Dossier réalisé par Sylvie Logean
Allongé sur un lit du service de pédiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne, Grégory, 12 ans, est imperturbable malgré les bruits ambiants qui l’entourent et les talons qui claquent dans le couloir voisin. Les yeux mi-clos, il s’imagine, loin de là, dans un château gardé par des lutins. Il décrit, d’un ton apaisé, la pièce remplie de fleurs et de papillons où il souhaite s’étendre. Grégory est dans son lieu de sécurité, un endroit où rien ne peut lui arriver, guidé dans ce voyage intérieur par la voix douce de l’hypnopraticienne et infirmière en pédiatrie Laurence Dahner.
Atteint de drépanocytose, une maladie héréditaire qui altère son hémoglobine et l’a contraint à subir une greffe de moelle osseuse, le préadolescent rencontre des douleurs chroniques importantes, mais aussi une difficulté récurrente à trouver le sommeil. Ce sont ses problèmes d’insomnie qui ont encouragé Grégory à suivre des séances d’hypnose, après avoir vu un reportage montrant Bertrand Piccard capable de se ressourcer, par cette technique, dans sa minuscule cabine de Solar Impulse.
Alors que les IRM et les divers contrôles médicaux s’égrainent dans son agenda d’écolier, Grégory découvre qu’il est également en mesure d’anesthésier, grâce à l’hypnose, une partie choisie de son corps. «C’est la preuve que tu as les ressources en toi pour diminuer tes douleurs quand tu en as besoin», encourage la praticienne.
Comme Grégory, nombreux sont aujourd’hui les patients à faire appel à cette technique dont les origines lointaines sont à retrouver chez les guérisseurs chamaniques et sont même visibles sur certaines peintures rupestres préhistoriques. Depuis, plusieurs praticiens de renom et surtout les neurosciences sont passés par-là (lire encadré ci-dessous), accordant ainsi une reconnaissance scientifique à cette discipline qui suscite encore de nombreuses craintes et nourrit les fantasmes les plus fous quant à ses supposées propriétés magiques. La faute sans doute à son passé quelque peu chaotique (voir la chronologie en page 10), à la confusion provoquée par les spectacles de music-hall où les sujets hypnotisés semblent perdre tout contrôle d’eux-mêmes et à la méconnaissance encore importante autour de son fonctionnement.
«L’hypnose est une technique sophistiquée, mais qui a finalement été l’objet de peu de travaux scientifiques. Beaucoup de médecins ou de chercheurs la considèrent donc toujours avec une certaine circonspection», confirme le professeur Patrik Vuilleumier, chef de groupe du département des neurosciences fondamentales de l’Université de Genève et coauteur de plusieurs études sur l’hypnose.
Pourtant, l’hypnose n’est rien d’autre qu’un phénomène naturellement présent chez l’homme, un état de conscience modifiée différent de l’état de conscience habituel, où le cerveau serait, selon les dernières avancées des neurosciences, dans une situation de contrôle accru, et que l’on rencontrerait spontanément que cela soit devant un film, au volant ou tout simplement lorsque l’on est plongé dans ses pensées. Un état naturel, mais pouvant représenter un outil formidable que peuvent s’approprier enfants et adultes afin de mieux gérer l’anxiété, le stress, les phobies ou encore dans le but de combattre les addictions…
Une alliée dans la douleur
Mais l’indication la plus connue et la plus spectaculaire de l’hypnose reste sans aucun doute la lutte contre la douleur. Plusieurs hôpitaux romands proposent aujourd’hui, dans leurs services d’antalgie notamment, des consultations ambulatoires d’hypnose pour les patients souffrant de douleurs chroniques (comme le mal de dos, les migraines, les douleurs neuropathiques), postopératoires ou dont on ignore la cause exacte. Autant d’affections pouvant se révéler rebelles aux antalgiques classiques et ainsi très difficiles à soulager. «L’objectif de l’hypnose est de permettre au patient de devenir plus indépendant vis-à-vis des médicaments et du personnel soignant, afin qu’il puisse se sentir plus autonome dans le contrôle de sa douleur, explique Chantal Berna Renella, cheffe de clinique au centre d’antalgie du service d’anesthésiologie du CHUV, à Lausanne. En pratiquant l’autohypnose une à deux fois par jour, le vécu se transforme, la perception de la douleur se modifie et elle devient moins dominante.»
