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La Havane, cette ville qui donne envie de chanter et de danser

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Jeudi, 8 Octobre, 2015 - 05:49

Récit. Carnet cinématographique d’une Havane en mode accéléré. Bars branchés, théâtres et ballets décatis, le voile se lève sur le paradoxe de la capitale cubaine.

Eileen Hofer

Pour réaliser mon documentaire «Horizontes», j’ai séjourné trois mois à La Havane entre 2012 et 2013. Aujourd’hui, je découvre un brin perplexe les selfies de Paris Hilton au côté de Fidelito, fils du Líder Máximo. Impossible de ne pas sourire devant la papamobile qui, le mois dernier, fendait une foule de fidèles sur la place de la Révolution. Le changement était certes attendu depuis l’effondrement du bloc soviétique mais le processus s’est accéléré avec Raúl au pouvoir.

Durant mes trois séjours, j’ai découvert une Havane culturellement riche et économiquement misérable. On connaît la ville pour ses cigares, son rhum et ses Chevrolet. Pour les daïquiris qu’Ernest Hemingway descendait avant de se descendre lui-même. On connaît Cuba pour ce portrait du Che immortalisé par le photographe suisse René Burri et ces CD piratés du Buena Vista Social Club, glanés 1 dollar dans la rue. Grâce à mon documentaire, j’ai découvert le gène manquant de cette culture caribéenne: le ballet.

Alicia Alonso, aujourd’hui 94 ans, est l’une des prime ballerine assolute les plus respectées du monde. Cofondatrice du Ballet national de Cuba, financé par Castro dans les années 60, elle a servi d’ambassadrice au régime et fait de la danse, réservée jusque-là aux élites, un art populaire. Aujourd’hui, la diva possède ce je ne sais quoi de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard. Elle ressemble aussi à ce Cuba, épuisé, qui vit le crépuscule du castrisme.

Durant trois mois, j’ai vécu au cœur du Vedado, au rythme des pas chassés des danseurs. Dans ce quartier colonial, où logeaient les familles aisées avant la révolution, la plupart des institutions culturelles, à l’instar de la compagnie de danse, y siègent.

«Dos Gardenias para ti…»

Mon immeuble surplombe la mer et la Tribune anti-impérialiste José Martí qui nargue l’ambassade des Etats-Unis. A l’étage supérieur, une dame âgée chantonne Dos gardenias para ti… J’imagine Omara Portuondo arrosant ses plantes, un foulard coincé sur ses cheveux. La chanteuse du Buena Vista Social Club est la voisine d’Emilio Bonne, le propriétaire de ma maison d’hôtes. Alors, quand la chanteuse n’est pas en tournée, je partage l’ascenseur avec elle. En apnée, car elle m’impressionne. A deux numéros de là: Miguel Capote. Ce physiothérapeute frôle les 200 ans mais sa dextérité notoire fait que les étoiles européennes, comme Tamara Rojo et Carlos Acosta du Royal Ballet de Londres, s’entraînent encore chez lui durant leur pause estivale.
A cinq minutes à pied, sur l’avenue G, une bâtisse coloniale abrite le Musée de la danse. Un vieux cerbère lit Granma, le journal officiel du PCC (le Parti communiste cubain) tandis qu’un chat joue avec une balle en papier. Les deux étages rendent hommage à la carrière d’Alicia Alonso. Ici avec Noureev, là avec Balanchine, un peu plus loin avec Castro. Peintures, sculptures et dessins à l’effigie de l’étoile ponctuent la visite. En sortant, on se demande si Youri Gagarine, autre héros communiste, possède, lui aussi, un mausolée poussiéreux en Russie.

Du Vedado à la Havana Vieja

Pour fuir l’ardeur estivale, direction la cinémathèque de la Calle 23. Elle se trouve à côté de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC) qui fut le premier acte culturel de la révolution. Désuète, la cathédrale du septième art honore cette semaine Romy Schneider. L’entrée coûte 2 centimes. Une ancienne VHS projette César et Rosalie de Claude Sautet sur un écran fatigué.

