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«Je me disais «Je vis! Je vis! Je vis!» Mais j’attendais la balle»

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Jeudi, 19 Novembre, 2015 - 05:59

Témoignage. Elle est la Suissesse blessée dans les attaques terroristes du 13 novembre à Paris. Son ami en a réchappé indemne, par miracle. Il a accepté de raconter ce soir d’horreur qui a fait au total 129 morts et 352 blessés.

C’est un couple de Romands, tous deux dans la cinquantaine. Venu visiter le salon Paris Photo, il s’est retrouvé au soir du vendredi 13 novembre rue de Charonne, dans le XIe arrondissement. Il était en train de s’asseoir à la terrasse de la Belle Equipe lorsqu’un des auteurs des attaques terroristes a commencé à tirer sur les personnes assises devant le bistrot. Elle a été grièvement blessée, mais sa vie est sauve. Lui en a réchappé par miracle, protégé par un arbre. Tous deux ont été rapatriés en Suisse romande. Mais ce Romand reste fortement choqué par la tuerie, qui a fait 19 morts sur place, et les scènes affreuses qui ont suivi. Désirant garder l’anonymat, ainsi que celui de son amie, il a accepté de se confier à L’Hebdo. Voici ses propos rapportés.

«Nous étions venus, ma compagne et moi, passer deux jours à Paris Photo, le salon annuel de la photographie au Grand Palais. Nous avions loué un appartement dans le XIe arrondissement, proche de la rue de Charonne. Vendredi soir, j’avais rendez-vous avec un ami, qui habite dans ce coin-là de Paris. Vers 21 h 30, nous sommes arrivés rue de Charonne pour l’attendre. Nous sommes passés devant ce bistro, La Belle Equipe, où il y avait beaucoup de jeunes gens sur la terrasse. Certains d’entre eux fêtaient un anniversaire. Ils partageaient du champagne. C’était bruyant, joyeux. Nous avons décidé de nous asseoir, nous aussi. Ma compagne s’est faufilée entre les tables pour rejoindre une place dans un coin, sous une lampe infrarouge. Son manteau s’est pris dans des chaises. Elle a essayé de se dégager pour avancer. A ce moment-là, j’étais debout devant la terrasse. Je regardais mon téléphone. Je tentais de joindre mon ami. J’ai soudain entendu ce qui m’a semblé être des pétards. Pas des détonations en rafale, mais continues, rapprochées les unes des autres. J’ai pesté contre les imbéciles qui faisaient exploser des pétards à cet endroit, à cette heure. J’ai dû rester dix ou quinze secondes debout, sans comprendre ce qui se passait réellement. Il y avait un jeune homme debout à côté de moi. On s’est mis à terre ensemble. Il y a eu un silence. J’ai tourné la tête. J’ai vu à 5 ou 6 mètres de moi un type qui avait une arme de guerre en l’air. J’ai compris plus tard qu’il était en train de la recharger. Puis les tirs suivis ont recommencé.

«Allahu akbar»

Ma compagne s’était elle aussi couchée au sol. C’est à ce moment qu’elle a reçu une balle. Moi, j’étais toujours au sol, sans bouger. Je me disais «Je vis! Je vis! Je vis!» Mais j’attendais le moment où j’allais prendre une balle. Je ne voyais pas mon amie. Cela a duré. A l’évidence, le type visait méthodiquement les gens. J’ai entendu «Allahu akbar», un bruit de portière, un autre bruit de moteur. C’était un jeune homme svelte, d’environ 1 m 75, non masqué, habillé de noir. Sa voiture aussi était noire.

Tout était silencieux. Le jeune au sol à côté de moi me regardait et me tendait la main. Il était touché. A côté, il y avait d’autres personnes en train de mourir. Certaines demandaient de l’aide. Qu’est-ce que je pouvais faire? Je voulais juste m’occuper de mon amie. La sortir au plus vite de cette terrasse. C’était le chaos, avec des morts partout, du sang. Jamais je n’avais vu cela. Je me suis dirigé vers elle. Je l’ai appelée. J’ai vu son visage s’illuminer. Mais elle avait mal.

