Eclairage. Dans la foule des nouveaux élus qui monteront à Berne cet hiver, quelques Alémaniques pourraient émerger.
Catherine Bellini et Michel Guillaume
Nous n’allons plus vous présenter l’ex-ambassadeur Tim Guldimann ni le rédacteur en chef de la Weltwoche, Roger Köppel. Les deux candidats élus le 18 octobre sur des listes zurichoises, brillamment pour le second, furent omniprésents et fort médiatisés. Comme Magdalena Martullo-Blocher, fille de Christoph, élue dans le canton des Grisons, ils n’ont pas pu vous échapper. Pourtant, ils ne sont pas les seuls nouveaux élus alémaniques susceptibles de rayonner au-delà de leur région, que ce soit grâce à leur expérience, à leur expertise, à leur capacité à attirer la lumière, voire à provoquer. Florilège.
De fortes zurichoises
Qu’on se le tienne pour dit, à Berne, Regine Sauter (PLR/ZH), 49 ans, défendra une application de l’initiative «Contre l’immigration de masse» si et seulement si elle respecte les accords bilatéraux. Parce que ceux-ci se révèlent essentiels à l’économie, au trafic aérien comme à la recherche aux yeux de la directrice de la Chambre de commerce zurichoise. Vive et déterminée, elle a siégé onze ans au Grand Conseil et œuvré à la renaissance du parti. Regine Sauter se dit profondément convaincue que l’avenir libéral se construit sans singer d’autres formations politiques. «Le fait que notre parti n’ait pas réalisé d’apparentements avec l’UDC s’est révélé très bénéfique pour nous. De nombreux citoyens me l’ont répété ces derniers mois: ils apprécient que nous suivions notre propre voie, libérale et ouverte.» Lorsque la plateforme commune composée de tous les partis bourgeois, y compris l’UDC, a été adoptée pour la course à l’exécutif cantonal en avril, elle incluait «une claire reconnaissance des accords bilatéraux, de la plus haute importance pour notre économie exportatrice».
Lorsque Min Li Marti (PS/ZH), 41 ans, a été élue, les médias ont surtout relevé qu’elle était la compagne du chef de groupe des Verts, Balthasar Glättli. Puis qu’elle était une sorte de «Roger Köppel rouge et féminin». Fille d’une réfugiée chinoise, cette sociologue dirige le groupe socialiste au Parlement de la ville de Zurich depuis 2009. Depuis peu éditrice du petit hebdomadaire de gauche PS, qui tire à 7000 exemplaires et tourne sur un budget de 500 000 francs par an, elle s’y bat pour une presse engagée et de qualité, non sans une touche d’autocritique. «Qu’elle vienne de Moscou ou de Herrliberg, une Pravda est toujours ennuyeuse», assène-t-elle. A Berne, elle compte axer son travail sur les thèmes de l’égalité, de la culture et des finances.
Elle n’est pas tombée de la dernière pluie, Priska Seiler Graf (PS/ZH), 47 ans. Douze ans au Parlement de sa ville, cinq ans à son exécutif et dix au Grand Conseil. Ambitieuse, elle aurait aimé se lancer dans la course au Conseil d’Etat de son canton mais a dû s’effacer devant Jacqueline Fehr. Qu’à cela ne tienne, elle a réussi son élection au Parlement fédéral. On dit d’elle qu’elle sait s’imposer. Pas surprenant pour une socialiste qui œuvre à Kloten, cité où l’UDC domine largement et où elle s’est retrouvée seule femme de gauche dans un gouvernement bourgeois. L’ex-enseignante secondaire et prof de ballet ne se verra donc pas dépaysée sous la Coupole et son armée de 65 parlementaires UDC.
Et deux UDC
Claudio Zanetti (UDC/ZH), 47 ans, s’affiche en UDC bien dans la ligne du parti dans l’ensemble: allergique à l’UE, aux juges étrangers et à toute hausse d’impôts ou de taxes. Le juriste, qui fut secrétaire général de l’UDC zurichoise sous l’égide de Christoph Blocher, garde toutefois quelque liberté de parole en certaines occasions. Il a ainsi pris position contre l’initiative voulant interdire le port de la burqa: «Une telle interdiction, dirigée contre une si faible minorité de gens, est indigne d’un pays si fier de ses libertés.» Dans ce même élan libéral, il s’était opposé à la norme antiraciste. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il avait quitté le Parti radical, son premier amour politique, pour rejoindre l’UDC. Très présent sur Twitter, il a le sang chaud et peut déraper. Mais il a surtout la passion du débat et prétend ne pas connaître un seul gauchiste au Grand Conseil avec qui il n’aurait pas envie d’aller boire une bière!
Quant au professeur de droit Hans-Ueli Vogt (UDC/ZH), 45 ans, un urbain réservé et intello, il va surtout faire parler de lui en raison de son bébé: l’initiative pour la primauté du droit suisse sur le droit international. Il devrait entrer au National, ses chances d’être élu au Conseil des Etats face au PLR Ruedi Noser semblant fort minces.
Des atypiques de bâle
Christoph Eymann (LDP/BS)? Un survivant et un revenant, ce libéral de 64 ans qui prône l’écologie et la responsabilité sociale. Une association devenue hélas trop rare. Conseiller d’Etat à Bâle-Ville, il a succédé à Isabelle Chassot à la présidence de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique. Il connaît fort bien la maison fédérale puisqu’il a siégé au Conseil national de 1991 à 2001. C’est à lui qu’on doit l’inscription du principe du développement durable dans la Constitution. Conciliant et ouvert, il sait travailler au-delà des frontières partisanes. Et pour ne rien gâcher, il apporte aussi sa connaissance du tissu économique puisqu’il fut directeur de l’Union cantonale des arts et métiers pendant dix-sept ans.
