Eclairage. Le rédacteur en chef de la «Weltwoche» et protégé de Christoph Blocher entre au Parlement avec le meilleur résultat du pays. Faut-il avoir peur de Roger Köppel?
Il énerve. Et il inquiète. Avant même d’être arrivé sous la Coupole. Serait-ce ce petit sourire constamment au bord des lèvres? Cette crispation au niveau des mandibules, comme s’il allait mordre tout soudain? Ou plutôt les salves d’attaques qu’il mitraille dans les talk-shows, one man shows et autres débats publics où il a attiré des foules?
Une chose est sûre, Roger Köppel, 50 ans, rédacteur en chef de la Weltwoche et néoconseiller national, a déjà semé la zizanie à l’UDC où il vient d’entrer. A dix jours des élections fédérales, son magazine a accusé plus de 20 parlementaires agrariens de s’écarter de la ligne néolibérale du parti (lire ci-contre). Histoire de ramener les brebis égarées au pays des moutons blancs? De prouver qu’il restera critique, malgré son entrée officielle au parti?
Capacité de nuire
On peut aussi y voir une volonté de nuire, de discréditer certains candidats potentiels au Conseil fédéral. Parce que, parmi les UDC critiqués, on trouve le Grison Heinz Brand, papable depuis longtemps, et le Thurgovien Roland Eberle, sénateur et ex-conseiller d’Etat, un homme qui a tout pour faire un bon candidat. La preuve: le parti l’avait proposé officiellement en l’an 2000 pour succéder à Adolf Ogi.
Autant dire que ces élus sont sens dessus dessous, et plusieurs ont exprimé leur courroux dans la presse. Déjà qu’ils avaient peu apprécié le fait que Roger Köppel déboule soudain sur la liste électorale zurichoise. Et trouvé saumâtre cette Köppelmania qui remplit les salles de Berne, Zurich ou Winterthour.
Bref, au Parlement fédéral, les UDC ne se réjouissent pas, mais alors pas du tout, de la venue de leur collègue frais émoulu et connu comme le loup blanc. Va-t-il les surveiller aux séances du groupe parlementaire, en commission, pour mieux les dénoncer ensuite dans la Weltwoche? Atmosphère.
Dès lors, tout le monde se pose la question: faut-il avoir peur de Roger Köppel? Celui qui s’est vu propulsé rédacteur en chef puis propriétaire de l’hebdomadaire Weltwoche est-il vraiment le prince héritier de Christoph Blocher, celui qui reprendra le flambeau?
Dans les débats, une chose est sûre, il terrasse ses adversaires. Dans une petite salle de Berne, acquise d’avance au Zurichois, il a réussi à faire sortir de ses gonds le conseiller national socialiste Matthias Aebischer à force de railler Simonetta Sommaruga qui ne saurait pas négocier à Bruxelles. Dans un autre duel, à Oerlikon, il a dominé l’ex-diplomate Tim Guldimann, désarçonnant sans cesse de ses piques l’homme qui tentait d’expliquer la politique de l’asile dans l’Union européenne.
«Il va probablement prendre le leadership intellectuel du parti, estime Christophe Darbellay, le président du PDC. Parce qu’il maîtrise à la fois la communication et l’idéologie. Mais il y a aussi le leadership du terrain, le savoir-faire politique. Et, là, il y a des Adrian Amstutz, Gregor Rutz ou Thomas Aeschi qui ne vont pas se laisser dépasser par la droite.»
Et le pouvoir? «Encore faudrait-il qu’il soit capable de fédérer le parti», observe le conseiller national socialiste Jean-François Steiert.
C’est sans doute là, précisément, que le bât blesse. Si le journaliste a l’esprit alerte et l’argument qui fuse, de la culture et du savoir – il a étudié la philosophie politique et l’histoire de l’économie –, s’il peut séduire un électorat urbain et cultivé, il lui manque l’envergure de Christoph Blocher, son bilan professionnel et politique.
Puissants mentors
L’ancien a relancé un parti zurichois à l’agonie pour en faire la première force politique du pays, le nouveau vient d’adhérer à un parti qui gagnait avant lui.
Christoph Blocher, le paysan de formation devenu juriste, a transformé une entreprise essoufflée, EMS-Chemie, en un groupe industriel puissant et international. Il n’a de comptes à rendre à personne.
Roger Köppel adore dire qu’il est «entrepreneur», lui aussi, mais il n’a jamais précisé d’où venait l’argent qui lui a permis d’acheter les actions de la société Weltwoche AG. Mais on sait qu’il peut compter sur les éminences grises et milliardaires Christoph Blocher et Tito Tettamanti, lequel fut l’éditeur de la Weltwoche avant que Roger Köppel ne le devienne lui-même. Bref, il n’est pas l’homme libre qu’est Christoph Blocher, même s’il a transformé son magazine en média de combat, comme le voulaient ses mentors.
Les arguments de Blocher
Ou faudrait-il dire ses souffleurs? Car ce qui surprend le plus chez Roger Köppel, c’est l’absence de propositions personnelles. Parce qu’il récite, de tête et avec brio, mais il récite quand même, la leçon du maître. A longueur de débats et de conférences, le rédacteur en chef répète exactement les mêmes arguments que l’homme de Herrliberg. Le modèle du succès de la Suisse? «Notre travail assidu, notre démocratie directe, notre indépendance qui remonte au 1er août 1291.» Roger Köppel, faut-il le préciser, adopte les mêmes références historiques que le chef de l’UDC. Lui aussi minimise les six accords du premier paquet de bilatérales. «Aucun d’entre eux n’est existentiel.» Lui aussi martèle que «nous vivons un chaos de l’asile en Suisse» et affirme le patriotisme du parti. «Nous n’avons pas honte d’être Suisses.» Des messages parfaitement identiques. Jusqu’au sens du sacrifice. Roger Köppel l’a dit et redit. Il ne veut pas aller à Berne, il a assez de travail au journal, et trois petits enfants, mais il le doit. Parce que la Suisse irait mal et le Conseil fédéral plierait l’échine devant l’Union européenne.
Alors, c’est sûr, Roger Köppel sera l’héritier de l’idéologie de son maître. Quant à prendre sa place, c’est une autre affaire. Comme le dit un politicien influent du PLR: «S’il parvient, malgré les résistances, à s’imposer et à prendre le pouvoir à l’UDC, la collaboration avec notre parti n’existera plus. Il nous a tellement dénigrés.»
Et si son mentor le proposait pour le Conseil fédéral, quand bien même il n’aurait pas la moindre chance d’être élu? Ce serait la preuve, éclatante, que l’UDC ne veut pas vraiment d’un second siège au gouvernement.
Le petit Köppel illustré
N’en déplaise à son rédacteur en chef et éditeur qui estime que son magazine reste indépendant, la «Weltwoche» affiche le plus souvent les positions de l’UDC et pratique un journalisme de thèse parfois brutalement démenti par la réalité des faits. Michel Guillaume