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Carine Roitfeld ou l’art de se cloner

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Jeudi, 15 Octobre, 2015 - 05:56

Trajectoire. En signant une collection capsule pour le géant japonais de l’habillement Uniqlo, l’ex-rédactrice en chef de «Vogue» Paris peut une fois de plus modeler la mode à son image.

Son nom ne vous dit probablement rien. Elle n’a jamais dirigé de parti politique ni de grande institution internationale, elle n’est ni écrivain, ni actrice, ni chanteuse. Mais, dans le petit milieu de la mode, Carine Roitfeld, 61 ans, est une star. Au premier rang des grands défilés, impossible de rater son faciès – saisissant mélange d’Iggy Pop et de Charlotte Rampling. Pendant les fashion weeks, les photographes de street style talonnent ses luxueuses échasses et sa silhouette gracile, souvent moulée dans d’élégantes jupes crayon. Avatar de la fameuse Parisienne, cette tigresse à l’esprit désinvolte a marqué de son empreinte porno chic la mode des années 2000, lorsqu’elle tenait les rênes du prestigieux Vogue Paris. Aujourd’hui à la tête de son propre magazine, modestement baptisé CR Fashion Book, l’iconique styliste signe une collection capsule pour le géant japonais du fast fashion Uniqlo, disponible dès le 30 octobre dans les 1600 boutiques de l’enseigne à travers le monde. Comme elle, les habits (et le mannequin de la campagne) sont à la fois élégants et sexy, bourgeois et rock’n’roll, à la frontière entre le masculin et le féminin.

Cette collaboration a de quoi surprendre. Proposer des vêtements à moins de 200 francs quand on s’est toujours vantée de ne pas regarder le prix des siens, inciter Madame Tout-le-Monde à copier son style quand on a toujours clamé que l’élégance ne s’achetait pas, est-ce bien cohérent, Mademoiselle Roitfeld? «J’aime pousser les portes les plus difficiles. Uniqlo est une marque unique. Je suis contente de m’adresser au grand public», a déclaré l’intéressée à Paris Match. Traduction, le cachet versé par Uniqlo a dû être généreux. Par ailleurs, cette collection permet à Carine Roitfeld de s’adonner à son activité préférée: façonner la mode à son image.

L’anti-Anna Wintour

Fille d’un producteur de cinéma et de films érotiques d’origine russe, petite-fille d’un ancien rédacteur en chef du Canard enchaîné, Carine Roitfeld forge sa renommée internationale au milieu des années 1990 aux côtés du photographe Mario Testino et du designer Tom Ford, alors à la tête de la création chez Gucci puis chez Yves Saint Laurent. Elle devient la muse de ce dernier, l’éminence grise derrière des choix artistiques provocants et ouvertement sexuels. La pub Gucci montrant une femme abaissant sa culotte pour dévoiler une lettre G tracée dans sa toison pubienne? C’est elle. Et si le «point G» fait scandale, les ventes explosent. Naturellement, la photo est diffusée dans Vogue Paris, dont Carine Roitfeld devient en 2001 la rédactrice en chef. Comme dans son salon, elle y convie ses amis photographes et créateurs, mais aussi ses enfants, Julia et Vladimir.

Choquer ne lui fait pas peur. Ses mannequins, elle les aime la clope au bec, la poitrine à l’air et le regard libidineux. Hétéro, homo, bi ou trans. Noir ou Blanc. Entre provocation et vulgarité, Carine Roitfeld s’impose de facto comme l’anti-Anna Wintour, la toute-puissante rédactrice en chef de Vogue USA, adepte de la perfection et de la politesse. Au tournant du XXIe siècle, toutes les marques de luxe se battent pour bénéficier d’un conseil ou d’un coup de pouce de Carine Roitfeld, considérée comme la reine de la mode.

La chute n’en sera que plus brutale. En 2010, pour l’édition de Noël de son magazine, la papesse du porno chic publie des photos de deux fillettes maquillées à la truelle, couchées sur des peaux de tigre et noyées dans les robes sexy de Tom Ford. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le stiletto. Selon les rumeurs, la controverse causée par ces images aurait entraîné le licenciement de Carine Roitfeld, accusée par certains de faire l’apologie de l’anorexie et du racisme. L’icône mode semble avoir retenu la leçon. Sur la couverture du premier numéro de CR Fashion Book, lancé en 2012, la styliste a tenu à faire poser une jeune fille tenant innocemment un bébé dans les bras. «Je suis une maman et une grand-maman maintenant», déclarait-elle à l’époque. Modeler la mode à son image, toujours.

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