Concrètement, en se basant sur les centres d’intérêt du patient, l’hypnopraticien va focaliser l’attention de ce dernier par l’imagination, le souvenir ou le ressenti de son corps, chaque individu ayant son canal sensoriel favori, qu’il soit visuel, auditif ou kinesthésique (perceptions corporelles). En s’organisant autour d’un centre d’attention spécifique, le cerveau se désintéresse des stimuli externes et le patient entre alors dans ce que l’on nomme la transe hypnotique. Cet état se caractérise par une réceptivité nettement augmentée pour la suggestion, mais aussi par la capacité de modifier la mémoire et les perceptions, ainsi que par la possibilité de contrôler des fonctions physiologiques habituellement involontaires.
Dans le cas du travail sur la douleur, l’hypnopraticien utilisera différentes techniques dans le but de soulager le patient, en s’appuyant soit sur des métaphores permettant de moduler la douleur, sur la transmission d’une anesthésie ou encore sur des images agréables, comme la sensation de fraîcheur ou de lumière apaisante.
«Cela représente un véritable empowerment du patient, complète Ariane Gonthier, ancienne cheffe de clinique à la Policlinique médicale universitaire de Lausanne, qui pratique l’hypnose dans son cabinet de médecine générale. Par ce biais, il se rend compte qu’il est capable de faire quelque chose de bien pour lui-même, qu’il n’abandonne pas son corps à la science, mais, au contraire, qu’il reprend contact avec lui.»
Arnaud Hardy en a fait l’expérience. En août dernier, ce Valaisan de 43 ans est happé dans une vis sans fin durant son travail alors qu’il fabrique des pellets de bois. Amputé des deux jambes sous les genoux, il doit alors faire face à des douleurs fantômes extrêmement pénibles. «J’étais déjà familier de l’hypnose, que j’avais utilisée pour arrêter de fumer. En une seule séance, j’avais pu passer de 45 cigarettes par jour à 6 seulement. Je savais donc que cela pouvait marcher. Après mon accident, le CHUV m’a rapidement proposé de pratiquer l’hypnose. Mes douleurs provenaient de mes pieds, comme s’ils étaient tordus vers l’arrière. Au cours d’une séance, j’ai donc été amené à les imaginer puis à les remettre dans une position confortable. Avec des résultats incroyables.»
La technique se révèle également un excellent outil lorsqu’il est question de mieux supporter les soins entraînant des douleurs aiguës. Service européen le plus à la pointe en matière d’hypnose intégrée au traitement des brûlés, le CHUV, à Lausanne, a d’ailleurs mené une étude dans ce sens, il y a quelques années. Ces travaux ont pu démontrer que, à partir du moment où les patients sont capables de pratiquer l’hypnose, ils sont non seulement plus confortables, mais reçoivent aussi moins d’antalgiques (ce qui réduit de facto leurs effets secondaires parfois très importants) tout en étant moins anxieux. Le nombre d’anesthésies générales, dont ont besoin les patients gravement brûlés pour subir certains soins, se réduit aussi drastiquement, de même que la cicatrisation des plaies semble accélérée. Au final, tous ces aspects positifs permettent au patient de quitter plus rapidement le service de réanimation puis l’hôpital, ce qui génère une diminution des coûts de la prise en charge de l’ordre de 19 000 francs par patient.
«Nous avons également constaté que cela avait un impact très positif sur les équipes soignantes qui pratiquent des actes difficiles sur les patients en soins intensifs, ajoute Maryse Davadant, infirmière spécialisée en soins intensifs et en hypnose au CHUV. Elles sont nettement moins stressées quand un hypnopraticien est présent, les soins se passent de façon plus tranquille pour le patient.»
