«On préfère désormais les bellâtres, le bilan ne compte plus», maugréait en substance le maire amer de Berne, Alexander Tschäppät quand, il y a quatre ans, le socialiste se fit dépasser par le fringant Matthias Aebischer, journaliste et visage connu de la télévision alémanique. Le maire, relégué parmi les «viennent ensuite», a retrouvé entre-temps son sourire et son pupitre au Conseil national. Pas rancunier, il s’entend bien avec son jeune camarade de parti, même s’il l’appelle toujours le «Schönling».
Monde cruel en vérité. Parce que le pouvoir de séduction de la notoriété, c’est précisément ce que les partis visent quand ils approchent des candidats potentiels au-delà des élus locaux et membres méritants. Une façon d’attirer l’attention et de toucher de nouveaux électeurs. On privilégie alors un regard neuf, une expérience particulière, un discours moins convenu.
Dur, dur à avaler pour les militants et autres fidèles qui ont exercé patiemment leurs gammes sur le clavier de la politique communale et cantonale, sacrifiant leurs soirées aux séances, leurs week-ends aux campagnes sur le terrain.
Mais que se consolent ceux que la nature n’a pas autant gâtés que les candidats Matthias Aebischer, le Vaudois Fathi Derder, cet autre Quereinsteiger venu, lui, de la radio, ou encore la jeune Bernoise Kështjella Pepshi, Miss Kosovo 2010! Un beau visage connu, ça aide, mais ne suffit pas pour réussir une élection, encore moins une carrière politique. La séduction s’exerce tout autant par l’esprit, comme l’a prouvé jusqu’ici Jacques Neirynck, professeur honoraire de l’EPFL. Et les bilans impressionnent bel et bien l’électeur, quoi qu’en pense le maire de Berne. Tout spécialement la création d’emplois.
Oui, le président du PDC, Christophe Darbellay, l’affirme: «La notoriété doit reposer sur un socle de compétences, de mérites reconnus dans un domaine particulier.» Comme l’illustre notre coup de projecteur sur quelques Quereinsteiger d’aujourd’hui et d’hier.
Néophytes génération 2015
Celui qui affole le plus cette campagne-ci? Sans conteste le nouveau grand méchant loup qui veut entrer dans la bergerie: le Zurichois Roger Köppel. Rédacteur en chef de la Weltwoche, il dirige un hebdomadaire devenu quasiment l’organe de l’UDC, qui défend ses thèses semaine après semaine, encense son maître à penser, Christoph Blocher, et attaque tous ceux qui pensent autrement, y compris au sein de l’UDC.
Rhétoricien tranchant, il se lance dans le parti et la course au Conseil national parce que «la Suisse va mal, ses valeurs, sa neutralité et sa démocratie directe sont en danger et que le Conseil fédéral veut se soumettre à l’Union européenne». Köppel dit avoir bien assez de travail avec son journal. Autrement dit, il se sacrifie.
Ce message vous rappelle-t-il quelque chose? Normal, c’est le «wording» de Christoph Blocher. Celui de sa fille aussi, Magdalena, qui a repris Ems-Chemie, l’entreprise de papa, une autre novice qui se porte candidate – dans les Grisons pour sa part – parce que le devoir l’appelle.
Miss kosovo et le self-made-man
Au PDC, cet automne, on mise surtout sur des débutants «dans les cantons où nous sommes peu représentés», précise Christophe Darbellay. Outre Miss Kosovo qui, à Berne, veut s’engager pour l’intégration des étrangers, le parti tente sa chance dans le canton de Vaud avec le sortant Jacques Neirynck et Claude Béglé, ex-président de La Poste. Quant au PBD, sans un seul élu en Suisse romande, il lance la Vaudoise Christine Bussat, instigatrice de la Marche blanche et militante de la lutte contre la pédophilie.
Au PLR, on a déniché quelques entrepreneurs. Marcel Dobler, le jeune cocréateur des magasins de vente en ligne Digitec et Galaxus à Saint-Gall ou, en Valais, Pierre-Alain Grichting. Un destin de self-made-man qui a mené l’apprenti boucher à la direction de l’UBS Valais. Aujourd’hui patron d’une entreprise de transports et président de Provins, l’homme carré au franc-parler veut «aider le business» et casser le monopole PDC au Conseil des Etats.