Je remonte la Calle 23 pour rendre hommage au cinéma et à la danse autour d’une glace. Fresa y chocolate de Tomás Gutiérrez s’est tourné au Coppelia, un glacier connu pour son interminable queue. Je me faufile parmi les locaux. Aujourd’hui, ni fraise ni chocolat. Voilà qu’une noix de coco côtoie une boule vanille. «A Cuba, tu manges ce que l’on te donne», me lance, amusé, mon voisin de table. Je finis ma glace et extrais de mon sac La Havane année zéro de Karla Suárez. Le livre met en scène, en 1993, une société épuisée, à court de vivres et de rêves.
Déambuler dans le Vedado, c’est saluer une grand-mère qui brode tout en faisant grincer sa chaise à bascule sur une terrasse ombragée. C’est deviner l’écho d’un acteur en répétition au Théâtre Mella ou au Centre culturel Bertolt Brecht. C’est aussi se rafraîchir l’esprit autour d’un mojito dans les jardins du mythique Hotel Nacional.

Ce quartier se trouve à moins de 5 km du tumulte touristique de la Havana Vieja. Pour découvrir la vieille ville, je longe la jetée, le Malecón, dans la carcasse d’une américaine des années 50. La radiocassette de ce taxi collectif crache un reggaeton, sorte de ragga chanté en espagnol avec des influences hip-hop, tandis qu’une métisse aux formes généreuses glousse dans les bras de son petit ami.

En vieille ville, je découvre les sites historiques comme le Capitolio – une réplique de celui de Washington – ou la cathédrale. Je me perds dans les ruelles délabrées avant de retrouver, soulagée, la rue piétonne Obispo. Je sirote une limonade fraîche et déguste une langouste grillée à l’Hotel Inglaterra, sur le Paseo de Marti. Ce bâtiment à la façade néoclassique se trouve à quelques encablures de l’Ecole nationale de ballet. L’occasion de voir à la sortie des classes une horde de fillettes qui, le cheveu coincé dans un chignon, se pressent vers les «oua oua», ces bus publics.

Sur le même Paseo, les habitants, du boucher au chirurgien, se hâtent. Ce soir, le ballet Giselle est dansé au Gran Teatro. Ce théâtre représente l’âge d’or des Caraïbes, où les célébrités transitaient par l’île avant de rejoindre les Etats-Unis. Derrière le rideau, on sent les présences fantomatiques d’une Sarah Bernhardt, d’un Caruso. Mais la voilà! Stupeur et tremblements, le public se lève pour applaudir Alicia Alonso. L’immortelle a fait de ce haut lieu de la culture son siège et de sa venue un protocole digne d’une reine.
Un dernier verre au Floridita

A l’issue du spectacle, je rejoins la statue d’Ernest Hemingway pour un dernier verre au Floridita ou je tente le Sloppy Joe’s Bar, une autre adresse de l’auteur américain. Cet établissement accueillait les stars hollywoodiennes comme Nat King Cole, Clark Gable ou encore Frank Sinatra; mais voilà, le champagne a cessé de couler avec l’arrivée de Castro. Situé en plein centre historique de la ville, le bar a rouvert ses portes en 2013 après un fidèle lifting.

Avinée, je titube jusqu’à la rue Neptuno où, grâce à Mariela Castro, la fille de Raúl, les travestis se pavanent librement, perchés sur des chaussures à plateforme, et proposent des cabarets cocasses. Je m’assieds enfin sur le muret du Malecón comme de nombreux couples et observe l’infini d’une mer agitée. J’imagine ces amoureux rêvant de cet ailleurs lointain qu’un jour, peut-être, ils auront la chance de découvrir.


4 coups de cœur

Danse (photo) Le Festival international du ballet accueille les créations des compagnies cubaines et monde entier. Prochaine édition: octobrenovembre 2016.
Cinéma La cinémathèque de Cuba, Calle 23, juste à côté de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC).
Bar Le Sloppy Joe’s Bar, à l’angle des rues Zuleta et Animas, où aimait aller boire Ernest Hemingway.
Logement Casa particular de Emilio Bonne, 50 francs pour deux, déjeuner inclus. emilio.bonne@nauta.cu


L’auteure
Eileen Hofer

Eileen Hofer est née en 1976. Installée à Genève, elle travaille comme journaliste, blogueuse (eileenexpresso.com) et cinéaste. Elle signe Horizontes, actuellement sur les écrans.

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