Réflexion. Au lendemain des attentats de janvier dernier, on voyait bien ce qui allait se passer: rien. Après ce vendredi noir, on s’oriente vers un même scénario. La France doit s’attaquer aux problèmes qu’elle a cachés sous le tapis, parce que leur solution nécessite des investissements, et surtout une pensée, une politique. Elle seule pourra éviter d’autres désastres.
Metin Arditi
Il y a dix mois, la France entière disait «Je suis Charlie». Le mot avait fait mouche, et la manifestation du 11 janvier avait déplacé des millions de personnes dans la rue. Quarante chefs d’Etat s’étaient déplacés. J’avais à l’époque écrit un article intitulé «To be or not to be Charlie». Je n’étais pas Charlie. Je me méfiais du succès de la manifestation. Pour le gouvernement Hollande, c’était du pain bénit. Sa popularité allait prendre dix points et, du coup, mission accomplie. On voyait bien ce qui allait se passer après: rien. Des projets de coopération entre services de renseignement des différents pays concernés, il n’y a pas eu le début d’une mise en place. La politique du gouvernement en Orient est toujours aussi ridicule, faite de rodomontades et d’effets d’annonce sans pratiquement aucune action sur le terrain, la pire des politiques. Surtout, les vrais problèmes sur lesquels la France pourrait agir sont négligés.
Paresse politique
Après le vendredi noir, on s’oriente vers un même scénario. Ce sera, c’est déjà: «Je suis Parisien», «Je suis Français». C’est important, humain, indispensable. Mais au-delà de son effet thérapeutique, cela ne règle rien, et le succès d’un tel mouvement risque d’avoir un effet induit délétère: il apaisera les besoins de popularité d’un gouvernement perdu dans son souci de communication et le confortera dans sa paresse à ne définir ni assumer aucune stratégie d’Etat. Bien sûr, les discours martiaux ont repris: on fera la guerre, on se montrera impitoyable… Encore la com. L’un des assaillants du carnage a été arrêté en France huit fois, sans faire un seul jour de prison. Il est allé au suicide. Et on voudrait lui faire peur? Si ce n’était la tragédie, on pourrait sourire.
Il faut lire la déclaration de Daech, celle qui revendique l’attentat. C’est un texte écrit par un titi parisien. Ses références aux endroits frappés, aux arrondissements, au stade, son style, partout ressort une intimité aux lieux. Le travail opérationnel démontre, lui aussi, une organisation de qualité militaire, inconcevable sans un appui logistique local. La France est un pays grand et fort et formidable. Nous l’aimons tous. Nous avons grandi nourris de son lait, c’est-à-dire de sa pensée et de sa langue. Mais un pays éclairé doit savoir vivre avec ceux qu’il a fait venir pour vider ses poubelles. Et pour cela s’attaquer aux problèmes que l’on a cachés sous le tapis, parce que leur solution ne peut pas s’envisager à court terme, qu’elle nécessite des investissements, et surtout une pensée, une politique. Elle seule pourra éviter d’autres désastres.
Je le disais ici même il y a quelques mois: «Quoi qu’on puisse penser des appels délirants à la guerre sainte, ceux qui leur répondent doivent ressentir un sacré besoin d’absolu. Ils y risqueront leur peau, ils le savent. Si le besoin l’emporte sur la prudence, c’est que l’intégration n’a pas pris, que ces fils ou petits-fils d’immigrés n’ont pas trouvé où s’accrocher. No future. Pas assez de rêve, de beauté, d’absolu, dans une société enivrée de vitesse et de vanité, avide de gratifications immédiates, et dont la vulgarité devient la marque.»
Débloquer des budgets
A quand un vrai Ministère de l’intégration? A sa tête, un Fabius ou un Valls, un Bartolone, un poids lourd qui connaisse les fonctionnements de la machine France et sache s’imposer. Quelqu’un capable de débloquer des budgets, d’imaginer des programmes de discrimination positive d’envergure, d’imposer des stages de formation aux imams de France (il serait temps), et de ramener cinq millions d’hommes, de femmes et d’enfants à niveau avec le reste de la société. Pour enfin couper l’herbe sous les pieds de ceux qui cherchent dans leur propre pays un appui pour le saigner à blanc.
L’auteur
Metin Arditi
Ecrivain, Suisse d’origine turque, père de la Fondation Les Instruments de la Paix-Genève et envoyé spécial de l’Unesco pour le dialogue interculturel.
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