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Les 5 flops et les 5 tops de la transition énergétique

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Jeudi, 26 Novembre, 2015 - 05:58

Décryptage. La transition énergétique sera au cœur de la Conférence de Paris sur le climat (COP21). Daniel Favrat, directeur des technologies du Centre de l’énergie de l’EPFL, brosse un inventaire de cinq modèles à écarter ou à suivre pour réussir ce changement.

Daniel Favrat avec la collaboration de Philippe Le bé

En matière d’énergie, tout est rarement tout noir ou tout blanc et des technologies qui ont eu un apport très positif au début peuvent à la longue devenir des obstacles au progrès. C’est en particulier le cas lorsqu’une situation dominante est prolongée à l’excès avec des performances plafonnées. Il en va de même avec certaines politiques énergétiques. Ces précautions étant posées, voici cinq approches dont les effets à terme sont négatifs, et cinq autres dont les effets (notamment en substitution) sont très prometteurs.


1. FLOP Charbon en surcapacité, prix du carbone en chute

Le charbon est une énergie fossile très abondante, dont l’exploitation est particulièrement bon marché. Ce qui explique que près de 40% de l’électricité mondiale est produite par des centrales alimentées par différentes formes de charbon. La plus polluante d’entre elles est le lignite. En Allemagne par exemple, il constitue près de 20% de la production d’électricité, 30% supplémentaires provenant d’autres formes de charbon dont les émissions de CO2 sont aussi les plus élevées parmi les centrales thermiques.

Le problème: à la suite d’un pic des prix en 2008, de nombreuses grandes compagnies, dont au moins une suisse, ont investi dans ce type de centrale en Allemagne. Ce qui a conduit à un parc d’une puissance double de celle qui est nécessaire ainsi qu’à des prix de dumping ne couvrant plus les investissements.

Le laisser-aller de la Commission européenne a également favorisé, par l’attribution exagérée de permis d’émission, une chute inconsidérée du prix du carbone en Europe. De là découle une situation de marché déréglée avec des prix d’électricité exagérément bas, où l’hydraulique suisse et même le nucléaire français ne sont plus concurrentiels, si l’on en croit un récent rapport de la Cour des comptes en France.

Alors que la Commission publiait fin 2011 une directive qui fixait une réduction de 85% des émissions de CO2 d’ici à 2050, les conditions de marché devenaient telles qu’aucune production d’électricité, en dehors du charbon, ne se révélait plus rentable en Europe.
 

1. TOP Des énergies renouvelables pour l’électricité

Le côté positif de la médaille est le fort investissement allemand dans les technologies renouvelables, payé par les petits consommateurs allemands, qui a notamment engendré une réduction considérable des prix du solaire photovoltaïque. Contrairement à ce qui est souvent affirmé par erreur, ce ne sont pas les subventions au renouvelable allemand qui sont la principale cause de l’écroulement des prix de l’électricité mais bien la surproduction d’électricité issue des centrales à charbon. Tout au plus, les subventions allemandes aux énergies renouvelables ont contribué à aplatir la courbe de consommation à la mi-journée, ce qui affecte le modèle d’affaires traditionnel des électriciens suisses.

Parmi les énergies renouvelables, l’électricité solaire est désormais produite en Suisse à des coûts qui se rapprochent des prix du marché, sachant qu’une partie de la production peut être directement autoconsommée à l’échelle de la maison ou du quartier, sans pertes ni frais de transport associés. Des frais qui représentent près de la moitié du prix de l’électricité de réseau facturé à l’utilisateur.

Par ailleurs, des solutions prometteuses de stockage domestique apparaissent sur le marché, au moins pour le stockage journalier. Le stockage portant sur une saison reste cependant un défi, étant donné qu’il s’agira peut-être, à terme, de remplacer la production nucléaire, qui atteint près de 50% de la production électrique suisse au mois de janvier.


2. FLOP Le nucléaire de 2e et 3e générations

Le nucléaire civil, développé à partir des années 60, repose aujourd’hui essentiellement sur l’utilisation de centrales à eau ordinaire (bouillante ou, surtout, sous pression). Ces centrales dites de 2e génération sont les héritières directes des réacteurs conçus à l’origine pour la propulsion des sous-marins américains, application qui exigeait des réacteurs aussi compacts que possible et donc à haute densité énergétique. C’est le type de réacteur qui équipe les quatre centrales nucléaires suisses. Ces réacteurs ne mettent à profit qu’une fraction très faible du potentiel énergétique de l’uranium utilisé, le reste se retrouvant dans les déchets nucléaires, dont une grande partie demeure fortement radioactive durant plusieurs milliers d’années.

