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Ueli Maurer, le petit président

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Jeudi, 21 Novembre, 2013 - 06:00

Bilan.Peu de voyages, peu de couacs et un éloge patriotique du petit, le président de la Confédération 2013 a déçu en bien. Va-t-il tenir jusqu’à la fin? Chronique d’une année d’honneurs plutôt inutile.

 

Dans le ciel d’Helvétie, les oiseaux auront souvent croisé deux objets volants en cette année 2013: un hélicoptère de l’armée qui emportait Ueli Maurer, le président de la Confédération, aux quatre coins de la Suisse et un avion de ligne qui s’envolait pour l’Argentine, le Cambodge ou le Cameroun avec à son bord le président du Conseil des Etats Filippo Lombardi (lire p. 18). Le monde à l’envers?

Pas pour Ueli Maurer. Il nous avait avertis, fin 2012, dans un sourire narquois: «J’ai donné mes instructions. Elles tiennent sur une page A4. Je veux aller à l’étranger aussi peu que possible, mais aussi souvent que nécessaire au pays.» On était bien embêté, à Berne. Lâcher un UDC, ex-président d’un parti aux relents xénophobes, sur le parquet international? Brrr on imaginait la honte au front du pays. Le corps diplomatique, fiévreux, trempait alors ses lèvres dans la prochaine coupe de champagne. Histoire d’oublier.

 

David contre Goliath. Quel ne fut donc le soulagement en janvier: au World Economic Forum de Davos, où défilent les puissants de la planète, Ueli Maurer, pas bobet comme certains le pensaient, prononça un discours plutôt digne et courageux, mais aussi en parfaite adéquation avec les thèses de l’UDC. Il osa critiquer ces «Etats puissants qui exercent une pression sur des compétiteurs petits mais couronnés de succès». Des propos qui entraient en résonance avec ce qu’éprouvaient bien des Suisses dans un pays sous le feu des critiques.

Cette ode à David contre Goliath, cet éloge du petit contre le grand, du neutre, de l’indépendant, du travailleur, Ueli Maurer l’a chanté avec ferveur tout au long de sa présidence. Un leitmotiv à l’étranger comme en Suisse, entonné lors des neuf discours qu’il a prononcés dans neuf communes suisses le 1er Août, évitant soigneusement les grandes villes, répété à la Fête fédérale de lutte, repris jusqu’à la tribune des Nations Unies à New York, devant l’assemblée de cette organisation à laquelle la Suisse a adhéré en 2002. Contre l’avis d’Ueli Maurer et de son parti, rappelons-le.

Dans ses chiches contacts avec l’étranger aussi, le président de la Confédération a voulu en relief son côté «résistant». L’hôte qu’il aurait rêvé d’accueillir en Suisse, c’était la reine d’Angleterre Elisabeth II. L’homme qui affiche sa simplicité et mord dans une Bratwurst à chaque fois qu’une caméra passe par là se serait soudain entiché de têtes couronnées? Que ses troupes se rassurent. Ses motifs étaient d’ordre politique: il voulait accueillir l’Angleterre, cette île en Europe, membre de l’UE mais à l’ADN terriblement eurosceptique. La reine ne viendra pas? Qu’à cela ne tienne. Ueli Maurer a beaucoup aimé recevoir le président finlandais, un conservateur d’un pays neutre, sobre, peu dépensier, une nation comme une âme sœur pour Ueli Maurer. Inspiré, l’UDC s’est même senti pousser des ailes, imposant au protocole sa fille Sidonia en remplacement de son épouse grippée. Sidonia Maurer, violoniste aux longues mèches brunes, a donné à la cérémonie un visage bien moins figé que d’ordinaire. Joli coup.

