Interview. Président de la direction de Munich Re, Nikolaus von Bomhard met en garde contre les conséquences du changement climatique, ce réchauffement qui pourrait devenir la première incitation aux mouvements migratoires.
Propos recueillis par Martin Hesse et Alexander Jung
A Munich débarquent tous les jours des réfugiés qui fuient la guerre et la terreur ou se cherchent un avenir économique. L’Allemagne est-elle en mesure de maîtriser ce flux?
Oui, même si l’on part de l’idée que cette année 1,5 million de personnes devraient arriver. Environ 40% d’entre elles obtiennent l’asile ou sont reconnues comme réfugiées, ce qui donne 600 000 personnes. Nous pouvons nous le permettre. Dans les années 1990, nous avions accueilli 400 000 réfugiés. Si le flux ne devait pas se tarir, il y a bien sûr des limites aussi bien économiques que sur le plan de notre capacité d’intégration sociale.
Certains économistes voient dans cette vague migratoire une impulsion de nature à stimuler la conjoncture.
A court terme, oui. Mais on y arriverait aussi en investissant l’argent autrement. En tout cas, les montants ainsi dépensés ne sont pas une aide à fonds perdu. L’important, c’est que cet afflux résolve en partie notre problème démographique et nous aide à assurer notre prospérité à long terme. A cet égard, il est décisif que l’intégration soit réussie.
Que faire à court terme pour maîtriser la crise migratoire?
Il est essentiel de créer de la transparence. Envers ceux qui arrivent, à qui il faut expliquer les perspectives qu’ils peuvent espérer ou non. Il faut aussi dire clairement aux Allemands quels sont les droits des réfugiés et des immigrants, ce qu’ils peuvent exiger ou pas, qui sera refoulé ou non. Presque personne n’est aujourd’hui en mesure de dire si tous ces gens qui arrivent à Munich seront pour une bonne part refoulés ou s’ils peuvent rester et faire venir leur famille. Nous devons mettre un terme à cette insécurité. Cela couperait aussi l’herbe sous les pieds aux mouvements extrémistes qui se nourrissent de la peur suscitée au sein de la population.
Une loi sur l’immigration est-elle nécessaire?
Absolument. Car l’Allemagne a besoin de l’immigration. A moyen terme, l’alternative à l’immigration est la perte de prospérité. Il faut l’expliquer clairement. Or les politiques ont omis de le faire par le passé.
A quoi devrait ressembler cette loi sur l’immigration?
Je ne suis pas expert. Mais de manière générale on s’attend à ce qu’une telle loi dise quelles personnes avec quel type de qualification et quelles connaissances de la langue peuvent entrer. Les gens pourraient alors s’inscrire dans leur propre pays et ne devraient pas confier leur vie à des passeurs pour gagner l’Europe.
Vous déplorez l’échec du politique. Mais en quoi l’économie contribue-t-elle?
A ce jour, l’économie est très disposée à l’accueil. Rien d’étonnant: il y a 600 000 postes de travail inoccupés, nous avons besoin de main-d’œuvre. Mais cela coûte du temps et de l’argent d’intégrer et de former des réfugiés.
Vous faites valoir que le nombre de réfugiés devrait encore augmenter notablement parce que les gens fuient aussi les conséquences des changements climatiques. La vague de migrants actuelle n’est-elle qu’un début?
Je crains qu’aujourd’hui nous ne voyions que le sommet de l’iceberg. On compte déjà 60 millions de réfugiés de par le monde. Leur nombre s’accroîtra si nous ne parvenons pas à endiguer les incessants conflits entre (ou dans) tant de pays ou dus au changement climatique, qui s’accélère. Le changement climatique a le potentiel de devenir la première incitation aux mouvements migratoires.
Sait-on déjà quelque chose de cette migration due au changement climatique?
Les extrêmes météorologiques menacent les conditions d’existence de base. En Afrique, la sécheresse entraîne des famines et des mouvements migratoires. D’autres pays caractérisés par des littoraux plats mais très peuplés sont menacés par la hausse du niveau des mers, à l’instar du Bangladesh. Les répercussions du changement climatique, comme une pénurie croissante d’eau, seront de plus en plus perceptibles même en Europe. Je pense au sud de la France, à l’Italie et à l’Espagne. Cela causera là aussi des phénomènes migratoires.
En tant que réassureur, Munich Re a tout intérêt à mettre en garde contre les conséquences du changement climatique. Ne peignez-vous pas un peu le diable sur la muraille?
Du tout. Les lourds dommages consécutifs aux catastrophes naturelles sont hélas une réalité mesurable. Cela se passe parfois comme nous l’avions prévu, parfois c’est pire. Par ailleurs, nous prônons la prévention depuis des années. Nous voulons que le risque diminue.
Votre rapport annuel mentionne que, pour votre secteur, il n’y a guère de plus grand risque que le changement climatique. La branche pourrait-elle un jour être menacée dans son existence?
