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Les musulmans contre l’islam radical ou la fin d’un compromis

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Jeudi, 26 Novembre, 2015 - 05:56

Zoom. Les tueries perpétrées le 13 novembre à Paris vont-elles provoquer un choc salutaire? Des musulmans ébranlés se mobilisent comme jamais pour lutter contre l’obscurantisme.

Converti à l’islam à 15 ans, ex-djihadiste, David Vallat a tracé une feuille de route: «Il va falloir désigner l’ennemi: le wahhabisme saoudien et qatari, pointe-t-il. Il va falloir s’attaquer à l’antisémitisme, à la pensée de Soral et de Dieudonné ancrée dans la tête de nombreux jeunes. Nous n’utiliserons pas un vocabulaire religieux, ce serait peine perdue, mais un vocabulaire républicain, axé sur la devise «liberté, égalité, fraternité». Il faudra des mots simples, compréhensibles, imagés. Sur la Palestine, par exemple, il faudra dire à celui qui a la haine d’Israël: «Ce n’est pas parce que quelqu’un a violé ma sœur que je vais aller violer la sienne.» David Vallat, 44 ans, est le président de l’association Lyon Bondy Blog (LBB), l’un des sites nés de l’aventure Bondy Blog, lancée par L’Hebdo en 2005. Comme à Bondy en Seine-Saint-Denis, la mission du LBB est de «raconter la vie des quartiers». Mais il s’agit cette fois d’aller plus loin, en portant le fer des mots sur la cuirasse djihadiste.

Après les attentats de Paris, un front anti-Daech voit le jour en France, en banlieue et ailleurs. Cent trente morts et des centaines de blessés, frappés indistinctement. Parmi les victimes de ce vendredi noir, des musulmans, tombés aux côtés de non-musulmans. On n’avait plus versé le sang ensemble depuis les guerres mondiales du XXe siècle. Il y avait eu la guerre d’Algérie, avec ses morts séparés. Là, le sang ne fait qu’un, la souffrance est commune. Mythologie de comptoir? Certes, les assassins se revendiquent de l’islam, mais chacun comprend que cet islam-là est sans lendemain à défaut d’être sans effets. Pour David Vallat, le 13 novembre, «Daech a commis l’attentat de trop».

Dans les années 90, ce Lyonnais a porté les armes en Bosnie, puis en Afghanistan. Il a appartenu à un réseau du GIA algérien en France, en lien avec les attentats sanglants de 1995. En 1997, il a été condamné à dix ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Libéré au bout de quatre ans et demi, mettant à profit son incarcération pour passer des diplômes, il est devenu chef d’entreprise. «En 1994, en Afghanistan, engagé auprès d’al-Qaida, j’entendais des diatribes contre la République française. Nous sommes tout ce qu’ils exècrent», affirme-t-il à propos des djihadistes.

Compagnonnage gauchisMe-islam

Cet ex-islamiste armé en veut aux «gauchistes» qui fraient avec l’islam politique des quartiers populaires, un compagnonnage dans lequel le blog qu’il préside verse parfois, constate-t-il avec déplaisir. «On va discuter de cela», glisse-t-il, comme si, face aux terroristes et à leur offensive idéologique, plus aucune «faiblesse» ne devait être tolérée. Le concept d’«islamophobie» en est une pour lui. «Ce p… de concept va me trouver sur son chemin comme son ennemi acharné, prévient-il. L’islamophobie est une escroquerie intellectuelle qui ne nous laisse pas, à nous musulmans comme aux non-musulmans, la liberté de critiquer l’islam.» David Vallat s’apprêtait en début de semaine à publier sur le Lyon Bondy Blog la première d’une série de vidéos de «10 à 15 minutes», par lesquelles il entend contribuer à la lutte contre l’islamisme radical.

La contre-offensive à Daech se prépare au nom de la «République». Mais c’est conjointement, pour se défendre de l’emprise d’une secte sanguinaire et pour sauvegarder la paix civile, que des musulmans se mobilisent en France comme jamais auparavant, tels ces imams du département du Rhône appelant à l’implication de chacun face à l’obscurantisme. Moins académique et c’est à peine croyable: une vidéo postée le 18 novembre sur son profil Facebook par un habitant de Vénissieux, en banlieue lyonnaise, a atteint 4 millions de vues en un jour, puis plus de 6 millions avant d’être retirée – l’auteur, Bassem Braïki, 35 ans, aura été effrayé par le triomphe de son «coup de gueule».

«Je m’adresse à tous les musulmans de France: allez traquer tous les imposteurs qui se font passer pour des musulmans en tuant des gens, y disait-il. C’est pas les autorités qui vont faire le ménage (…), c’est nous, muslims, qui allons à la mosquée, qui prônons les valeurs de la République.» Le 19 sur l’antenne de BFM TV, il s’inquiétait des conséquences des attentats parisiens: «Il faut penser au jour d’après, il faut penser au jour d’après», répétait-il, invitant les «musulmans» à «détecter les dérives sectaires de certaines personnes» et à «en référer aux autorités compétentes». «On côtoie ces personnes-là (susceptibles de rejoindre l’Etat islamique, ndlr) tous les jours, parce qu’on vient du même environnement», expliquait-il. Coopérer avec la police? Bassem Braïki brise un interdit qui n’en est plus vraiment un, mais tout de même: le code, en cité, est de ne pas «balancer». Or l’honneur, désormais, est de coopérer avec les forces de l’ordre, rétorque en substance le jeune homme.