La séduction du diplomate…
Dans un registre plus feutré, cette campagne a vu apparaître deux candidats issus de la diplomatie. Deux cas très particuliers. D’abord parce que le Valaisan Raymond Loretan, candidat aux Etats pour Genève, n’a peut-être jamais été un élu, mais il se meut dans la politique depuis toujours, lui qui occupa le poste de secrétaire général du PDC, et, visionnaire, avança l’idée de fusionner le PDC et le PLR. Comme le socialiste Tim Guldimann, ancien ambassadeur en Allemagne et en Iran ou encore négociateur en Tchétchénie, il affiche depuis longtemps sa couleur politique. Les deux hommes, fins connaisseurs de la politique internationale, apporteraient une rare plus-value au Parlement.
… du journaliste et du médecin
La visibilité a toujours compté pour les partis. Mais, contrairement aux Etats-Unis où un acteur de cinéma peut devenir président, voire gouverneur de Californie, la Suisse, elle, a surtout envoyé des stars du petit écran ou de la radio au Parlement. Avec un bonheur contrasté.
En Suisse romande, on se souvient du passage à Berne du journaliste et Vert genevois Patrice Mugny, mais pas vraiment de celui de l’animateur de radio Jean-Charles Simon, PDC. Autre homme de radio, Fathi Derder, élu sur la liste libérale il y a quatre ans, fait bien mieux avec le travail qu’il accomplit pour l’innovation et la recherche.
Outre-Sarine, la télévision se révèle terre fertile en candidats, mais maigre en politiciens importants. Le plus connu d’entre eux, Filippo Leutenegger, n’a pas exercé la moindre influence politique sous la Coupole, quand bien même il a longtemps animé Arena, l’émission phare du débat politique en Suisse alémanique.
Et que dire de la séduction de la blouse blanche? Eh bien, elle n’opère pas aussi bien qu’on pourrait l’imaginer. Aux élections fédérales de 2011, deux médecins connus se sont lancés: le chirurgien bernois Thierry Carrel, celui qui opéra le cœur du conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, a échoué sur la liste du PLR. Idem pour l’ex-président de la FMH, Jacques de Haller, qui avait vite adhéré au Parti socialiste genevois un an avant les élections.
Ogi le flamboyant et les patrons
Il est un novice devenu très grand: Adolf Ogi, le conseiller fédéral sans doute le plus populaire des dernières décennies. Rien ne destinait le directeur de la Fédération suisse de ski à une carrière politique. Si ce n’est une image de gagnant: «Il avait obtenu de grands succès aux Jeux olympiques de Sapporo, il pouvait attirer les jeunes et les sportifs, je suis allé le trouver», se souvient Max Friedli, à l’époque secrétaire général de l’UDC. Il fallait au parti du sang neuf, une image plus moderne, plus ouverte aux femmes et au monde. Et préparer un successeur pour Leon Schlumpf. Adolf Ogi fut lancé. Le charisme et l’optimisme contagieux de l’homme de Kandersteg firent le reste. Entré au Conseil national en 1979, il sera élu au Conseil fédéral huit ans plus tard.
Quant aux entrepreneurs, patrons ou banquiers, les formations politiques les courtisent depuis longtemps, le PLR et l’UDC se disputant âprement le titre de parti le plus proche de l’économie. On se souvient de l’année 1999, quand le vice-président de l’UDC, Walter Frey, des garages Frey, avait convaincu Peter Spuhler, des trains Stadler, d’entrer au Parlement pour son parti, tandis que le PLR, lui, avait dragué un autre patron: Johann Schneider-Ammann, déjà membre du parti et président de Swissmem.
L’an dernier, l’UDC s’est d’ailleurs empressé de glisser le fondateur de la Neue Helvetische Bank, Thomas Matter, sur le fauteuil encore chaud de Christoph Blocher.
