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«Poutine est féru de stabilité»

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Jeudi, 8 Octobre, 2015 - 05:52

Interview. Biographe du président russe, Hubert Seipel évoque la relation de celui-ci avec le dictateur syrien Bachar el-Assad et explique pourquoi il est si mal compris en Occident.

Propos recueillis par Britta Sandberg et Matthias Schepp

A l’Assemblée générale de l’ONU, Vladimir Poutine a décrit le président syrien comme un courageux combattant du terrorisme. Quels sont ses liens avec Assad?

Ce n’est pas une relation amoureuse. Pour Poutine, le président syrien est un pion important, utile. La Russie le soutiendra jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. En novembre 2012, Poutine m’avouait déjà clairement: «Je ne tiens pas personnellement à Assad.»

Que veut atteindre Poutine avec son aide militaire à la Syrie?

Assad et son armée sont un facteur stabilisateur dans un pays en ruine. Assad tient toujours les villes peuplées de l’ouest du pays. La base militaire russe du port de Tartous n’est pas négligeable. Voilà des décennies que Moscou entretient des rapports étroits avec Damas. Ce qui compte surtout pour Poutine, c’est qu’on n’ait pas, avec la Syrie, un nouvel Irak, une nouvelle Libye.

Comment peut-il miser sur Assad qui porte une responsabilité évidente dans la guerre civile?

On oublie qu’en 2012 déjà Poutine avait proposé de former un gouvernement de transition comprenant le régime Assad et l’opposition. Ensuite de quoi Assad aurait dû s’en aller. Mais à l’époque, les Etats-Unis et l’Arabie saoudite insistaient pour un départ immédiat du dictateur. Aujourd’hui, nous avons 200 000 morts de plus et des millions de Syriens en fuite. Poutine est féru de stabilité, il faut le savoir pour comprendre le personnage. En considérant son parcours, vous verrez qu’il ne hait rien tant que le chaos.

Poutine ne tient-il pas plutôt à rouvrir un dialogue avec l’Occident après la brouille au sujet de l’Ukraine?

Poutine a une politique agressive, tout comme Obama. Et comme François Hollande s’y essaie parfois.

Et sa stratégie se réalise?

Oui, en mettant en garde contre l’ingérence de l’Occident au Moyen-Orient, la Russie a eu raison. Poutine s’est aussi octroyé la Crimée; la chute de l’économie russe n’est pas aussi grave que prévu malgré les sanctions; dans l’accord avec l’Iran sur le nucléaire, le rôle de la Russie a été décisif. Et en Syrie il n’y aura pas de solution sans Moscou. Qu’on le veuille ou non, la Russie sera un interlocuteur de l’Occident. En ce moment, Vladimir Poutine plane au septième ciel.

Vous qui le connaissez bien, vous trouvez Poutine sympathique?

On le diabolise: froid, cynique, KGB un jour, KGB toujours… J’ai tout entendu. Mais en entretien il est direct, il a du charme et il argumente. Parfois il est ironique, parfois sensible. Il dispose d’un large éventail pour convaincre.

En privé, Poutine est-il aussi glacial que dans son apparence publique?

Non, je ne le trouve pas du tout froid. Je l’ai connu dans des situations très différentes: lors de nos entretiens sur la Syrie et le Moyen-Orient, il était serein, il analysait sans émotions. Il en est allé tout autrement à propos de l’Ukraine et du tir sur le vol MH17 de Malaysia Airlines avec ses 298 morts. Là, il s’est vraiment senti touché.

Par compassion pour les victimes ou par crainte des conséquences?

Les deux. Sur le plan politique, il était clair qu’on aurait une escalade en Ukraine. Et le reproche massif qui lui a été fait d’incarner ce massacre de masse ne l’a pas laissé indifférent. Même si, d’ordinaire, il vit aisément avec son image de mauvais garçon.

Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer?

Quand, au début, je lui ai demandé pourquoi la Russie ne se ralliait pas aux valeurs de l’Occident, il m’a répondu: «Je dois être ce que mon peuple attend de moi. Après tout, je ne suis pas candidat au poste de chancelier de l’Allemagne.»

Vous écrivez que pour Poutine, l’Occident a franchi une ligne rouge avec le conflit autour de l’Ukraine.

Ce qui est vendu comme une croisade de l’Occident au nom d’un surcroît de démocratie, Poutine le voit comme une tentative de réduire l’influence de la Russie pour étendre l’UE et l’Otan à l’Ukraine. Poutine savait que le stratège américain Zbigniew Brzezinski envisageait, en 1997 déjà, une telle extension à l’Est. Sans l’Ukraine, la Russie n’est plus un empire, et Poutine ne saurait le permettre. Aussi estime-t-il qu’on lui applique la règle de deux poids, deux mesures lorsqu’on lui reproche de vouloir rétablir l’Empire soviétique.

