Analyse. Le gouvernement socialiste pourra difficilement faire plus en matière de surveillance.
Quatre lois en quatre ans. L’arsenal français de surveillance, un des plus intrusifs en vigueur dans une démocratie occidentale, doit être renforcé. C’est ce qu’a expliqué François Hollande, lundi, à Versailles.
Plus facile à dire qu’à faire. Et la difficulté ne viendra pas d’un manque de soutien politique. Les lois sécuritaires françaises, notamment celle passée en urgence après les attentats de janvier, vont déjà si loin qu’il ne sera bientôt plus techniquement possible de les étendre davantage. Le président semblait embarrassé par la répétition lors de son intervention devant le Congrès. «Nous allons demander les moyens de garantir encore une fois la sécurité de nos concitoyens», a-t-il déclaré. Encore une fois, c’est peu dire, tant les ressorts utilisés pour justifier l’escalade se ressemblent, attentat après attentat. Les lois en vigueur sont présentées comme dépassées, nécessitant une mise à jour urgente, imposée par une évolution technologique qui aurait laissé les services d’ordre aveugles et impuissants face aux complots terroristes.
En avril dernier, le premier ministre Manuel Valls avait justifié la révision de la loi sur le renseignement par le fait que celle-ci datait de 1991, avant l’essor de la téléphonie mobile et de l’internet. Le texte, validé cet été et entré en vigueur le 3 octobre, a considérablement étendu les pouvoirs d’écoute des services, instaurant de facto une surveillance de masse sur l’ensemble des télécommunications. Le trafic internet de tout le pays passe désormais par des «boîtes noires» installées chez les fournisseurs d’accès. Celles-ci hébergent des algorithmes censés détecter automatiquement les comportements suspects des internautes.
Ce régime d’espionnage intérieur systématique est sans commune mesure avec le renforcement de la surveillance actuellement envisagé en Suisse. Il dépasse même par certains aspects l’ampleur des écoutes opérées par les Etats-Unis, qui se concentrent sur l’étranger et offrent malgré tout certaines garanties sur la vie privée des Américains sur leur sol.
Cette semaine, ce sera au tour de la loi sur l’état d’urgence de subir sa révision. Le Parlement a été saisi mercredi par François Hollande d’un nouveau projet de loi «prolongeant l’état d’urgence pour trois mois à l’évolution des technologies». La loi du 3 avril 1955, instaurée au début de la guerre d’Algérie, «ne pouvait pas être conforme à l’état des technologies et des menaces que nous rencontrons», martelait lundi le président socialiste.
Aucun détail n’a été donné sur les mesures concrètes envisagées. Il pourrait s’agir d’un droit de «perquisition électronique», étendu aux services de «cloud» abritant des données privées, sans autorisation d’un juge. L’état d’urgence revu et corrigé pourrait aussi lever les modestes garde-fous prévus dans la nouvelle loi sur le renseignement, qui impose aux services de demander l’avis d’une commission de contrôle.
En parallèle aux déclarations de François Hollande, le gouvernement s’est empressé d’affirmer que les attentats de Paris ne pouvaient pas être interprétés comme un échec de la nouvelle loi sur le renseignement. «La totalité de la loi n’est pas encore en application parce que nous avons toujours voulu maintenir l’équilibre entre la protection et la garantie des droits», déclarait lundi matin sur France Inter Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur socialiste du texte.
Silence, on écoute
Cette affirmation contredit pourtant un des principaux arguments du gouvernement, qui admettait au printemps dernier que l’adoption de la nouvelle loi ne faisait que «légaliser» des techniques de surveillance qui étaient en réalité déjà pratiquées depuis des années. Cette incohérence n’a pas été beaucoup soulevée. Les rares opposants à l’introduction de la loi, qui s’exprimaient avec force après les attaques de janvier, sont cette fois sur la réserve. Même pour les plus contestataires, face au choc des attentats de Paris, il n’est plus de bon ton de rappeler que les services français du renseignement intérieur disposaient depuis longtemps des outils d’interception qui leur ont été formellement attribués début octobre, et que cette surveillance ne leur a permis d’empêcher ni les atrocités de janvier, ni celles de novembre.
Les deux magazines en ligne qui dénonçaient jusqu’ici le plus violemment le projet de loi sur le renseignement, Numerama et Next INpact, ont rapporté les débats sur le renforcement de l’état d’urgence de manière beaucoup plus prudente et factuelle. Le collectif de défense des droits numériques La Quadrature du Net, qui critiquait régulièrement la surveillance de masse comme un «trou noir des libertés», n’a publié qu’un seul article depuis les attentats, intitulé «S’associer à la douleur, penser l’avenir». L’inquiétude se lit désormais sur les profils Twitter anonymes, comme celui de Sir Nils: «Ce soir j’ai peur. Pas de Daech, mais de mon gouvernement.»
Si les grandes oreilles françaises ne connaissent pratiquement plus aucun obstacle, reste encore la question des effectifs chargés d’interpréter les indices, d’arrêter les suspects et de les juger. La deuxième partie de l’intervention de François Hollande y était justement consacrée. Mais là aussi, l’effort antiterroriste, redoublé après chaque attaque, commence d’atteindre une limite. Elle n’est plus juridique, cette fois, mais budgétaire.
Quelques milliards d’euros
Après les attaques de janvier, François Hollande avait déjà annoncé la révision de la loi de programmation militaire pour ajouter 3,8 milliards d’euros, sur quatre ans, aux budgets de la défense et de la sécurité. A cela s’ajoutent encore les frais de construction de 1,2 milliard du nouveau «Pentagone français», l’Hexagone Balard, inauguré en novembre, qui abritera le siège des armées. Dans la foulée des attentats de janvier, Manuel Valls avait également libéré une enveloppe de 300 millions d’euros pour l’embauche de 1300 fonctionnaires, dont 780 policiers.
Jusqu’ici, ces efforts avaient été compensés par des réductions budgétaires dans le développement, la mobilité durable, l’urbanisme et la recherche spatiale. Mais pour le prochain train de mesures, les coupes ne suffiront pas. Il faudra augmenter la dette.
Lundi, devant le Congrès, François Hollande a annoncé la création de 8500 postes de policiers et gendarmes, de gardiens de prison et de douaniers. Le budget 2016, qui devait être «celui des engagements tenus», comme le décrivait fièrement le ministre des Finances Michel Sapin il y a un mois, ne le sera donc probablement pas. Pour justifier ces efforts, François Hollande s’est appuyé sur l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, qui garantit le droit des peuples à «la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression».
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