L’acceptation de l’hypnose dans le domaine hospitalier ne s’est toutefois pas faite sans quelques difficultés: «Lorsque cette technique a été introduite dans le service de pédiatrie, on nous appelait régulièrement quand tout avait déjà été essayé. On attendait alors de l’hypnose qu’elle réalise des miracles, se souvient Patricia Fahrni, infirmière responsable de l’équipe pédiatrique cantonale de soins palliatifs au CHUV et praticienne en hypnose médicale. Au contraire, il est très important d’intervenir tôt, notamment en oncologie pédiatrique, car non seulement cela peut prendre du temps pour qu’un enfant crée un lien de confiance avec son soignant, mais aussi parce que, si le patient a de mauvais souvenirs en lien avec certains soins douloureux, il ne va pas se départir rapidement de cet ancrage négatif.»
Meilleure récupération
Sacro-saint lieu des chirurgiens, le bloc opératoire se convertit aussi toujours plus à l’hypnose. Jusqu’au XIXe siècle et à l’apparition de l’anesthésie, l’hypnose était utilisée par de nombreux médecins pour pratiquer des opérations sans douleur. Il a néanmoins fallu attendre les années 70 en Suisse romande pour voir cette technique refaire son entrée en médecine hospitalière, via les Hôpitaux universitaires de Genève, pionniers en la matière, et l’anesthésiste Alain Forster de retour d’une formation aux Etats-Unis. «Au début, mon chef pensait que c’était un gag et certains collègues trouvaient que je parlais bizarrement aux patients. Mais comme les anesthésistes travaillent en vitrine en présence de chirurgiens et d’instrumentistes notamment, cela a rapidement suscité un intérêt au sein de l’hôpital.»
Et pour cause, car les résultats de cette technique, applicable a priori pour tout acte chirurgical où l’on peut réaliser une anesthésie locale, sont pour le moins étonnants. En effet, l’hypnosédation évite non seulement les effets secondaires d’une anesthésie générale, mais le patient récupère également plus rapidement et ressent moins de douleurs. «Son vécu est également très différent, car il devient acteur de son intervention, complète Adriana Wolff, médecin adjoint dans le service d’anesthésiologie des HUG et hypnopraticienne. En réalisant qu’il est capable de subir une opération sous hypnose, le patient se découvre aussi de nouvelles compétences, il apprend quelque chose de nouveau sur lui, ce qui le valorise. Et cet effet positif a tendance à perdurer bien après son opération.»
Aux HUG, où la technique est régulièrement utilisée, l’hypnosédation est pratiquée en chirurgie endocrinienne (ablation partielle ou totale de la thyroïde), pour des interventions sur le sein (dans le cas d’une reconstruction, notamment), pour le curage d’hernies inguinales, mais aussi pour des interventions en gynécologie et en orthopédie (tunnel carpien ou arthroscopie du genou). A noter que cette technique ne convient pas aux opérations plus profondes, lors de chirurgie abdominale et thoracique par exemple, ou encore lors de pose de prothèses orthopédiques.
L’hôpital universitaire vaudois, quant à lui, pratique l’hypnosédation de manière plus ponctuelle. «Des études sont actuellement en cours afin de voir la faisabilité de l’hypnose dans les protocoles opératoires», précise Pierre-Yves Rodondi, collaborateur du groupe de recherche et d’enseignement sur les médecines complémentaires du CHUV.
«Cela change énormément la dynamique dans le bloc, car l’équipe doit en permanence s’adapter au rythme du patient», décrit Adriana Wolff. D’où certaines réticences de la part de chirurgiens peu enclins à abandonner certaines de leurs prérogatives, tant il est vrai que cette technique exige une étroite collaboration entre l’ensemble des acteurs d’une intervention. «Pour qu’une opération sous hypnose se déroule bien, elle doit impérativement répondre à trois conditions: que le patient soit en sécurité, qu’il soit confortable et que le chirurgien ait de bonnes conditions de travail. Si ces critères ne sont pas réunis, il faut alors envisager une autre solution», ajoute Alain Forster.
