Eclairage. Avec le concours de l’ONG TechnoServe, l’entreprise suisse produit, au Soudan du Sud, du café destiné au marché français. Et mise sur la reconstruction d’un jeune pays bouleversé par des conflits interethniques.
Produire du café de luxe en édition limitée initialement destiné au marché français dans l’un des pays les plus pauvres et tourmentés de la planète, le Soudan du Sud, à première vue, cela semble incongru. Une énième tentative d’exploitation du Sud par le Nord? Dans l’esprit de Nespresso, alliée pour l’occasion à l’organisation non gouvernementale TechnoServe, c’est au contraire une opération dont peuvent bénéficier, chacune à sa manière, les deux parties concernées: le Soudan du Sud, un pays d’Afrique indépendant depuis 2011, ravagé par une sanglante guerre civile dès 2013 et désormais en construction, et Nespresso, une entreprise du groupe Nestlé soucieuse d’une meilleure traçabilité de ses produits et de pratiques agricoles durables. L’aventure, relativement osée, n’est pas sans risques. Mais, apparemment, le jeu en vaut la chandelle.
Présente depuis 1998 en Ethiopie et au Kenya, Nespresso s’est implantée au Soudan du Sud depuis quatre ans seulement. Pourquoi avoir choisi un pays si fragile politiquement, où des pourparlers de paix n’empêchent pas la poursuite d’une lutte interethnique entre partisans du président Salva Kiir et ceux du vice-président Riek Machar? Implantées à Yei, à une trentaine de kilomètres de la frontière congolaise, les trois coopératives mises sur pied dans ce projet et rassemblant quelque 300 fermiers se situent dans une zone relativement calme. Il était donc attirant de prendre racine dans cette région d’Afrique où, comme le relève Jean-Marc Duvoisin, CEO de Nespresso, «la haute qualité du café robusta donne un arôme vraiment unique au monde».
Infrastructure défaillante
Grands amateurs de café, les Soudanais en ont produit il y a une quarantaine d’années pour leur propre consommation. Mais la confection locale s’est effondrée, notamment à cause des conflits, au point que le pays doit en importer désormais d’Ouganda. Certes, du café de Nespresso produit à partir de cerises rouges, les gourmets soudanais ne verront pas la couleur. Dans un premier temps, les tasses seront françaises, une fleur faite au premier marché de la marque. Mais, après le pétrole, une deuxième source d’exportation est peut-être en train de germer. De nouvelles plantations sont en cours. Une renaissance non négligeable.
Faute d’infrastructure adéquate au Soudan du Sud, après avoir reçu un «traitement humide» dans les centres jouxtant les coopératives, le café est acheminé par camion en Ouganda, où il est préparé à l’exportation. Quant aux fermiers, ils devraient bénéficier de la longue expérience de TechnoServe, une ONG fondée en 1968 qui, comme le dit son président, William Warshauer, cherche à concilier les affaires et le développement durable en misant sur la plus grande valeur ajoutée possible.
Des signes encourageants
Quels sont les fermiers qui, comme Isaya Lokolong Latiyo, auront reçu suffisamment d’argent pour devenir comme lui un petit entrepreneur capable de monter sa propre fabrique de briques? Il est bien trop tôt pour le dire. Le système des coopératives, le versement de primes à la livraison de la marchandise, le fait que de nombreux autres fermiers souhaitent participer à cette entreprise sont plutôt des signes encourageants. Daniel Weston, directeur chez Nespresso, parie sur l’effet multiplicateur de l’argent réinvesti dans l’économie locale. «Ce sont les premiers pas d’une industrie qui, nous l’espérons, va monter en puissance.» Tout dépendra finalement de la volonté et de la capacité du pays à résoudre ses querelles internes pour donner libre cours à une économie enfin prospère.