J’ai dégagé les chaises et les tables qui encombraient le passage. J’ai aidé ma compagne à se relever et nous nous sommes un peu éloignés de la terrasse, Je l’ai aidée à se recoucher sur le sol. Nous sommes restés ainsi tous les deux, pendant un quart d’heure, avant que les pompiers n’arrivent. Pendant ce temps, des militaires en armes bouclaient rapidement le quartier. Mon ami m’appelé au téléphone. J’ai juste pu lui dire: «Fous le camp! Fous le camp!» Un jeune pompier s’est occupé de ma compagne, vérifiant qu’elle n’avait pas d’hémorragie, me disant de lui faire un garrot avec ma ceinture. Le jeune pompier m’a aussi dit d’appeler au secours si elle devait s’évanouir.

Hôpital de fortune

Les blessés vitaux ont été évacués vers un bistrot voisin. Comme la situation vitale n’était pas la même pour nous, les pompiers nous ont installés sur le trottoir, devant ce bistrot. Au bout de trois quarts d’heure, les médecins sont arrivés. L’un d’entre eux s’est occupé de mon amie, vérifiant la blessure, la disposant au sol avec précision, lui injectant de la morphine, le tout avec une maîtrise extraordinaire. J’ai été sidéré par cette efficacité dans la pire des situations. Je lui ai dit: «Il n’y a que vous, les Français, pour croire que votre pays va mal. Mais en fait il va vachement bien.»

Ma compagne demandait pourquoi elle n’était pas évacuée vers l’hôpital. On nous a répondu que toutes les ambulances devaient partir ensemble, en convoi serré, après que tous les blessés graves auraient été stabilisés sur place, dans le bistrot. Ils craignaient aussi une autre attaque qui aurait très bien pu s’en prendre à une ambulance. Puis les médecins ont disposé mon amie sur un brancard et je suis monté avec elle dans une ambulance. Juste avant, je me suis rendu compte que l’arbre planté devant la terrasse m’avait sauvé la vie. J’étais, grâce à lui, dans l’angle mort du tireur. Un miracle.

Comprendre la colère

A l’hôpital militaire Bégin, la prise en charge a encore été exemplaire de professionnalisme et d’efficacité. J’ai été très impressionné par la qualité de l’écoute dans une situation de grand stress. Les mots utilisés étaient justes, d’un pouvoir de conviction extraordinaire. A aucun moment nous n’avons été bousculés. La commandante en chef de l’hôpital a rassuré mon amie. J’ai aussi été pris en charge par cette doctoresse militaire, puis par un psychiatre. Ils m’ont bien signifié que je n’étais pas un témoin de l’attaque, mais que j’étais moi aussi touché. Ils m’ont dit: «Vous êtes aussi une victime, psychologique. Vous avez vécu une scène de guerre. Vous allez devoir faire très attention à vous. Surtout ne pas minimiser votre choc, qui est très important. On ne va pas vous laisser partir comme cela.» Ils m’ont aussi parlé de la culpabilité de ne pas pouvoir prendre soin des autres dans ce genre de situation.

Revoir cet arbre

On nous a rapatriés lundi 16 novembre en Suisse romande, avec la Rega. Auparavant, je suis retourné deux fois à la rue de Charonne, tôt le samedi, puis le dimanche. Pour revoir cet arbre. Pendant la dizaine de secondes où j’étais debout, devant la terrasse, cet arbre m’a protégé. C’est alors seulement, le surlendemain, que j’ai pensé à faire quelques photos avec mon iPhone. Le vendredi soir, pendant les moments qui ont suivi l’attaque, je n’ai pas voulu prendre d’images. Je me suis même dit en voyant la scène affreuse près de moi: «Dire qu’il y en a qui prendraient des photos dans ce genre de situation!» C’était bien sûr impossible. Cela aurait été d’une indignité absolue.»


Sommaire:

«Je me disais «Je vis! Je vis! Je vis!» Mais j’attendais la balle»
Un tournant pour la Syrie?
Gouverner
«Un parcours fait de violence, avec la volonté de punir la société»
Sécurité: la France joue le tout pour le tout
Deux bonnes idées et une mauvaise
Frères contre frères
L’indispensable réponse visuelle à l’horreur
«Ni haine ni pardon. Pour faire face, il faut comprendre»

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