Réduire l’anxiété
En permettant au cerveau de filtrer les informations et de focaliser son attention sur un domaine spécifique, l’hypnose se révèle un bon moyen de lutter contre l’anxiété et le stress. En s’appuyant sur l’univers du patient, ses souvenirs, ses goûts, le thérapeute amène ce dernier vers une zone intérieure de confort.
Alors qu’on lui découvre un cancer du sein en automne dernier, Corinne, 53 ans, sent sa vie basculer autant que l’angoisse la saisir. S’ajoute à son désarroi une biopsie très douloureuse qui lui laisse des séquelles physiques et psychiques. «Lorsque l’on m’a dit qu’il y avait des cellules cancéreuses et que l’on devait réintervenir sur ce sein déjà meurtri, j’ai paniqué. D’autant plus qu’il s’agissait cette fois de placer un hameçon, c’est-à-dire un repère à l’intérieur du sein qui permet au chirurgien de retrouver l’anomalie lors de l’ablation de la tumeur. Rien que d’imaginer cela, c’était horrible.» En consultation préanesthésique aux HUG, Corinne se voit alors proposer l’hypnose. «Durant les séances, j’ai beaucoup travaillé sur la peur de la mort, je n’y avais jamais été vraiment confrontée jusque-là et j’ai vraiment pris cette nouvelle de plein fouet. J’ai alors pu canaliser ces peurs dans un endroit sécurisant pour moi, ce qui m’a énormément soulagée.»
Le travail se focalise également sur l’anesthésie, par l’hypnose, de la zone où l’intervention aura lieu. «J’ai constaté que j’étais en mesure, à la première séance, d’induire une péridurale dans le bas de mon corps. Je me suis alors rendu compte de la force de cet outil. J’ai ensuite beaucoup pratiqué à la maison pour recentrer l’anesthésie sur ma poitrine et essayer d’appréhender cette intervention difficile. Au final, le jour de l’intervention, je n’ai même pas senti lorsque l’on m’a posé l’hameçon.»
La naissance autrement
Dans l’attente de son deuxième enfant, Céline, 32 ans, a également fait appel à l’hypnose pour dépasser son angoisse causée par le traumatisme important lié au terme de sa première grossesse. Alors qu’elle souhaitait initialement accoucher le plus naturellement possible, une prééclampsie sévère (une hypertension artérielle gravidique) nécessite une césarienne en urgence puis une hospitalisation de quatre jours aux soins continus du CHUV. «Quand je suis tombée enceinte pour la deuxième fois, toutes ces émotions, difficilement gérables, ont réémergé. J’avais peur de perdre le bébé, puis de mourir en couches ou d’accoucher prématurément. L’hypnose me donne l’opportunité de travailler sur la gestion du stress, et me permet de reprendre confiance en moi.»
En Suisse romande, un peu moins d’une dizaine de sages-femmes sont actuellement formées à l’hypnose, mais la tendance est en augmentation, du fait notamment de l’attente des patientes dans ce sens. «Les femmes qui font cette démarche souhaitent pour la plupart accoucher sans péridurale, mais ce ne sont pas les seules demandes, analyse Floriane Udressy, sage-femme indépendante à Vevey et hypnothérapeute. Cela peut aussi aider à accepter les modifications corporelles liées à la grossesse, se départir d’un souvenir traumatique lié à un autre accouchement par exemple ou pour un accompagnement à l’allaitement.»
L’hypnose favoriserait en outre la physiologie même de l’accouchement, en activant la libération d’ocytocine et d’endorphines. En effet, selon plusieurs études, cette technique serait en mesure d’influencer les processus physiologiques, l’appareil psychique et le système nerveux autonome. Le rythme cardiaque pourrait ainsi être ralenti ou accéléré, des changements au niveau vasomoteur également être produits de manière à diminuer voire stopper les saignements, de même que le système immunitaire serait en mesure d’être influencé, de sorte à réduire le temps de guérison d’une plaie.
