique suisse, il faut jeter un bref coup d’œil en arrière. Pendant presque tout le XXe siècle, PLR et PS se sont disputé la position de premier parti du pays, souvent dans un mouchoir de poche. En 1919, lors de l’introduction de la proportionnelle pour le Conseil national, le PLR pèse 28,8%, le PS 23,5%. En 1928, les deux sont à égalité avec 27,4% des suffrages. En 1931, le PS devient le premier parti de Suisse avec 28,7% des voix (26,9% pour le PLR).
Un demi-siècle de domination du PS
Cette domination du PS en termes de suffrages va durer plus d’un demi-siècle, jusqu’en 1983. Cette année-là, le PLR reconquiert son rang historique de premier parti du pays avec 23,3% contre 22,8%. Le PS repasse devant en 1995 avec 21,8% contre 20,2%.
Longtemps, depuis 1943, l’UDC navigue entre 11 et 12% des voix. Personne n’imagine que le partenaire junior de la coalition gouvernementale va doubler les grands partis.
Son essor entre 1995 et 1999 est prodigieux: en quatre ans, le parti gagne 8,6 points, du jamais vu dans le système proportionnel. De plus petit parti gouvernemental, il se hisse du quatrième au premier rang, ex æquo en voix avec le PS (qui obtient toutefois plus de sièges que l’UDC).
En 2003 comme en 2007, les sondages annoncent de nouveaux records pour la formation prise en main par Christoph Blocher, mais le résultat final sera encore supérieur à leur estimation. Du coup, pour 2011, les sondages attribuent à l’UDC 29,3% des intentions de vote, malgré la scission qui s’est opérée avec le PBD en 2008. L’UDC enregistre toutefois la première inversion de tendance depuis 1987, elle ne glane que 26,6% des voix, tout en se maintenant largement au-dessus des autres, qui ne parviennent plus à toucher la barre des 20% de l’électorat.
Si l’affaiblissement du centre puis son émiettement entre PDC, Vert’libéraux et PBD ont été beaucoup décrits, les conséquences sur la gouvernabilité de la Suisse ont été peu discutées. La plupart des analyses continuent à se référer à la polarisation de la politique fédérale entre PS et UDC, alors qu’au Conseil national ce sont les partis du centre et le PLR qui enregistrent le plus grand succès (voir tableau SmartMonitor ci-contre). Le taux de réussite des partis devant les Chambres ou dans les votations populaires semble ne pas constituer un élément digne d’être porté à la connaissance des électeurs.
L’analyse manichéenne stérile explique en partie la difficulté du Conseil fédéral à faire aboutir de grandes réformes comme les retraites ou à mener une politique étrangère conséquente. La vertu du compromis n’est plus valorisée, l’illusion que les solutions extrêmes, proposées par les uns ou par les autres, pourront fonctionner s’est bien installée. Le fossé entre les choix des électeurs et ceux des votants se creuse. L’électorat privilégie l’UDC et le PS, mais vote comme le PDC et le PLR. Le taux de succès lors des votations populaires est de 71% pour ces deux partis, alors que le PS est à 59% et l’UDC à 54%. Un résultat paradoxal pour un mouvement qui se présente comme le plus en phase avec les préoccupations du peuple.