«La vie est sacrée en islam»

Vendredi 20 novembre, une semaine après les tueries, c’est à l’appel de Dieu que les fidèles musulmans ont répondu. La petite mosquée Omar Ibn El Khattab, rue Jean-Pierre Timbaud, dans le XIe arrondissement, à quelques centaines de mètres du Bataclan, est pleine pour la prière hebdomadaire. On vient de banlieue comme du quartier, où résident et travaillent de nombreux Tunisiens. Dernièrement sont arrivés des migrants syriens. La mosquée participe à l’élan de solidarité. L’imam, Tunisien lui-même, a la réputation d’être «un homme de paix». De tous les prêches qu’il a prononcés jusqu’ici, celui d’aujourd’hui est peut-être le plus important. «La vie est sacrée en islam», tel est le message délivré. L’émotion est forte lorsque le religieux, en toute fin de prêche, présente les condoléances de l’assistance «aux familles des victimes» et demande «à Allah de protéger ce pays (la France, ndlr), ainsi que tous les autres pays et de le préserver des troubles et des épreuves».

Morts musulmans en syrie

Après la prière viennent les commentaires et les premiers «oui, mais». Cela se passe au bistrot d’à côté où se réunissent des fidèles pour boire un café ou manger un couscous, l’office terminé. D’abord, ce «oui» franc: «J’espère que ça va changer les choses, chez les jeunes surtout, afin qu’il y ait moins de conflit en eux-mêmes», dit un jeune homme venu avec son vieux père. «Après Charlie, il aurait fallu aller dans les quartiers rencontrer les jeunes, mais cela ne s’est pas fait, l’Etat n’est pas venu, regrette pour sa part un homme d’une cinquantaine d’années. Il faut organiser des tables rondes, partout, parler, s’engueuler, mais parler. Mon fils a 19 ans, qui me dit que demain il n’aura pas de mauvaises pensées? Les réseaux sociaux font du lavage de cerveau. On aurait pu éviter tout ça.»

L’«union» est rompue par un troisième fidèle. Il évoque la France qui «bombarde la Syrie» – il ne dit pas «Daech» – et dont «rien ne garantit qu’elle ne tue pas des civils». Sur l’internet circulent des milliers d’images de corps de Syriens sous les gravats, vues partout dans le monde, fait-il observer. Il ne saurait dire s’il s’agit de lieux contrôlés par l’Etat islamique ou par d’autres forces. Des Arabes, des musulmans meurent en Syrie sous des bombes, c’est ce qu’il faut comprendre. «Au Yémen aussi», ajoute-t-il, où l’Arabie saoudite effectue des raids aériens.

Un mot peut résumer le point de vue de cet homme, ancien membre d’une formation islamiste. Ce mot c’est «injustice», l’arme des «dominés» qui réclament «justice», cette grande aspiration des printemps arabes, que des partis islamistes ont en partie réussi à capter au Maghreb, car «il n’y a pas plus juste que Dieu». Transposé aux banlieues françaises réislamisées dans les années 90 notamment par des Frères musulmans, ce schéma reste grosso modo valable. Face aux «injustices», qui, en France, recoupent opportunément la notion républicaine d’«inégalités», l’islamisme n’a cessé de se durcir dans les banlieues. Vingt-cinq ans après la «bonne parole» diffusée par les pionniers, le rapport mondialisé des «dominés» (les musulmans) aux «dominants» (l’Occident) a produit Daech. La tâche s’annonce difficile pour David Vallat et pour tous ceux qui tentent comme lui d’enfoncer un gros coin dans le dogme politico-religieux, devenu un rempart identitaire.

C’est ainsi, par exemple, qu’un média «musulman» qui devait publier une grande interview de Farid Abdelkrim*, auteur du livre Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste paru peu après les attentats de janvier, y aurait renoncé sous la pression. Il s’agissait de ne pas nuire à la «cause», où des athées et des croyants œuvrent de concert pour la défense du peuple, en banlieue comme en Palestine. Un livre critique sur l’islamisme, qui plus est écrit par un ancien islamiste, peut fragiliser la «cause» en donnant du grain à moudre aux «islamophobes» et aux «racistes».

Soral et Dieudonné

Pendant ce temps, le duo Alain Soral et Dieudonné propageant des thèses antisémites faisait des dégâts dans les réseaux de soutien aux Palestiniens, par essence antisionistes et sensibles aux thèses judéophobes. Après Charlie et la tuerie de l’Hyper Cacher, cette situation n’était plus tenable. Les historiques de la cause palestinienne, plus laïques que religieux et militant souvent à l’extrême gauche, ont fait la chasse aux «islamo-soraliens». Puis ce furent le Bataclan, le Stade de France, des terrasses dans Paris mitraillées par des kalachnikovs. Et tout s’est effondré.

Les attentats du 13 novembre, s’ils n’effacent pas les ardoises, remettent les compteurs à zéro. Fini de déconner, semble dire Bassem Braïki dans sa vidéo vue plus de 6 millions de fois.

*Dernier ouvrage paru: «L’islam sera français ou ne sera pas». Editions Les Points sur les i, 121 pages.

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