Analyse. Les femmes pourraient bien s’éveiller grandes perdantes des élections fédérales. A moins d’un sursaut citoyen. Alerte nationale et romande.
Infographies: la faible place des femmes en politique suisse |
Un grand saut peut mal finir. On le sait. Mais quand la candidate s’est lancée dans le vide du ciel neuchâtelois, elle n’imaginait pas à quel point elle se mettait en danger. Comme les autres, à savoir les hommes du Parti libéral-radical de son canton qui souhaitent entrer au Parlement fédéral, elle a donc sauté, Marlène Lanthemann. Puis son parachute est parti en torche.
Attention élections. Cette année plus que jamais il y a danger, les femmes en particulier risquent une mauvaise chute. Comment, direz-vous, l’égalité ne va-t-elle pas de soi dans notre pays qui s’est déjà enorgueilli d’une majorité de femmes au gouvernement? Et la courbe de la représentation féminine au Parlement, apparue tard il est vrai, en 1971, n’a-t-elle pas suivi une ascension constante?
Navrée de ternir vos illusions mais il est temps d’ouvrir les yeux. L’histoire des femmes tourne mal. Pour la première fois depuis leur entrée au Parlement, leur nombre a baissé au Conseil national lors des dernières élections fédérales de 2011. Une baisse certes minime, 0,5%, mais qui amorce une tendance inquiétante. D’autant plus qu’au Conseil des Etats, la Chambre des cantons, la situation a commencé à se détériorer il y a huit ans déjà: le pourcentage des femmes a chuté de 23,9 à 19,6% entre 2003 et 2011.
Mauvaise pente
Et maintenant? En cet automne 2015, de nouvelles pertes se précisent. Tout d’abord à la Chambre des cantons. Deux sénatrices y prennent leur retraite et ne seront pas remplacées par des femmes. L’Argovienne Christine Egerszegi (PLR) laissera son fauteuil à son président de parti, Philipp Müller, ou, si celui-ci se voit puni pour son accident de voiture, à un autre homme. A Zurich, le socialiste Daniel Jositsch remplacera la Vert’libérale Verena Diener. Dans le Jura, on sait la PDC Anne Seydoux méchamment bousculée par l’ancien maire de Delémont Pierre Kohler (voir pages 32 et 33). Et l’on a beau scruter tout le pays, on ne voit venir aucune nouvelle sénatrice à l’horizon.
Sur le Conseil national aussi, la menace plane. Le dernier jour de la session de septembre, de nombreuses femmes sont sorties de l’hémicycle inquiètes de quitter cette salle à jamais. En Suisse romande, on sait les deux socialistes fribourgeoises en danger. Quant aux femmes, et aux hommes, qui partent de leur plein gré, ils pourraient, au pire, se voir tous remplacés par des hommes. Et à Genève par exemple, il ne faut pas compter sur le PLR pour aider les femmes. Devinez où le parti a placé sa seule et unique candidate au Conseil national? En queue de liste! Et ce n’est pas une plaisanterie.
Jamais de la vie
De l’espoir, il y en a en Valais cependant, où Géraldine Marchand-Balet part favorite pour remplacer le président du PDC, Christophe Darbellay. Historique! Elle serait alors la troisième femme à monter à Berne après Gabrielle Nanchen et Viola Amherd. En quarante-quatre ans de droit de vote et d’éligibilité des femmes. Bon, il y a pire. Les deux Appenzells, Obwald, Nidwald et Glaris n’ont jamais vu de leur vie une candidate gagner une élection fédérale.
Outre-Sarine, soucis aussi. Et pas seulement au Sénat. A Saint-Gall, on craint deux femmes en moins au Conseil national. Berne, gros canton, perdra probablement une de ses trois Vertes, et peut-être une Vert’libérale aussi. En plus du PBD qui a vu Ursula Haller prendre sa retraite. A Bâle-Campagne, enfin, même des politiciennes d’envergure nationale comme l’ex-présidente du Conseil national, la Verte Maya Graf, que les Romands connaissent depuis le film Le génie helvétique, et la socialiste Susanne Leutenegger Oberholzer doivent trembler.
Zurich devrait sauver l’honneur. Si tout s’y passe comme prévu, le canton suisse le plus peuplé élira trois femmes de plus qu’en 2011. Une socialiste, une radicale et même une UDC. Jusqu’ici, la députation agrarienne à la Chambre du peuple, forte de 11 personnes, n’en comptait qu’une seule: Natalie Rickli.
