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Une fièvre de mauvais augure

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Jeudi, 15 Octobre, 2015 - 05:57

Analyse. Les entreprises se rachètent entre elles à un rythme qui ne laisse rien présager de bon.

Depuis que l’homme regarde le ciel, il a cherché à y lire le secret de son destin. L’art divinatoire a pris de multiples formes au fil des âges. L’axinomancie, très en vogue dans l’Antiquité, consistait à prédire l’avenir en faisant rougir une hache au feu et à placer une agate sur son tranchant. Si elle retombait trois fois du même côté, pensait-on, c’est que votre prévision était la bonne.

L’économie globalisée du XXIe siècle offre de nouvelles pistes. Prenez le volume des fusions et acquisitions, par exemple. Que se passe-t-il quand il devient rouge comme la braise?

Regardez comme c’est curieux. «Il y a certains signes intéressants qui tendent à montrer que le volume des fusions et acquisitions suit un rythme de sept ans», explique Matthew Toole, spécialiste du secteur chez Thomson Reuters. Les années 2000, 2007 et 2015 correspondent en effet à trois pics historiques du nombre d’entreprises qui se rachètent entre elles, et surtout du prix qu’elles sont prêtes à verser pour gober leur proie.

Selon l’analyste, ce rythme pourrait très bien se caler sur les visites du pape aux Etats-Unis, ou sur les élections présidentielles américaines. Mais Matthew Toole désigne une autre corrélation, bien plus inquiétante: celle des grandes crises économiques.

Les pics de fusions-acquisitions de 2000 et 2007 ont débouché sur des effondrements des marchés financiers et sur des périodes de récession plus ou moins prolongées.

Chiffres record pour 2015

Alors, quid de 2015? L’agate retombera-t-elle trois fois du même côté de la lame brûlante? L’année s’annonce déjà comme un formidable millésime. Le rythme des fusions et des rachats d’entreprises s’est accéléré comme jamais. Leur montant a atteint 3410 milliards de dollars (3,4 trillions) au 30 septembre, en hausse de 35% sur la même date en 2014.

C’est un niveau sans précédent. Ce montant n’avait jamais été dépassé, sur cette période de l’année, depuis que la statistique existe. Soit en 1980. Si la tendance se poursuit sur les trois derniers mois, 2015 devrait atteindre le record de 4,6 trillions enregistré en 2007. «Il ne manque qu’une poignée de mégafusions pour dépasser ce cap», observe Matthew Toole. Et c’est bien parti pour être le cas.

Le 7 octobre, le brasseur belge Anheuser-Busch InBev a relancé une offre de rachat hostile sur l’anglais SABMiller, qu’il avait déjà tenté d’avaler plusieurs fois sans succès. Le numéro un du marché s’est dit prêt à débourser 105 milliards de dollars pour acquérir le numéro deux. SABMiller a accepté cette offre mardi 13 octobre. Cette OPA est sans précédent par son ampleur dans le secteur des biens de consommation. Il s’agit de la deuxième plus importante en Europe, et la quatrième dans le monde. La machine est lancée à plein régime. Lundi 12 octobre, le fabricant d’ordinateurs Dell a officialisé le rachat d’EMC, le spécialiste du stockage de données. Le montant de la transaction atteint 67 milliards de dollars, un record dans le secteur technologique.

Trop d’argent

Les économistes ont déjà maintes fois décrypté le symptôme des vagues de mégafusions. Elles seraient le reflet d’une mauvaise allocation du capital. Au lieu d’investir dans de nouvelles activités créatrices de valeur, les entreprises préféreraient racheter leurs concurrents pour renforcer leurs rentes sur des marchés déjà mûrs. Pour leurs dirigeants, il est plus simple d’enjoliver leurs chiffres en avalant le business d’un autre plutôt que de faire croître le leur. Les entreprises sont aussi encouragées à faire grimper les enchères jusqu’à l’absurde pour profiter de la période de taux d’intérêt historiquement bas, et ce, avant que la Réserve fédérale américaine ne tente de les faire remonter.

Pour l’heure, l’argent gratuit est là, et celui qui ne le prend pas le laissera à un autre. Si un homme incarne cette fièvre des fusions et acquisitions, c’est bien l’investisseur helvético-israélien Patrick Drahi. L’actionnaire de la société financière Altice s’est lancé en 2014 dans une succession de rachats, dévorant coup sur coup et à crédit les opérateurs de réseaux français Numericable et SFR, puis les américains Suddenlink et Cablevision.

«Nous avons déjà vu des erreurs dans le passé, mais rarement comme celle-là», dénonçait récemment l’analyste Craig Moffett dans le Financial Times, désignant en exemple la course folle de Patrick Drahi: «Selon nos estimations, Cablevision vaut environ 8 dollars par action. Altice a accepté de les acheter pour 35.»

«Si l’histoire a quelque chose à nous dire, c’est bien que nous sommes à un pic», notait le quotidien saumon avec un flegme tout britannique. Au moins, le diagnostic est posé.


Credit Suisse: virage dangereux

La banque devrait présenter un plan d’économie de 2 milliards de francs et tenter une hausse de capital. Une manœuvre délicate, les signaux étant menaçants.

Dans le monde des banques d’affaires, la course se joue sur circuit fermé. A long terme, dit l’adage, leur activité ne rapporte rien, ou pas grand-chose. Les magiciens de la haute finance gagnent des fortunes par temps clair, ce qui se révèle juste suffisant, au mieux, pour écluser leurs gigantesques pertes en période de crise. L’exercice consiste donc à accélérer quand la route est droite, et à savoir freiner avant la grande boucle.

A ce jeu, UBS a pris plusieurs tours d’avance sur Credit Suisse. La première, traumatisée par sa coûteuse sortie de route de 2008, a eu le nez creux. Elle a considérablement réduit le poids de sa machine, tout en lui laissant un moteur puissant. Résultat: sa banque d’affaires est aujourd’hui une des plus lucratives de l’industrie. Selon les données de l’agence Bloomberg, la banque d’affaires d’UBS atteint une rentabilité record de 30%, mesurée sur ses fonds propres. La division rapporte trois fois plus que la moyenne des autres activités du groupe. C’est mieux que toutes les autres stars de Wall Street. Et surtout bien mieux que Credit Suisse, dont la banque d’affaires, beaucoup plus massive, affiche une rentabilité de seulement 10%.

Sous la houlette de l’ex-patron Brady Dougan, banquier d’affaires dans l’âme, Credit Suisse a laissé gonfler ses coûts et n’a pas osé tailler dans sa division d’affaires. A peine arrivé au volant, le nouveau CEO Tidjane Thiam n’a pas eu d’autre choix que de sauter à pieds joints sur le frein. Credit Suisse devrait présenter un plan d’économie de 2 milliards de francs, le 21 octobre, et tenter une augmentation de capital. La manœuvre est tentée au dernier moment, alors que tous les signaux indiquent un virage économique dangereux. Elle promet d’être délicate.

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