 

Couacs, courbettes et Conseil fédéral. Moins jolis furent les propos du président de la Confédération lors de sa visite officielle à Pékin. Tout avait pourtant si bien commencé. L’accord de libre-échange obtenu par la Suisse rendait béats les milieux économiques, tout en s’inscrivant parfaitement dans la ligne du président qui répète comme un mantra que la Suisse est bien trop concentrée sur l’Union européenne. Seulement voilà, après avoir passé en revue une troupe de blindés chinois, Ueli Maurer a tenu des propos consternants au sujet du massacre de la place Tiananmen en 1989: «Je pense que nous pouvons tirer un trait sur cette affaire.» Une courbette, aussi soumise qu’inutile, devant la puissante Chine. Tout le contraire de ce que prêche généralement Ueli Maurer. Cet impair a rappelé son malheureux message à la mémoire des victimes de l’Holocauste de janvier. Quand il n’a parlé de la Suisse que comme un refuge, omettant le fait qu’elle a aussi refoulé des juifs à la frontière.

Quoi qu’il en soit, à part ces deux gros couacs, Ueli Maurer a plutôt déçu en bien. On ne l’a pas vu en Europe, certes, il n’a pas mis un pied à Bruxelles, correct. Au moins aura-t-on évité l’incident diplomatique. Soyons clairs: les pays de l’UE ne se pressaient pas au portillon pour rencontrer un anti-européen notoire et le DFAE n’a pas poussé très fort dans cette direction. D’autant moins qu’aux Affaires étrangères, on prépare fébrilement une autre année présidentielle, celle de Didier Burkhalter, une vraie, elle, qui donnera le tournis.

 


Lombardi, l’anti-Maurer

Oui. Filippo Lombardi aime les gens, les contacts, les voyages. Il a consacré tout son temps à cette année de présidence du Conseil des Etats. Au contraire d’Ueli Maurer, le président du Sénat est un cosmopolite qui non seulement maîtrise les langues nationales, mais parle anglais et espagnol couramment. Une curiosité pour l’étranger qui l’amena à œuvrer six ans en qualité de secrétaire des Jeunes chrétiens-démocrates européens, à Bruxelles. Oui. Le Tessinois PDC a beaucoup voyagé. Quinze déplacements, 22 pays, dont le Chili, la Russie, la France, la Colombie. Il a rencontré ses homologues, quelques fois des hommes plus influents, comme le premier ministre italien Enrico Letta. A Berne, il a reçu 25 délégations étrangères.

Une diplomatie parlementaire appuyée. Trop? En Suisse alémanique et notamment dans les médias, les reproches pleuvent. C’est surtout le dépassement des coûts qui pose problème – 120 000 francs, une somme pourtant modeste – et le fait qu’il ait la compétence d’autoriser lui-même ce dépassement. Les médias raillent le Tessinois qui montre cadeaux et photos souvenirs avec un plaisir trop jouissif, trop latin, suspect, quoi.

Mais peut-on nouer trop de contacts politiques internationaux au nom d’une Suisse qui n’est pas membre de l’Union européenne et qui subit régulièrement les foudres des Etats-Unis, de l’OCDE, de ses voisins? Comme l’a relevé Filippo Lombardi et avant lui un autre surdoué des relations personnelles, Adolf Ogi, notre pays a besoin d’amis, d’alliés. D’ailleurs, aux Affaires étrangères comme dans l’entourage d’Ueli Maurer, on salue les services rendus par le Tessinois, son entregent, sa disponibilité à remplacer, au pied levé, un ministre ou le président. Parce que les contacts permettent parfois de débloquer un accord, comme le traité de libre-échange entre la Thaïlande et l’AELE. Parce que notre pays a une expérience à partager, avec le Cambodge par exemple, une démocratie en devenir où les partis minoritaires ont soif de savoir-faire parlementaire.

Dans une Suisse au naturel introverti, où les présidents de la Confédération étaient longtemps censés ne pas quitter le pays, les pionniers ont la vie dure. Le monde s’est globalisé, il a changé, pourquoi ne pas s’adapter?

AVEC Le Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi (Birmanie), le président du Sénat Kassym-Jomart Tokayev (Kazakhstan) et le premier ministre Enrico Letta (Italie).


