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Les sorcières sont parmi nous

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Jeudi, 22 Octobre, 2015 - 05:51

Portrait. Elle ne jette pas de mauvais sorts, mais célèbre des fêtes en compagnie d’autres sorcières dans la forêt et donne des conférences dans le monde entier. Rencontre avec une drôle de dame.

Auenstein, village de la campagne argovienne. Une rue déserte bordée de villas propres en ordre, en contrebas de la bourgade. L’Aar coule paisiblement non loin de là. Quelques visiteuses se sont rassemblées devant un portail qui donne accès à un très beau jardin. Une petite pancarte annonce: Hexenmuseum Schweiz (Musée des sorcières Suisse). Il faut franchir un petit pont qui enjambe un étang pour arriver à la porte d’une grande construction en bois. Bienvenue chez Wicca Meier-Spring, sorcière et fondatrice dudit musée.

Cheveux bruns frisés, yeux brun-vert, petite boule de cristal autour du cou, Wicca Meier-Spring, 48 ans, a le sourire accueillant et la poignée de main chaleureuse. Pourtant, elle se passerait volontiers de ce genre de salutations. «Je n’aime pas donner la main. Je sens toute l’énergie d’une personne. Et c’est une information que je ne souhaite pas avoir.» Trop tard…

Il est 14 heures et le musée vient d’ouvrir. Les premiers visiteurs arrivent au comptoir. Suivant le thème de l’exposition spéciale, ils sont 4000 à 5000 par année à faire le déplacement, en provenance de nombreux pays, dans cet endroit perdu de la campagne argovienne. A la fin de la visite, il arrive que certains hommes demandent s’ils peuvent laisser leur femme sur place. Wicca Meier-Spring, elle, laisse son mari, sorcier lui aussi, gérer le flux des curieux. «Nous serons mieux dans la petite cafétéria.»

Fêtes en forêt

Les sorcières, c’est plutôt rare de nos jours, non? «Nous sommes 3000 dans toute la Suisse. Il y en a beaucoup qui habitent dans le canton de Vaud. D’ailleurs, je les salue bien. Beaucoup de sorcières furent condamnées et exécutées dans cette région, au château de Chillon.» Aujourd’hui, nombre d’entre elles – il n’y aurait que 20% d’hommes – sont organisées en cercles, des comités de treize membres. Treize comme le nombre de pleines lunes dans l’année. Mais, aux Etats-Unis, Wicca Meier-Spring a déjà assisté à des cercles qui réunissent jusqu’à 300 participantes. Les hommes sont peu nombreux. «J’ai été invitée deux fois dans l’Oregon pour une fête de la pleine lune. L’énergie qui se dégage est alors si forte qu’elle donne parfois mal à la tête. C’est important de voir les différents rituels qui existent pour enrichir mes connaissances.»

Comme les autres cercles de sorcières en territoire helvétique, celui de Wicca Meier-Spring se réunit lors des huit fêtes du calendrier des sorcières, des fêtes qui portent des noms comme Imbolc (en février, pour les premiers signes du printemps), Beltane (le 1er mai), Lughnasadh (Fête des récoltes) ou Samhain, soit Halloween, le 31 octobre. «Cela se passe dans la forêt, ou alors, s’il pleut ou qu’il fait trop froid, à l’intérieur, chez l’une d’entre nous. C’est la prêtresse en cheffe, celle qui a le plus de connaissances, qui préside la cérémonie, qui dure quelques heures ou toute la nuit. Parfois, elle décide d’ouvrir le cercle à d’autres sorcières.» Inutile de la cuisiner, elle ne donne pas plus de détails. Elle n’est d’ailleurs pas plus diserte sur la façon bien particulière que les sorcières ont de se saluer.