Vous venez de me demander si je ne peignais pas le diable sur la muraille en matière de changement climatique et, maintenant, vous me demandez si ce changement climatique pourrait menacer notre branche. Dans les deux cas c’est faux. En tant qu’assureurs, nous ne travaillons nullement à la limite de nos capacités. De vastes portions de l’Asie, par exemple, restent encore largement sous-assurées contre les dommages dus au climat.
Là, vous faites votre pub. Les réassureurs sont sous pression. Peut-être le besoin d’être assuré n’est-il pas aussi grand que vous le dites.
La demande d’assurance contre les catastrophes naturelles augmente, mais plus lentement que l’offre destinée à couvrir de tels risques. C’est pourquoi les prix sont aujourd’hui sous pression.
Pour l’heure, l’afflux de réfugiés n’a pas grand-chose à voir avec le changement climatique. Pourrait-il cependant accroître les chances qu’à fin novembre, au sommet de Paris, on se mette d’accord sur des objectifs ambitieux?
Un accord global sur le climat avec des objectifs de CO2 contraignants limitera davantage les migrations futures vers l’Europe que de nouveaux barbelés ou de nouveaux patrouilleurs en Méditerranée. A cet égard, il faut des signaux positifs de Paris. Mais au bout du compte, les contraintes sur le papier sont moins décisives que l’action politique. Le problème constant est la politique à courte vue, si incroyablement incapable de se projeter au-delà d’une législature. Elle doit enfin aborder les causes des migrations. Or, le changement climatique en fait partie.
L’objectif 2 degrés est-il vraiment atteignable?
Si nous nous donnons tous de la peine, il est réalisable. Mais le Protocole de Kyoto est échu depuis 2012. Du coup, depuis trois ans nous sommes en plein vide politique. Plus nous attendons pour inaugurer une voie vers une décarbonisation substantielle, plus les pertes de prospérité dues aux sinistres et aux mesures d’adaptation seront élevées.
L’industrie lourde est la plus grande émettrice de CO2. Faut-il plus de pression sur l’économie?
Le vœu de faire tout juste est tangible dans l’industrie allemande. Elle investit massivement dans les technologies propres. Mais pour les industries gourmandes en énergie, il y a des limites. Si elles sont franchies, une entreprise n’est plus compétitive à l’international. Il faudrait ici des conditions de concurrence globale, valables pour tous les intervenants.
L’exemple de VW montre que les entreprises ne reculent devant rien pour contourner la protection du climat.
Ce n’est pas à moi de commenter les événements chez VW. Le respect des standards minimaux du comportement de l’entreprise est l’affaire de la direction. C’est aussi sa tâche de créer une culture dans laquelle chacun sait à quelles valeurs fondamentales il doit se conformer. Si cette culture ne convient pas, les faux pas sont vite là.
En tant que réassureur, vous combattez le changement climatique. Or les industries du charbon, du pétrole et du gaz sont aussi vos clientes. Comment conciliez-vous tout cela?
On ne peut répondre de manière simple au traitement des industries qui émettent beaucoup de CO2. Exemple: quand nous assurons un forage dans le golfe du Mexique et évitons que les dommages nés d’une fuite doivent être assumés par les responsables, on peut se demander si c’est bien ou mal.
Votre réponse?
En assurant ce genre de risques, nous veillons à ce que les standards de la gestion du risque soient respectés. Et si quelque chose va néanmoins de travers, nous nous assurons que tout soit mis en œuvre pour que la fuite soit rapidement colmatée et que soient évités les dommages financiers que l’entreprise concernée ne pourrait peut-être pas assumer.
Avec des actifs de 240 milliards d’euros, Munich Re est un énorme investisseur financier. A quel niveau êtes-vous investi dans des entreprises qui font leur beurre avec les combustibles fossiles?
Pratiquement rien en actions, car nous en détenons très peu. Et environ 1% en obligations.
Mark Carney, patron de la Banque d’Angleterre, met en garde contre le risque d’un séisme boursier, il juge les industries du gaz, du pétrole et du charbon surévaluées. A-t-il raison?
Je crois que cette déclaration a été très utile. Parce que nous devons nous demander quels effets aurait une décarbonisation de l’économie sur les marchés des capitaux. Mais nous devons nous garder d’y apporter une réponse par trop précoce.
© DER SPIEGEL traduction et adaptation gian pozzy
Profil
Nikolaus von Bomhard
Né en 1956, marié et père de deux enfants, Nikolaus von Bomhard est président de la direction de Munich Re depuis 2004. En 2007, il a été élu «Ecomanager de l’année» par le WWF Allemagne et le magazine Capital. Avec un chiffre d’affaires de primes émises de 36,8 milliards de dollars (2013), Munich Re, fondée en 1880, passe pour être la première société de réassurance du monde, devant Swiss Re.