Ambassadeurs, en joue! Bref, dans ces milieux diplomatiques encore inquiets il y a un an, on reconnaît qu’Ueli Maurer a eu le souci de bien faire, encore taiseux lors des rencontres bilatérales à Davos, il semblait à l’aise à New York. Alors dans un système où l’on mesure un président selon deux critères principaux, sa gestion du Conseil fédéral et son action à l’étranger, on peut affirmer qu’il fut dans la moyenne. Il n’a pas fait honte à l’étranger, et, à l’interne, il a su s’attirer la sympathie de la population suisse, visitant chaque canton sauf Schaffhouse.

 

La tension monte. Farouche et rural patriote, il a continué d’encenser sa «meilleure armée du monde», emmenant les ambassadeurs étrangers tirer à un stand, tels de preux Helvètes. Et, non content d’avoir vu augmenter son budget à 5 milliards, il a pris un malin plaisir à enfermer ses collègues socialistes et pacifistes dans un char d’assaut lors de l’excursion du Conseil fédéral. En Suisse toujours, il a apporté le plus grand soin à la préparation des séances du Conseil fédéral. Un haut fonctionnaire libéral-radical nous confiait: «Il est bien mieux intégré que ne l’était Christoph Blocher. Sa présidence tend à montrer que l’UDC se normalise.»

Est-ce pour ne pas laisser l’impression qu’il se fond dans le moule qu’Ueli Maurer donne plus souvent des coups de dents à la collégialité? Plus l’année avance, plus on sent qu’il a besoin de montrer à son parti qu’il défend toujours ses valeurs. Dans une interview à Schweiz am Sonntag, il déclarait fin septembre que l’immigration telle que nous la vivons depuis plusieurs années n’était pas «supportable de manière durable» – un argument en faveur de l’initiative de son parti contre l’immigration de masse – et laissait entendre qu’un non à la libre circulation n’aurait rien de tragique, comme le non à l’EEE en 1992.

Tout récemment, au Forum européen de Lucerne, le président de la Confédération a carrément lancé à propos des négociations avec l’UE: «Les nouvelles exigences vont si loin qu’elles exigent de nous que nous acceptions des juges étrangers.
Ce serait la fin de notre souveraineté.» Une claire rupture de collégialité puisque le Conseil fédéral et les deux commissions du Parlement affirment le contraire: il n’y aura pas perte de souveraineté.

Jusqu’ici, on a laissé Ueli Maurer ronger la collégialité, le prix à payer pour intégrer un UDC tendance dure au gouvernement. Depuis quelques jours toutefois, la tension est palpable au Conseil fédéral où les mises en garde ont fusé. On sait Ueli Maurer très tenté de troquer son habit de président contre celui du chef de l’opposition. Dans les couloirs de son département, à l’approche de l’assemblée des délégués de l’UDC à Reiden (LU) consacrée à son initiative contre l’immigration de masse, on souffle que le chef a envie de frapper un coup, de montrer de prétendues absurdités dans l’histoire de la politique d’immigration du Conseil fédéral.

 

Le choix d’Ueli. Le président de la Confédération osera-t-il planter un couteau dans le dos de son propre gouvernement dans un vote crucial pour la Suisse, sa politique d’immigration, ses relations économiques avec l’Union européenne, sa prospérité? Juste deux jours avant la conférence de presse officielle du gouvernement où pas moins de trois conseillers fédéraux iront défendre le non? La fin d’année voit généralement les présidents de la Confédération étreints par la mélancolie, infiniment tristes de quitter cette fonction glamoureuse qui leur a permis d’arpenter le monde, d’approcher les plus grands; Ueli Maurer, lui, va-t-il faire passer les intérêts de son parti avant ceux du pays? A la réponse qu’il donnera à toutes ces questions, on mesurera si Ueli Maurer a acquis la stature d’un homme d’Etat. Ou pas.

Et s’il peut prétendre au titre de meilleur président d’une Suisse qui n’aime pas les têtes qui dépassent: un président qui fait son tour et puis s’en va. Sans éclat.

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Sophie Stieger / 13 PHOTO
Justin Lane / Reuters
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