Pourtant, dans son discours sur l’état de la nation de 2005, il a lui-même décrit «l’effondrement de l’Union soviétique comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle».

Il voulait dire qu’avec l’effondrement de l’URSS, 25 millions de Soviétiques se sont retrouvés d’un jour à l’autre dans d’autres Etats. Personnellement, je n’ai pas identifié de signes revanchards chez Poutine. Il est beaucoup trop adepte de la réalpolitique pour songer, par exemple, à attaquer les Etats baltes. Il sait que ce serait le début de la troisième guerre mondiale.

Concernant l’occupation de la Crimée, il n’a cessé de nier la présence de troupes d’élite russes. Ce n’est pas de nature à tranquilliser les pays baltes et la Pologne.

En Crimée, il défendait des intérêts qu’il pense être ceux de la Russie. Il a réagi à la poussée expansionniste de l’Occident et aux développements en Ukraine.
La propagande russe ne cesse de désigner l’Occident comme vecteur de tout mouvement révolutionnaire.

Je ne crois pas adéquate notre idée selon laquelle la Russie et Poutine devraient fonctionner selon notre propre représentation. Il dit: les Russes se déterminent sur les problèmes russes, pas les Américains ou les Allemands. La Russie n’est pas une colonie occidentale, elle ne veut pas d’un code de bonne conduite dicté par Washington, Bruxelles et Berlin. Prendre les infractions aux droits de l’homme comme critères de sa politique ne mène à rien.

On dirait que vous éprouvez de la compréhension pour Poutine.

Je l’espère, car ce n’est que lorsque je comprends les intérêts d’autrui que je peux l’affronter sérieusement. Nous avons de la peine à admettre que, quand bien même la Russie connaît un système autoritaire avec beaucoup de conflits sociaux, c’est aux Russes de les résoudre.

C’est le grand malentendu entre la Russie et l’Occident?

Parfaitement. Notre esprit missionnaire est comparable à ce que faisait naguère l’Eglise en Afrique. En Occident s’est créé un état d’esprit rendant Poutine coupable de tout, y compris de la noyade d’une vache dans le lac Baïkal.

Les peines très dures infligées aux Pussy Riots ne vous dérangent pas?

En tant que journaliste, ce n’est pas mon job de transposer l’ordre social occidental en Russie. La prière punk des Pussy Riots – «Merde, merde, merde de Dieu» – dans une église et la critique occidentale contre la condamnation de ces femmes ont permis à Poutine de marquer des points auprès de son électorat.

Poutine prend-il au sérieux les accords de Minsk avec Merkel, Hollande et l’Ukrainien Petro Porochenko?

Il les prend très au sérieux. Le conflit ukrainien coûte très cher à la Russie, qui doit ravitailler l’est de l’Ukraine. Poutine souhaite une solution, même si un compromis est ardu. Par ailleurs, à la différence d’autres membres de l’élite du pouvoir moscovite, il n’a pas encore fait une croix sur l’Europe. Il tient à l’Europe.

Combien de temps restera-t-il président?

Je l’ignore. Pour l’heure, il est bien en selle.

Est-il riche?

Il sait ce que sont les beaux habits et les bons repas, mais il n’a pas de briquet en or. Possède-t-il d’énormes comptes en banque? Aucune idée.

Avez-vous jamais fait du sport avec lui?

Dès notre première rencontre, il m’a invité sur le tatami de judo. J’ai poliment décliné. Pour Poutine, le sport est très important, il le pratique avec beaucoup de sérieux, y compris pour des raisons politiques. Obama fait faire des photos en famille, Poutine des photos à torse nu. Cela fonctionne admirablement auprès de ses électeurs, surtout parmi les femmes de 35 à 55 ans et, bien sûr, chez les hommes.

© DER SPIEGEL traduction et adaptation gian pozzy


L’auteur
Hubert Seipel

Le journaliste allemand de 65 ans a rencontré Vladimir Poutine pour la première fois en 2010. Puis il a eu deux douzaines d’entretiens avec le président russe. Poutine a emmené le documentariste en voyage chez le pape, en Chine, en Afrique du Sud et dans la lointaine province russe. Le livre d’Hubert Seipel, Putin – Innenansichten der Macht, paraît en ce mois d’octobre, en allemand.

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Sergey Guneyev
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