Enquête.Le petit établissement romand disait gérer sa clientèle américaine de manière exemplaire. Et pourtant il trichait. Pire encore que ses confrères.
En 2010, Olivier Calloud savourait ce qu’il pensait être un joli coup. Alors que les autres banquiers suisses paniqués passaient leurs clients américains par-dessus bord, le petit établissement privé Franck Galland ouvrait une filiale spécialement dédiée à cette clientèle. Le but? Gérer sans rougir son portefeuille de gros comptes étasuniens. Tous parfaitement déclarés, comme il se doit.
A l’époque, Olivier Calloud n’était pas encore le grand patron. Au poste de directeur exécutif, l’ancien cadre de Lombard Odier prenait ses marques. Dans sa toute première interview, accordée au magazine Private Banking en juillet 2010, le COO de Franck Galland enfonçait le clou: «Nous revendiquons la culture entrepreneuriale américaine.»
Rien ne résiste à canard
Franck Galland, expliquait Olivier Calloud, jouissait d’un «statut particulier» dans le paysage bancaire romand. La petite banque genevoise était alors détenue par un groupe familial américain, le fabricant de produits ménagers S. C. Johnson, notamment propriétaire de la marque de nettoyant pour toilettes Canard-WC. L’immense fortune des héritiers Johnson, estimée aujourd’hui à plus de 11 milliards de dollars, les avait amenés à s’acheter la banque genevoise Franck en 1976. Ils avaient encore gobé l’établissement lausannois Galland, en 2003, pour l’étoffer.
Le «statut particulier» dont se vantait Olivier Calloud en 2010 devait donner «une longueur d’avance» à Franck Galland sur une place financière suisse propre comme un sou neuf, récurée à fond par l’Internal Revenue Service durant l’affaire UBS. «En tant que banque privée suisse détenue par un actionnaire américain, nous avons vis-à-vis du fisc américain des obligations supérieures à celles des autres banques», s’enhardissait encore Olivier Calloud.
Seulement voilà: les banquiers de Franck Galland avaient triché comme les autres. Voire pire. Le constat est tombé le 23 octobre, avec la publication de l’accord passé entre la banque et le Département américain de la justice. Franck Galland devra payer plus de 15 millions de dollars d’amende. La petite banque se classe au deuxième rang des établissements suisses les plus sévèrement sanctionnés à ce jour.
Il n’est pas difficile de comprendre ce qui a provoqué l’ire de l’Oncle Sam. Visiblement, le «statut particulier» de Franck Galland lui permettait de croire qu’il était possible de jouer sur les deux tableaux.
Un des employés de la banque, membre de la direction et d’origine américaine, se rendait régulièrement aux Etats-Unis pour y démarcher des clients aux comptes non déclarés, dans la plus pure tradition des gérants fraudeurs d’UBS. Plus grave: certains employés avaient été autorisés à utiliser des adresses e-mail discrètes, pour éviter de se faire repérer. Le nom de domaine 4uonly.ch («pour vous seulement»), réservé à cet usage, faisait plutôt penser à un site de rencontre qu’au service distingué d’une banque privée helvétique.
Pour le reste, Franck Galland a usé de toutes les astuces typiques des banquiers fraudeurs: transport d’enveloppes, constitution de trusts et de sociétés écrans, usage de prête-noms pour détenir les comptes, puis les habituels retraits en liquide, massifs, pour les clôturer en toute urgence.
La famille Johnson a revendu Franck Galland à la Banque cantonale vaudoise en 2011. Cette dernière l’a fusionnée avec la banque Piguet, puis rebaptisée Piguet Galland. La filiale spécialisée pour la clientèle américaine, dont le directeur exécutif vantait les mérites un an plus tôt, n’a pas été reprise. Olivier Calloud est devenu CEO de Piguet Galland en 2012.
Ce dernier explique aujourd’hui que les «obligations» de la banque envers le fisc américain ne concernaient pas les sociétés et les trusts. Le CEO précise aussi que l’usage du nom de domaine 4uonly.ch était antérieur à la fusion qui a donné naissance à Piguet Galland. Il concernait la banque Piguet, du temps où elle appartenait à la Banque cantonale vaudoise. «Il n’a pas été utilisé par des collaborateurs de Franck Galland», assure Olivier Calloud.
L’histoire ne dit pas si les héritiers de la famille Johnson ont utilisé les services de Franck Galland pour cacher de l’argent au fisc. Si c’est le cas, ils ont du souci à se faire. Dans le cadre de l’accord, la banque s’est engagée à fournir l’historique des transactions de tous ses clients américains.