Eclairage. Yves Rossier évoque les options à prendre après les attentats de Paris: favoriser le dialogue interreligieux et s’inspirer de la loi autrichienne sur l’islam. L’ASIN préférerait que la Suisse quitte l’espace Schengen.
L’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) est prête à dégainer. Douze heures après les attentats de Paris, elle a mis le Conseil fédéral sous pression. «Si le gouvernement ne renforce pas massivement ses contrôles aux frontières, nous sommes prêts à lancer une initiative pour que la Suisse quitte l’espace Schengen», déclare son secrétaire général, Werner Gartenmann. Le comité de l’ASIN prendra une décision de principe le 30 novembre prochain.
«Absurde», rétorque Yves Rossier. Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères siège également au sein du groupe de sécurité du Conseil fédéral, en compagnie de la directrice de la police fédérale, Nicoletta della Valle, et du chef du Service de renseignement, Markus Seiler. Tous trois ont eu un premier contact téléphonique au soir du 13 novembre déjà. «Il s’agit désormais de garder la tête froide», souligne Yves Rossier.
La Suisse fait partie de l’espace Schengen depuis 2008, après une décision du peuple prise trois ans plus tôt. Il s’agit là d’un accord de coopération judiciaire et policière permettant aux polices cantonales d’accéder à une immense banque de données (SIS) située à Strasbourg. C’est grâce à cette collaboration qu’il avait été possible d’empêcher la venue en Suisse du prédicateur islamiste Pierre Vogel en l’interceptant à la frontière à Bâle.
De tout temps, l’ASIN a combattu cette adhésion, et les flux migratoires qui ont déferlé sur l’UE depuis l’été dernier n’ont fait que conforter ses convictions.
Il n’en reste pas moins que cet accord, même s’il a montré ses limites dans le domaine de l’asile, a beaucoup facilité le travail de toutes les polices en Suisse. «Quitter Schengen, c’est comme imaginer le rétablissement des contrôles aux frontières cantonales sous prétexte qu’un criminel peut librement circuler d’un canton à l’autre dans la Confédération. Une telle mesure serait se tirer une balle dans le pied», déclare Pascal Luthi, commandant de la police neuchâteloise.
Reconnaissance de l’islam
Voilà pour l’aspect sécuritaire. Sur le plan social, la priorité est désormais de lutter contre la stigmatisation des communautés musulmanes. De l’avis même d’Yves Rossier, «la Suisse pourrait faire plus pour les intégrer au sein de la société». A l’initiative de la Confédération, l’Université de Fribourg abrite dès cette année le Centre suisse islam et société (CSIS), une première en Suisse. «Il est plus que jamais nécessaire d’avoir une plateforme académique pour des échanges entre les religions et les cultures», souligne son directeur, Hansjörg Schmid. Le CSIS compte travailler dans la recherche, l’enseignement et la formation continue. Déjà, il fait peur. L’UDC a lancé une initiative visant à modifier la Constitution fribourgeoise, de manière à «interdire la création d’un tel centre et empêcher ainsi la formation étatique d’imams». Cette démarche a vite abouti, recueillant plus de 9000 signatures.
A long terme, la question de la reconnaissance de l’islam comme religion disposant d’un statut de droit public se posera au niveau cantonal. Un sujet encore tabou, surtout dans le contexte d’une «islamophobie» – un terme que l’UDC rejette – gagnant du terrain. Dans l’immédiat, Hansjörg Schmid veut avancer pas à pas: dépassionner le débat, favoriser le dialogue et surtout «aider les communautés musulmanes à développer leur pensée dans le cadre d’un Etat séculier».
Dans ce dossier, «la Suisse ferait bien de s’inspirer de l’Autriche», note encore Yves Rossier. Le premier pays d’Europe à avoir donné un statut officiel à la religion musulmane en 1912 déjà vient de réviser ce que le ministre de l’Intégration Sebastian Kurz a appelé une «loi pour un islam européen». Celle-ci consacre «le primat du droit autrichien sur les prescriptions religieuses». Elle interdit le financement des mosquées par des fonds étrangers pour éviter des dérives radicales. Mais elle offre aussi aux 600 000 musulmans un meilleur cadre juridique, l’accès à des études de théologie islamique ou encore la présence d’imams en tant qu’aumôniers dans l’armée.
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