On commence à mettre en service des réacteurs dits de 3e génération. Ces derniers ont la particularité d’offrir une sécurité encore plus élevée que les réacteurs de 2e génération, mais n’améliorent que marginalement le rendement électrique. De ce fait, ils contribuent peu à réduire le volume des déchets et les risques de prolifération. Sur le plan économique, les premiers réacteurs de cette nouvelle génération se sont révélés décevants avec des coûts de centrales multipliés par 2,5. Un directeur de grand projet nucléaire a relevé que «si le nucléaire doit disparaître, ce ne sera pas à cause des environnementalistes mais du conservatisme des principaux acteurs de la branche».

Si ce nucléaire a permis et permettra encore d’éviter d’importantes émissions de CO2, il est temps de passer à des concepts de réacteurs qui ne soient pas que des perfectionnements de technologies vieilles de plus de cinquante ans.
 

2. TOP Certaines filières de 4e génération

Une trop faible partie des moyens alloués internationalement au nucléaire est consacrée aux réacteurs de 4e génération, dont certains comprennent des concepts dits Gen Next. Ceux-ci devraient permettre de produire de 50 à 80 fois plus d’électricité par kilo d’uranium utilisé. Et ne devraient engendrer pratiquement que des déchets à demi-vie de centaines d’années au lieu des milliers d’années inhérents aux réacteurs de 2e ou 3e génération.

L’un de ces concepts de la technologie de 4e génération, dénommé «à sels fondus», a déjà été testé dans les années 60 à Oak Ridge, aux Etats-Unis. Au lieu d’avoir des barres solides de combustible, ce dernier est dissous dans un fluide qui circule à pression atmosphérique à l’intérieur du réacteur. En cas de problèmes de refroidissement, des bouchons réfrigérés fondraient et le fluide serait alors réparti dans de grandes cuves, éliminant tout danger d’explosion ou de fuite de combustible vers l’extérieur. Ce type de réacteur permettrait aussi de recycler les actuels déchets de longue durée de vie en revalorisant leur contenu énergétique.

Elimination de déchets de très longue vie, recyclage des résidus déjà produits, limitation des risques de prolifération nucléaire, sécurité intrinsèque augmentée et meilleures performances économiques, tels seraient les avantages multiples de ces nouveaux réacteurs, tout en permettant de satisfaire, sans émissions de CO2, une demande mondiale d’électricité en forte progression.

Par ailleurs, ce type de réacteur pourrait être inclus dans une stratégie visant à utiliser un autre combustible nucléaire plus abondant que l’uranium: le thorium.


3. FLOP Les chaudières à mazout et à gaz

En découvrant le feu, il y a environ quatre cent mille ans, l’homme a pu satisfaire de multiples besoins, comme le chauffage, la cuisson des aliments et une protection relative contre les bêtes sauvages. Au cours des siècles récents, on a mis une boîte autour du feu, de plus en plus isolée, qu’on a appelée fourneau puis chaudière. Le bois utilisé initialement a été progressivement remplacé par le charbon puis le pétrole et le gaz, des ressources naturellement transformées dans les sous-sols, sur des périodes de centaines de millions d’années.

Les rendements (rapport de la chaleur obtenue au pouvoir énergétique du combustible) ont été améliorés, les combustibles purifiés (mazout à faible teneur en soufre) et les brûleurs perfectionnés pour réduire les émissions de particules, d’imbrûlés et d’oxyde d’azote. Cependant, les rendements ne peuvent pratiquement plus progresser. De ce fait, les chaudières représentent l’un des plus grands gaspillages de ressources hérités du XXe siècle. Avec la même quantité de combustible, et donc d’émissions de CO2, on peut obtenir actuellement de 1,5 à 3 fois plus de chaleur grâce aux pompes à chaleur (lire ci-contre). Les chaudières, qui rejettent leurs gaz dans l’atmosphère et l’utilisent ainsi comme une poubelle presque gratuite, font obstacle à des approches technologiques beaucoup plus performantes.

Compte tenu du fait que les chaudières à mazout et à gaz couvrent toujours près de 70% des besoins de chauffage en Suisse, leur substitution représente un potentiel considérable de réduction d’émissions de CO2 encore trop largement inexploité.
 

3. TOP Les pompes à chaleur

Le principe de pomper de la chaleur d’un niveau de température faible à un niveau de température supérieur date du XIXe siècle. Il a surtout été développé à l’origine pour la réfrigération, voire la congélation des aliments. Dans ces applications, un fluide frigorigène s’évapore dans un serpentin placé au fond du réfrigérateur en prenant de l’énergie-chaleur aux aliments. Ces vapeurs sont ensuite comprimées, puis condensées en relâchant leur chaleur à un niveau de température plus élevé.

