Exclusif. Les deux pays étudient la mise en place d’un dispositif bilatéral en matière d’apprentissage. A l’heure du «French bashing», un sujet plus sensible qu’il n’y paraît.
Antoine Menusier Paris
La ministre française du Travail, Myriam El Khomri, est venue en faire la promotion, mercredi 14 octobre, sur le plateau du Petit journal de Canal+, une émission regardée par les «jeunes»: «La voie de l’apprentissage, c’est une très bonne voie, c’est 70% d’emplois derrière», a-t-elle dit. Aux prises avec un taux de chômage d’environ 25% chez les 15-24 ans et soucieux d’«inverser la courbe» croissante du nombre de sans-emploi avant l’élection présidentielle de 2017, condition fixée par le président François Hollande à sa propre candidature, le gouvernement de Manuel Valls se doit de trouver des solutions. Le renforcement de la «filière apprentissage», dévalorisée en France pendant plusieurs décennies au profit du baccalauréat, en est une.
L’expérience qui séduit hollande
La Suisse, qui a la «culture de l’apprentissage», où seulement 3% de la tranche d’âge citée sont à la recherche d’un travail, peut se montrer de bon conseil. Justement, les deux pays «réfléchissent à la mise en place d’un dispositif bilatéral d’échange d’apprentis», a appris L’Hebdo.
«Cela s’est décidé dans le sillage de la visite d’Etat en Suisse du président Hollande, en avril dernier, explique une source préférant garder l’anonymat à propos d’un dossier qui n’a pas encore fait l’objet d’une communication publique. Tout n’est pas défini, nous n’en sommes qu’au début.» Lors de cette visite, le président de la République avait rendu hommage au système de formation helvétique, parlant de «miracle». «Votre marque de fabrique, c’est l’innovation, la technologie et la création», avait-il déclaré lors de son passage à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Plus tôt, il s’était rendu, en compagnie de son hôte et homologue, Simonetta Sommaruga, à la Haute Ecole d’art de Zurich. Ces destinations montraient l’intérêt de la France pour un modèle de formation qui favorise l’emploi des jeunes et leur épanouissement, autant que faire se peut.
L’échange franco-suisse d’apprentis actuellement à l’étude a bien entendu un aspect symbolique et diplomatique, en permettant aux deux Etats de renforcer leurs liens de coopération. Mais ce sont ses aspects pratiques qui intéressent.
Des modalités à définir
Une piste explorée serait donc d’offrir la possibilité à des apprentis français d’effectuer leur apprentissage en Suisse et, inversement, à des apprentis suisses d’apprendre le métier de leur choix chez un employeur français. Les modalités de ce projet doivent encore être fixées, en termes, notamment, de reconnaissance des diplômes. On imagine sans peine que l’intérêt est plus grand côté français que côté suisse. Cependant, la partie helvétique ne veut pas paraître «donneuse de leçons», d’où la formule de l’«échange». Des sociétés situées en Suisse, comme LafargeHolcim, Novartis ou Nestlé, pourraient par exemple envoyer des apprentis se former chez des partenaires ou filiales en France. Sans parler des métiers d’artisanat, telles la boucherie et la charcuterie, où l’Hexagone excelle.
Une tentative régionale
Pour de jeunes Suisses, ce serait assurément une découverte culturelle. Les jeunes Français frontaliers ont déjà plus l’habitude de la culture du travail helvétique. A ce propos, les cantons de Vaud, de Neuchâtel et du Jura devaient signer en 2014 une convention transfrontalière avec la Franche-Comté, ouvrant l’apprentissage de part et d’autre de la frontière aux ressortissants de ces cantons et de cette région. «Cela n’a pas abouti, explique Olivier Tschopp, chef du Service de la formation du canton du Jura. L’acceptation, la même année, de l’initiative «Contre l’immigration de masse» n’est ici pas du tout en cause. Mais il faut bien reconnaître que la demande, côté suisse, pour faire un apprentissage en France était faible, et que, côté français, la multiplication des interlocuteurs, entre échelons régional et départemental, ne facilitait pas les choses d’un point de vue administratif.»
Le canton du Jura n’en accueille pas moins aujourd’hui, à ses frais, une vingtaine d’apprentis français frontaliers, sur un total de 2500 apprentis formés dans le canton. A l’heure du French bashing, l’emploi des Français en Suisse romande est une question «sensible», reconnaît Olivier Tschopp. «On entend dire que des directeurs de ressources humaines français, toujours plus nombreux sur sol jurassien, ont parfois tendance à favoriser l’embauche de compatriotes», rapporte le haut fonctionnaire cantonal. L’initiative prise par la France et la Suisse en matière d’apprentissage peut accentuer ce sentiment «anti-Français», comme il peut aider à le combattre.