Réhumaniser les soins
En réponse à l’attente croissante des patients liée à l’hypnose, les professionnels de la santé sont toujours plus nombreux à se former à cette technique. L’Institut romand d’hypnose suisse (IRHYS) forme ainsi de 30 à 40 nouveaux praticiens (médecins, psychologues, dentistes, infirmiers, sages-femmes…) par année, aptes à pratiquer dans le cadre d’une formation complémentaire reconnue par la Fédération des médecins suisses (FMH).
Une façon aussi, pour le corps médical, de s’adapter à un besoin impérieux: celui de réhumaniser les soins face à une médecine toujours plus technique, capable de créer autant de problèmes qu’elle en résout. «Pour faire face à leur condition humaine difficile, les hommes ont d’abord fait appel à la magie, puis à la religion. Nous sommes ensuite passés à une phase où nous pensions que la science pouvait résoudre tous les problèmes, explique Alain Forster. Cette approche est aujourd’hui en déclin. On se rend compte que la science n’est pas apte à offrir toutes les réponses. De plus, mettre le patient, et surtout sa maladie, au centre de la relation ne suffit pas, il faut s’intéresser aussi à son récit et à ses valeurs. Tous ces paramètres expliquent sans doute l’engouement pour l’hypnose.»
Cette relation d’un nouvel ordre induite par l’hypnose prend d’autant plus d’importance quand elle est vécue dans un contexte hospitalier où l’on se sent parfois dépossédé de sa faculté d’agir. «A l’hôpital, les patients sont souvent dans un état psychique particulier, ils sont vulnérables, perdent la notion du temps et leur identité, confirme Adriana Wolff. Il est donc important de créer une forme d’alliance avec eux, de choisir avec précaution les mots employés et d’éviter les négations que le cerveau est incapable d’entendre en état de stress. Dans ce sens, l’hypnose représente un outil de communication qui s’intéresse à la personne dans son entier.» Autant de principes que l’on verrait bien être appliqués à toute relation entre les patients et les soignants. Pratique de l’hypnose ou non…
Pour en savoir plus
«L’hypnose ou les portes de la guérison», Dr Jean-Marc Benhaiem, avec Jean-François Roustang, Odile Jacob, 2012
«Hypnothérapie et hypnose médicale en 57 notions», sous la direction d’Antoine Bioy et Isabelle Célestin-Lhopiteau, Dunod, 2014
«L’hypnose pour réhumaniser le soin», Dr Patrick Bellet, Odile Jacob, 2015
«Comment transformer votre vie avec les thérapies courtes», Cécile Wyler Roulet, Favre, 2015
l’hypnose expliquée par les neurosciences
Contrairement à une idée répandue selon laquelle le sujet sous hypnose est dans un état d’inconscience qui ressemble au sommeil, le privant de tout contrôle, plusieurs études scientifiques ont pu démontrer que celui-ci est éveillé.
Sous hypnose, plusieurs régions cérébrales s’activent différemment que dans l’état de veille: on observe des changements dans les zones du lobe occipital (vision), pariétal (sensations) et du gyrus précentral (motricité) selon le type de suggestion hypnotique; mais aussi les régions liées dans les processus attentionnels, ainsi que celles impliquées dans l’imagerie mentale (précunéus). Ce qui fait penser que, sous hypnose, les sujets filtrent leurs sensations et leurs pensées en y mêlant des souvenirs de moments agréables ou des suggestions faites lors de l’induction de l’hypnose. Cette dernière agit également sur la perception de la douleur au niveau cérébral. Il faut savoir que la douleur est une expérience subjective sensorielle et émotionnelle désagréable signalant une lésion d’un tissu, réelle ou non. L’information de la perception douloureuse est acheminée, via les fibres nerveuses, d’abord vers la moelle épinière, puis vers le thalamus et différentes régions du cerveau. L’imagerie a pu démontrer que les suggestions hypnotiques changent la perception de la douleur en atténuant l’activité des régions cérébrales associées au côté aversif de la douleur. Ce qui réduit aussi la transmission des signaux douloureux via les fibres montant de la moelle épinière.