Le chef solitaire
Une fois élus, les patrons ne coulent pas forcément des jours heureux. Comme l’explique l’ex-président du Parti radical, Franz Steinegger: «Ils nourrissent de grandes attentes, pensent être accueillis à bras ouverts. Or, à Berne, chaque élu n’est qu’un parlementaire parmi 246 autres.»
Le banquier Thomas Matter semble encore peu intégré, en effet.
Mais le patron le plus solitaire de tous, celui qui n’entre décidément pas dans l’habit du politicien, c’est Thomas Minder. Electron libre qui sait tout mieux que les autres, il ne collabore pas avec ses collègues parlementaires dont il se distance ouvertement. A Berne, tout le monde vous le dira, l’influence du Schaffhousois s’exerce à l’extérieur, mais il n’en a aucune sous la Coupole. Sa grande réussite, «son» initiative contre les salaires abusifs, pourrait aussi rester la seule. Sa réélection est loin d’être assurée.
Les lumières du palais
Il fut encore une autre race de Quereinsteiger élus au Parlement fédéral sans avoir préalablement occupé de mandats cantonaux ou communaux, une espèce malheureusement en voie d’extinction en politique suisse: les grands intellectuels et professeurs d’université. Ils ont incarné le règne de la raison sous la Coupole, les Gilles Petitpierre, Peter Tschopp, René Rhinow ou Ulrich Zimmerli, lequel quitta l’UDC en 2002, honteux de ce qu’était devenu son parti.
Ces professeurs ont toutefois baigné dans la politique bien avant de monter à Berne. Ils ont pensé les réformes de l’Etat et jeté des ponts au-delà des frontières partisanes. Gilles Petitpierre, fils du conseiller fédéral Max Petitpierre et époux d’une ex-députée au Grand Conseil, se souvient d’avoir été approché par le Parti radical pour son «engagement dans l’énergie et l’environnement». C’était l’époque où les radicaux sollicitaient les intellectuels et aspiraient à un électorat écologique. Tempi passati.
Le verdict va tomber
Mais revenons aux élections du 18 octobre. L’heure de vérité va sonner pour ces Quereinsteiger venus à la politique par des chemins de traverse, qu’ils soient nouveaux candidats ou qu’ils viennent de boucler leur première législature.
Le Vaudois Fathi Derder le dit d’emblée. Il a adoré exercer son mandat durant ces quatre ans, même s’il a dû «bosser comme un malade face à la quantité de matière à maîtriser, la langue allemande et les termes techniques».
Ravi d’obtenir une place à la Commission de la science et de l’éducation, celle qu’il visait, il y est devenu leader du PLR. Toutefois, Fathi Derder n’est pas complètement sûr d’être réélu. «On ne s’improvise pas politicien à tous les niveaux. Personnellement, je préfère parler innovation qu’écumer les foires pour serrer des mains.»
Matthias Aebischer, président la Commission de la science et très engagé dans la défense des langues nationales, se révèle, quant à lui, animal de campagne. Le socialiste débat soir après soir, parfois contre Roger Köppel, distribue jour après jour roses rouges et croissants sur les places du canton. Le Bernois, par ailleurs père au foyer, a participé à toutes les actions téléphoniques du parti. «Ça motive nos sympathisants, mais aussi nos militants.»
Lors d’un face-à-face avec Roger Köppel, il lui a lancé: «Tu sais, Roger, personne ne t’attend à Berne, surtout pas dans ton groupe parlementaire.» Le Bernois sait de quoi il parle: «Au début, mieux vaut travailler beaucoup et parler peu. Les autres vous ont à l’œil. Quand je donnais une interview devant la porte d’une salle de commission, des parlementaires plus anciens venaient écouter pour vérifier si je ne violais pas la confidentialité.»
Ce dimanche, Fathi Derder va donc trembler. Matthias Aebischer, lui, est sûr de passer. Roger Köppel devrait aussi entrer au Parlement, mais pas Magdalena Martullo-Blocher.
Les trompettes de la renommée peuvent bien résonner, le charme des Quereinsteiger n’opère pas à chaque fois.