Sibel Arslan (BastA!/BS), 35 ans, incarne mieux que quiconque ce que sera la Suisse de demain, métissée et urbaine, avec ses 8 à 10 millions d’habitants. D’origine turque et kurde, elle n’a débarqué sur les bords du Rhin qu’à l’âge de 11 ans, mais s’exprime avec un accent bâlois à couper au couteau. A peine titulaire du passeport suisse (2004), cette juriste entre au Grand Conseil du demi-canton de Bâle-Ville au sein de l’alternative verte BastA!. Son élection a constitué une immense surprise. En 2014, la Basler Zeitung avait révélé ses dettes impayées pour 60 000 francs, l’empêchant ainsi d’obtenir un poste de cadre au sein de l’administration. «On ne m’a jamais fait le moindre cadeau», ne cesset-elle de répéter. Aux adversaires qui la disent «naïve et émotionnelle», elle répond qu’elle «laisse parler [son] cœur» en prenant ses décisions. Sûr qu’au Conseil national elle donnera une voix aux migrants, même si elle ne veut pas être réduite à ce statut. «Je suis une citoyenne suisse.»
De nouveaux libéraux
Présidente du PDC de la ville de Lucerne, députée au Grand Conseil, ex-enseignante au gymnase et mère de quatre enfants, Andrea Gmür (PDC/LU), 51 ans, renforcera la voix lucernoise des femmes PDC à Berne. Elle dirige la fondation Josi Meier, du nom de cette avocate et grande dame du suffrage féminin qui fit partie de la première volée féminine à entrer au Parlement fédéral en 1971. Curieux cocktail cependant: dans son travail à la fondation, Andrea Gmür soutient des personnes en détresse, ce qui ne l’empêche pas de s’enorgueillir de la coupe massive réalisée dans l’impôt sur les entreprises de son canton. Coupe qui conduit Lucerne à réaliser des économies dans la formation notamment par le biais de l’introduction, sous peu, d’une semaine de vacances forcées dans les écoles moyennes supérieures. Bref, dans la gauche lucernoise, on estime qu’Andrea Gmür, plus libérale que sociale, n’est pas vraiment l’héritière de Josi Meier. Quand bien même elle défend les femmes qui veulent concilier vie de famille et profession comme elles l’entendent. Mais son univers mental baigne bien dans la démocratie chrétienne: son père fut conseiller aux Etats pour le canton de Saint-Gall, elle a étudié à l’Université de Fribourg et son beau-frère n’est autre que l’évêque de Bâle, Felix Gmür.
Marcel Dobler (PLR/SG), 35 ans, deux petits enfants, figure parmi ces entrepreneurs novices en politique dont les partis, surtout de droite, raffolent. D’autant plus que sa réussite professionnelle éclatante, il la doit au virage numérique, grand défi du moment. Electronicien, il a créé la start-up Digitec en 2001 avec deux copains bricoleurs comme lui. L’entreprise, qui vend d’abord des ordinateurs améliorés puis des téléphones, du software et d’autres produits électroniques en ligne, a franchi la barre des 500 millions de chiffre d’affaires en 2014. Après sa vente à Migros, les trois compères ont touché plus de 10 millions chacun. Marcel Dobler a complètement quitté l’entreprise l’an dernier. Le jeune homme entre au Conseil national en complet débutant. Il entend y apporter son expérience entrepreneuriale et motiver les jeunes à se mêler de politique. Tout en poursuivant une autre carrière, sportive celle-ci. Champion suisse de décathlon en 2009, l’homme, 100 kilos, s’est mis au bob. Va-t-il devenir aussi un poids lourd en politique? Lui-même reconnaît qu’il a tout à apprendre mais s’affiche d’emblée indépendant, sans mandats dans des conseils d’administration et convaincu qu’«Helvetia a besoin d’une cure de fitness», comme il l’affirme sur son site.
Provocateur
On peut compter sur lui pour provoquer. Bien davantage que sur l’autre nouvel élu UDC bernois, Werner Salzmann, pourtant président de la section cantonale, modéré dans les formes et aligné sur le fond. Erich Hess (UDC/BE), 36 ans et chauffeur de poids lourd, ne fait pas dans la dentelle et ne craint pas l’adversité. Président des jeunesses UDC suisses et député au Parlement cantonal, il est l’ennemi public numéro un de la jeunesse de Berne, qu’elle soit de gauche ou apolitique. Parce qu’il a pris pour cheval de bataille la Reithalle, le centre alternatif et autogéré où la police ne pénètre pas et où les manifestants cagoulés trouvent régulièrement refuge en cas d’échauffourées.
Erich Hess a déjà lancé cinq initiatives contre ce centre, toutes refusées par les citoyens de la cité. Il revient donc avec une initiative cantonale, cette fois-ci. La jeunesse UDC du canton y demande de sanctionner la municipalité si elle ne ferme pas le centre. En retranchant 55 millions à la contribution que la ville reçoit dans le cadre de la péréquation. La récolte des signatures a commencé. Seul contre tous? Le camionneur a l’habitude. Il y a deux ans, une autre initiative lancée par ses jeunes troupes demandait d’interdire la naturalisation non seulement des criminels, mais aussi des bénéficiaires de l’aide sociale. Les citoyens du canton l’ont acceptée à 56%.