Elle est en revanche plus bavarde lorsqu’il s’agit d’évoquer son parcours. Née dans le village de Neuenhof, près de Baden, dans le canton d’Argovie, la petite Wicca – c’est l’un de ses prénoms, qu’elle doit à des ancêtres écossais – passe beaucoup de temps à jouer dans la forêt, à préparer des potions que personne n’arrive à boire, «parle avec les animaux et voit des fées» depuis toujours. Son arrière-grand-père était d’ailleurs chasseur d’esprits. «C’est en grandissant que l’on comprend que l’on est différent, lorsqu’on en parle et que les autres disent: «Tu es bizarre.»
Elle raconte que, depuis enfant, elle voit le visage des gens changer lorsque la mort rôde. «Il m’arrivait de ne pas reconnaître des personnes de mon entourage qui allaient mourir. Je demandais: «C’est qui ça?» à mes parents, surpris par ma question.» Aujourd’hui encore, elle se demande pourquoi elle a ces visions. «Je n’en ai pas envie, car je ne sais pas quoi en faire. Dois-je aider la personne et lui dire de mettre de l’ordre dans sa vie avant de s’en aller? Dans ce cas, je devrais lui expliquer pourquoi, et ce n’est pas possible.»

Ecole de sorcières en Angleterre

Après un apprentissage d’employée de commerce et une maturité professionnelle, elle part une année en Suisse romande pour apprendre le français. Mais, depuis l’âge de 12 ans, après avoir lu un livre sur les sorcières, elle sait ce qu’elle veut devenir. «Dans les années 80, la sorcellerie n’était pas à la mode, il n’existait pas de cours en Suisse ou dans les pays voisins, alors qu’aujourd’hui il y a pléthore de séminaires.» Sa formation de sorcière, c’est donc en Angleterre qu’elle la fera, à l’Arthur Findlay College, près de Londres. Elle y suivra des cours, par périodes, durant trois ans. Au programme notamment: transe, communication avec les esprits, médiumnité. «Voir que des professionnels enseignaient cette matière, et apprendre dans un collège ce que l’on connaît et ressent sans passer pour une folle m’ont donné confiance.»

Aujourd’hui, Wicca Meier-Spring explique avoir atteint le grade 3, l’ultime dans la hiérarchie des sorcières. Il est accordé par des pairs, en Angleterre ou aux Etats-Unis. «On doit passer un examen, faire de la magie et avoir écrit son livre de magie, un ouvrage très épais que l’on montre au sein de son cercle. C’est un résumé de tout ce que l’on a effectué et de tous nos rituels et recettes. On doit tout savoir sur les herbes et l’astrologie. Même si je suis grande prêtresse, je suis toujours en train d’apprendre. Je retourne sept fois par an en Angleterre.» Le diplôme? Une cordelette avec trois couleurs, par exemple blanc-rouge-noir ou blanc-rouge-bleu, cela dépend des cercles. Les initiées la portent toujours autour de la taille, comme protection et pour avoir de la force.

Presque à la portée de tous

Au fait, devenir sorcière, est-ce à la portée de tout le monde? Selon Wicca Meier-Spring, chacun a des intuitions. Certains les oublient ou les évincent, car ils ne veulent rien savoir. «L’intuition est pourtant une protection naturelle. Une sorcière a appris à travailler avec son sixième sens, une faculté que l’on peut entraîner grâce à des exercices de respiration, de méditation ou de sensibilisation, mais c’est un long processus.»

Au musée, beaucoup de visiteurs lui racontent leurs expériences: une présence ressentie juste après le décès d’un proche, le livre préféré d’un mort auquel on pense qui tombe de la bibliothèque. «Le mort revient pour dire que tout va bien. Il se manifeste auprès de ceux qui en ont le plus besoin.» Les gens ne se moquent-ils jamais d’elle? «Je ne dis pas ce que je fais ou alors, lorsque je rencontre des personnes que je ne connais pas, je me tais aussi longtemps que je le peux. Croire en tout ça, ce n’est pas plus irrationnel que de croire en Dieu. Cela ne s’explique pas, comme beaucoup de choses d’ailleurs.»

Contrairement à d’autres sorcières, l’Argovienne affirme «ne pas voir les esprits mais sentir leur présence». Elle lit également dans les lignes de la main, tire le tarot et prédit l’avenir, prépare des huiles de protection et d’autres potions bienfaisantes. Elle ne donne cependant plus de séances privées, mais consacre toute son énergie à son musée, à l’enseignement et aux conférences sur le tarot ou les persécutions des sorcières. Etats-Unis, Brésil, Allemagne, France, Portugal ou encore Russie, elle se rend dans le monde entier. Mais pas sur un balai…


«Entre 1425 et 1430, une idée nouvelle surgit: le concept de secte»
L’historien italien et professeur honoraire à l’Université de Lausanne Agostino Paravicini livre son regard sur le monde des sorcières.