Voter maligne
Bref, à moins d’un sursaut citoyen, «au lendemain du 18 octobre, les femmes risquent de se réveiller avec la gueule de bois», prédit Claudine Esseiva, secrétaire générale des femmes PLR. Une citoyenne avertie en valant deux, les faîtières de femmes appellent à la solidarité. La plus efficace, Alliance f, qui regroupe 154 organisations et représente quelque 400 000 membres, conseille le vote intelligent. Sa coprésidente Kathrin Bertschy, conseillère nationale vert’libérale, a rassemblé statistiques, pronostics et écrit à quelque 120 candidates. Mais attention, sur son site, Alliance f recommande uniquement celles qui ont de réelles chances d’être élues ou d’arriver comme première ou deuxième viennent ensuite. «Il faut éviter que, par le jeu des apparentements, la voix qu’on veut donner à une femme finisse par profiter à un homme», précise la politicienne et économiste bernoise.
Sommaruga bientôt seule?
Tout cela ne laisse rien présager de bon pour le Conseil fédéral, où Simonetta Sommaruga pourrait soudain se retrouver bien seule. Parce que les hommes se pressent au portillon. L’UDC, plus grande formation politique du pays, a bien vu une de ses membres entrer au gouvernement mais il l’a chassée du parti. Depuis, il ne cesse d’avancer des noms de candidats, parfois douteux, parfois sérieux, toujours masculins. L’idée de proposer une femme ne semble pas l’effleurer. «Nous sommes plus détendus que d’autres sur cette question», lâche le secrétaire général du parti, Martin Baltisser, un brin nonchalant. Le président du parti zurichois, Alfred Heer, plus franc de collier, nous le dit carrément: «Nous voulons des politiciens capables. Qu’ils soient hommes ou femmes m’est parfaitement égal.»
Bref, si Eveline Widmer-Schlumpf démissionne ou n’est pas réélue, elle sera remplacée par un homme. Idem quand Doris Leuthard s’en ira au terme de son année présidentielle de 2017. Le PLR, lui, préfère les hommes pour occuper ses deux fauteuils au Conseil fédéral. Christine Beerli, Francine Brunschwig-Graf et Karin Keller-Sutter, toutes trois furent écartées au profit de, dans l’ordre, Hans-Rudolf Merz, Didier Burkhalter et Johann Schneider-Ammann. La seule et unique conseillère fédérale de l’histoire du parti reste Elisabeth Kopp. Maigre bilan.
Manque de pression
Qu’est-il donc arrivé au féminisme, manifestement passé de mode dans les partis bourgeois? Historienne et professeure à l’Université de Berne, Brigitte Studer ose une hypothèse: «Ce backlash s’explique peut-être en partie par le succès de l’UDC qui réussit si bien sans les femmes.» Et de constater qu’on doit essentiellement nos élues aux Verts et aux socialistes. Christine Beerli regrette ce désintérêt des partis de droite, elle qui a connu une autre époque, quand la Coupole fédérale résonnait encore de l’indignation soulevée par la non-élection de Christiane Brunner au Conseil fédéral en 1993. «La société civile exerçait une pression. Si on ne voulait pas passer pour réactionnaire, il fallait promouvoir les femmes.» L’ex-parlementaire bernoise se dit d’ailleurs choquée de voir les revendications féministes, sur la garde des enfants notamment, avancer si lentement.
Besoin de femmes
Quoi qu’il en soit, l’heure est grave à la veille des élections nationales qui porteront les politiciens qui doivent penser demain.
Non seulement parce que les femmes représentent 51% de la population suisse, mais aussi parce que ce sont elles qui se retrouvent en première ligne dans les questions majeures qui nous occuperont dans les années à venir. Ce sont elles qu’on veut voir revenir sur le marché du travail pour pallier le manque de main-d’œuvre, tout en continuant à les payer moins que leurs collègues masculins et sans leur permettre de concilier travail et carrière comme elles l’entendent. Ce sont encore elles qui affrontent le vieillissement de la population en s’occupant le plus de leurs vieux parents.
Ne perdons donc pas demain de vue. Serait-il sage de se passer d’elles? Souvenons-nous que la décision historique de sortir du nucléaire a été prise par un gouvernement majoritairement féminin. C’est une ministre qui met en pratique le virage énergétique, une autre qui a réparé les pots cassés par les banques et une troisième qui gère le dossier de l’asile. Enfin, c’est un parti dirigé par deux politiciennes, les Verts, qui se bat le plus contre le réchauffement climatique, l’autre enjeu du futur.
Alors, plutôt qu’un saut dans le vide, gag de communication au parfum viril, privilégions les idées politiques. Et la parité. A l’image du moniteur qui, à Neuchâtel, a actionné le parachute de secours, sauvant ainsi la candidate Marlène Lanthemann et lui-même d’une chute fatale.