« Durant mon opération de la thyroïde, les douleurs étaient très lointaines. »
Régine Nyandwi Ecuyer, 40 ans, opérée de la thyroïde sous hypnosédation aux HUG à Genève
«Je préférais mourir que de subir une nouvelle anesthésie générale.» Lorsqu’il est question de procéder à l’ablation d’un lobe de sa thyroïde en raison d’un nodule, Régine Nyandwi Ecuyer est catégorique: hors de question pour elle de revivre le traumatisme lié à une précédente intervention, où l’endormissement effectué dans un contexte difficile a été subi comme une contrainte. «Cela m’a laissé des séquelles non seulement psychologiques mais aussi cognitives. J’étais incapable, quelques jours après, de me rappeler du nom de certains de mes collègues. J’avais l’impression qu’une partie de mon cerveau était réveillée et l’autre pas.»
La possibilité lui est alors offerte de se faire opérer sous hypnosédation. «J’avais une vraie angoisse de la mort liée à l’anesthésie générale. Durant les deux séances qui ont précédé l’opération, nous avons donc principalement travaillé sur cet aspect avec Adriana Wolff, l’anesthésiste formée à l’hypnose qui m’a accompagnée durant toute l’intervention. J’ai ainsi pu sortir mes émotions et ma colère contre cette anesthésie qui m’avait fait perdre certaines de mes capacités.»
Le jour J, Régine Nyandwi Ecuyer est sereine. «J’étais prête, car on m’a mise en confiance. Je n’ai pas de famille ici, mais pour moi, à ce moment-là, les personnes qui étaient présentes au bloc étaient comme mes proches. On m’a aussi dit de m’approprier les lieux, et je me suis immédiatement sentie chez moi entre ces quatre murs.» Durant son opération, l’aide-soignante de profession reste en contact étroit avec son hypnothérapeute: «J’ai senti quelques douleurs, mais de façon très lointaine et supportable. En convenant à l’avance de grimaces ou de sons me permettant de signaler à l’équipe que j’avais mal, je savais qu’il était possible d’augmenter la dose d’anesthésique local. Après l’opération, j’ai récupéré extrêmement rapidement, comme si rien ne s’était passé. A aucun moment je n’ai eu mal. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde.»
« Dans l’hypnose, j’ai pu trouver les ressources dont j’avais besoin pour faire face. »
Stéphanie Gires, 34 ans, mère de Théophile, 19 mois, hospitalisé au CHUV, à Lausanne, depuis cinq mois
Quand Théophile est hospitalisé au CHUV, en mai dernier, pour une opération délicate de la trachée, ses parents sont loin de s’imaginer que, d’une durée initiale de trois semaines, le séjour de l’enfant se prolongera plus de cinq mois. Cent cinquante jours à arpenter les couloirs des soins intensifs, durant lesquels les complications s’enchaînent pour Théophile et sa famille. Face à une telle épreuve, les nerfs sont fatalement mis à mal, constamment balancés entre espoir et inquiétude, bousculés par le langage parfois trop technique des médecins et fatigués par les bruits et les allées et venues permanentes d’un service qui ne s’arrête jamais.
Dans un contexte aussi pesant, il faut alors réussir à puiser au fond de soi les forces pour continuer, tenir le coup quoi qu’il arrive. «C’est pour cela que j’ai fait appel à l’équipe de pédiatrie, où je savais que l’hypnose était pratiquée, pour leur demander s’il était possible que les parents d’enfants hospitalisés puissent aussi en bénéficier, raconte la mère de Théophile, Stéphanie Gires. Je ne savais pas à quoi m’attendre, je n’avais aucune idée préconçue. J’ai vu l’hypnose comme un moyen de me recentrer, de m’enraciner quelque part dans le moment présent afin de pouvoir gérer mon stress et de lutter contre mes angoisses.»