Qui étaient ces sorcièrespersécutées par l’Eglise et l’Etat?

Tout d’abord, il faut préciser que, historiquement, les procès en sorcellerie ne concernaient pas uniquement les femmes, mais aussi les hommes. Il est cependant juste de parler au féminin, à cause de la forte misogynie qui a entouré l’imaginaire du sabbat. Ni les uns ni les autres n’étaient des sorciers ou des sorcières. Ils étaient justes victimes de fausses accusations.

Qui étaient-ils donc?

Majoritairement des gens normaux, mais affaiblis d’une manière ou d’une autre. Il pouvait s’agir d’une veuve qui ne jouissait plus de la protection des siens, une personne dont les voisins ou la famille voulaient récupérer les biens. Il y avait des victimes de lutte politique: pour affaiblir un homme politique, comme ce fut le cas dans la région de Chamonix, on s’attaquait à sa femme en l’accusant de sorcellerie. De fait, il y avait une complicité entre la société et ceux qui détenaient le savoir doctrinal, soit l’Eglise. Cette dernière était forte, mais pas assez pour agir seule. Il lui fallait l’accord de la société.

Mais certaines personnes ont fait des aveux…

Oui, mais la plupart arrivaient après la torture. De plus, il y avait une telle circulation d’informations sur la sorcellerie que les accusés eux-mêmes finissaient par croire qu’ils avaient des pouvoirs. C’est la force de la suggestion.

Quand le phénomène a-t-il commencé?

On parle de genèse du phénomène de 1425 à 1430. Dans ces années-là, une idée complètement nouvelle surgit: le concept de secte. C’est le diable qui en est le chef. On accuse des prétendus membres de cette secte d’accomplir des actes antichrétiens, par exemple en profanant des hosties, ou des actes antihumains, en tuant des enfants et en pratiquant le cannibalisme.

Combien de personnes ont péri et quelles régions de l’Europe étaient concernées?

Il n’y a pas de chiffres sur toutes les exécutions, mais en Europe on dépasse des dizaines et des dizaines de milliers de personnes en trois siècles et demi. Je ne peux pas exclure que, parmi toutes ces victimes, certaines exerçaient une activité de guérisseur ou que certaines étaient des sorciers ou des sorcières, mais la documentation que nous avons étudiée ne permet pas vraiment de le savoir. La région touchée est assez bien définie: elle allait du val d’Aoste au Dauphiné en passant par le diocèse de Lausanne, qui comprenait Berne, Neuchâtel et le Pays de Vaud. Le Valais aussi était concerné. Lorsqu’il a occupé le Pays de Vaud, le régime bernois a eu besoin de cet instrument pour contrôler le territoire. Entre 1580 et 1620, ici comme en Europe, la chasse aux sorcières atteint son apogée, faisant un grand nombre de victimes chaque année.

Il s’agissait donc d’un instrument de pouvoir?

Oui, cela faisait partie du contrôle des autorités sur la population. La multiplicité de ces procès et de ces exécutions publiques créait la peur. Les gens finissaient par croire que cette secte existait et se tenaient à carreau. Là où les autorités étaient fortes, la chasse aux sorcières était moins importante ou même absente.

Et les sorcières modernes, vous y croyez?

Je n’ai pas de réponse, car je n’ai jamais rencontré de telles personnes. La seule chose que je peux dire, c’est que dans toutes les sociétés existent des personnes qui croient avoir des pouvoirs et des gens qui croient qu’il y a des personnes qui en ont…


Profil
Agostino Paravicini

Diplômé de l’Université de Fribourg en 1978, il a dirigé une dizaine d’études sur la genèse du sabbat, publiées dans les Cahiers lausannois d’histoire médiévale. Il exerce aujourd’hui en tant qu’historien et professeur honoraire à l’Université de Lausanne.

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Patrick Keller
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