Un principe qui est le même pour chauffer une habitation, où il s’agit de capter la chaleur de l’environnement à l’extérieur de la maison pour la redonner à l’intérieur à une température plus élevée. La chaleur de l’environnement peut être prise dans l’air ambiant, dans l’eau d’un lac ou d’une nappe phréatique ou dans le sol. Dans ce dernier cas, on utilise principalement des sondes verticales, dites géothermiques, s’enfonçant entre 50 et 300 mètres de profondeur. Ces sondes ont l’avantage de pouvoir prélever de la chaleur du sous-sol en hiver et du froid en été. Les pompes à chaleur sont d’autant plus performantes que la température demandée par les convecteurs (radiateurs) de la maison est faible. C’est notamment le cas avec le chauffage par le sol.

Souffrant de la concurrence directe des chaudières sur le plan économique, les pompes à chaleur n’ont pu se développer que grâce aux progrès substantiels dans l’efficacité des compresseurs de vapeur, les évaporateurs et condenseurs, les techniques de forage, le chauffage par le sol, notamment.


4. FLOP Les véhicules diesel et essence (sans récupération)

La mise en œuvre des moteurs à combustion interne (diesel et essence) remonte elle aussi au XIXe siècle. Et elle a représenté une avancée considérable dans la mobilité. Des milliards ont été investis dans l’amélioration des performances puis, dès 1980, dans la réduction des polluants affectant la santé, avec les catalyseurs pour les moteurs à essence. Cependant, ces derniers ne fonctionnent bien qu’avec un dosage exact entre la quantité de carburant injecté et la quantité d’air, de façon à ne plus avoir que des traces infimes d’oxygène dans les gaz de combustion. Donc, à charge partielle, il ne suffit pas de baisser la quantité de carburant mais il faut en plus diminuer la quantité d’air. Le seul moyen d’y parvenir actuellement est d’étrangler l’arrivée d’air par une vanne, dite papillon, pour diminuer la densité d’air à volume aspiré donné. C’est également l’un des plus grands gaspillages d’énergie que l’on a hérités du XXe siècle, car le rendement est d’autant plus mauvais que la puissance demandée est faible. Ce qui, le plus souvent, est le cas car les moteurs sont dimensionnés pour permettre une bonne accélération. Ce problème n’est pas présent sur les moteurs diesels dont le rendement diminue moins à faible charge. Mais ces moteurs ont une quantité résiduelle importante d’oxygène dans les gaz de combustion, ce qui rend la réduction des émissions d’oxyde d’azote beaucoup plus difficile.

L’autre problème de santé que sont les particules fines concerne les diesels comme les véhicules à essence à injection directe, et ces émissions sont surtout liées aux brusques changements de régime.
 

4. TOP Les véhicules électriques ou hybrides

L’énergie requise par un véhicule pour aller d’un point A à un point B est en principe très faible si l’on récupère l’énergie cinétique de freinage et l’énergie potentielle de la descente. La solution passe donc par un stockage à bord, généralement de type électrique, qui permet de récupérer ces énergies cinétiques et potentielles.

Couplé à un moteur à combustion classique, le stockage d’électricité donne la possibilité à ces moteurs de tourner à des régimes où ils présentent le meilleur rendement, donc une moindre pollution. Une formule que proposent les véhicules hybrides.

De plus en plus d’hybrides rechargeables sont mises sur le marché. Dotées d’un réservoir de carburant et d’une batterie, ces automobiles peuvent rouler sur une distance de 700 à 800 km ou sur un parcours de 30 à 50 km en seul mode électrique. Pouvoir faire de courts trajets en mode électrique permet aussi d’éviter les émissions, qui sont élevées quand le catalyseur du moteur est encore froid.

Les progrès réalisés sur les batteries accroissent encore l’intérêt de ces solutions. Pour être cohérent, il faudrait aussi poursuivre la réduction du poids, de l’énergie nécessaire à la construction (énergie grise) et le recyclage des batteries. Mais ces questions deviennent toujours plus gérables.


Profil
Daniel Favrat

13 février 1948 Naissance à Lausanne.
1976 Docteur ès sciences techniques à l’EPFL.
De septembre 1988 à juillet 2013 Professeur et directeur du Laboratoire d’énergétique industrielle à l’EPFL.
Jusqu’en 2010 Directeur de l’Institut des sciences de l’énergie puis de l’Institut de génie mécanique.
De 2013 à 2014 Directeur ad interim du Centre de l’énergie de l’EPFL.
Depuis 2014 Directeur des technologies du Centre de l’énergie de l’EPFL.

«Comprendre la transition énergétique, 100 questions brûlantes, 100 réponses la tête froide». De François Vuille, Daniel Favrat et Suren Erkman. Presses polytechniques et universitaires romandes.

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