Les séances, menées par Laurence Dahner, infirmière hypnopraticienne, s’adaptent en permanence à l’état d’esprit de cette mère de deux enfants. «On ne m’a jamais mise dans une situation impensable pour moi, ce qui est essentiel. En ayant un enfant hospitalisé, je ne me voyais pas me projeter sur une plage de sable blanc en train de siroter un cocktail.» Au lieu de cela, les séances se focalisent sur le ressenti. Ressentir son corps et ses possibles déséquilibres, afin de les corriger et en faire un allié. Mais aussi trouver des outils pour pouvoir se ressourcer et reproduire ces moments de détente à tout moment de la journée en dehors du cadre des séances, «une façon de se mettre dans une bulle, ne serait-ce que cinq minutes», grâce à l’apprentissage de l’autohypnose.
« Cela m’a permis de me relaxer pleinement entre deux contractions. »
Julia Veillon, 33 ans, maman de deux enfants. A utilisé l’autohypnose pour son deuxième accouchement
Elle le dit d’entrée de jeu: pour Julia Veillon, l’hypnose était un outil parmi d’autres afin de se préparer à son deuxième accouchement qu’elle désirait en maison de naissance et le plus naturel possible. «Il y avait eu des complications pour le premier et je ne voulais pas que mon esprit soit parasité par ce traumatisme au moment de donner naissance à mon deuxième enfant. Il s’agissait avant tout de pratiquer l’hypnose pour canaliser mes peurs, mais aussi dans le but de trouver des ressources pour m’aider au moment où le travail commencerait, étant donné que je ne souhaitais pas de péridurale.»
Au cours des cinq séances ayant précédé son accouchement en juin dernier, Julia acquiert les clés pour pratiquer l’autohypnose, accompagnée dans ce processus par Floriane Udressy, sage-femme indépendante à Vevey. «Durant le travail, j’avais l’impression d’entendre la voix douce et calme de Floriane, alors qu’elle n’était pas présente. De plus, j’ai également pu constater que j’arrivais facilement à utiliser les outils que j’avais acquis pour me retrouver pleinement dans mon lieu de sécurité, que j’avais imaginé proche d’une rivière et d’une cascade. Comme mon accouchement a été court et intense, je ne suis pas en mesure de dire si l’hypnose a atténué les douleurs, mais cela a été bénéfique dans le sens où ces moments de transe consciente m’ont permis de rentrer dans un état de profonde relaxation, un moyen de souffler entre deux contractions.»
Son expérience de l’hypnose, Julia Veillon la conseillerait à chaque femme enceinte, qu’elle accouche en maison de naissance ou à la maternité. L’occasion aussi de balayer certains préjugés qui collent à cette technique: «La peur de ne pas être totalement présente durant son accouchement revient régulièrement lorsqu’on parle d’hypnose. Mais c’était tout l’inverse. J’ai eu l’impression d’être encore plus présente, tout en ayant aussi, paradoxalement, du recul sur ce qui se passait.»
Les différentes applications de l’hypnose médicale
Les domaines d’utilisation de l’hypnose sont variés. Sauf exception, il s’agit toutefois d’un outil thérapeutique complémentaire.
Chirurgie Beaucoup d’opérations menées sous endoscopie ou guidées par radiologie peuvent être pratiquées sous hypnose. Hernie inguinale, ablation de la thyroïde, arthroscopie du genou ou encore reconstruction du sein peuvent aussi bénéficier de cette technique en complément d’une anesthésie locale.
Oncologie Pour lutter contre les douleurs liées aux cancers et combattre les nausées et vomissements ainsi que les bouffées de chaleur liés aux traitements.
Psychiatrie L’anxiété, les phobies, le stress post-traumatique, les insomnies répondent généralement bien à l’hypnose.
Pédiatrie En tant qu’outil complémentaire pour soulager les douleurs aiguës ou chroniques, réduire l’anxiété avant une opération ou lors de soins invasifs.
Troubles de l’appareil digestif L’hypnose se révèle particulièrement efficace contre le syndrome de l’intestin irritable.
Addictions L’hypnose vise à défaire les liens noués entre le patient et le produit addictif.
Obstétrique En préparation à la naissance, à la pose de la péridurale ou pendant l’accouchement lui-même.