Interview. Selon Jean-Philippe Danglade, auteur de «Marketing et célébrités», Roger Federer rentabilise sa valeur subjective de «meilleur joueur de l’histoire».
Comment jugez-vous le portefeuille de Roger Federer?
Roger Federer a développé une stratégie «less is more» avec peu de contrats mais de très longue durée. Par rapport à Nadal ou Djokovic, il joue beaucoup plus la fibre nationale, mais chaque sponsor est choisi avec soin. Ce sont des marques qui lui ressemblent, dans des secteurs où elles ne se font pas concurrence. On trouve dans son portfolio un horloger, un constructeur automobile, une banque, une assurance, un géant de l’agroalimentaire; ce sont les grands classiques du sponsoring, car ces milieux sont très concurrentiels et doivent se démarquer en utilisant des ambassadeurs.
Selon une étude de Présence Suisse, un article sur deux dans le monde parle de Federer sans mentionner sa nationalité.
Le tennis est l’un des sports les plus internationaux. Les joueurs sont polyglottes, voyagent tout le temps, vivent à l’hôtel. Hors Coupe Davis, Roger Federer n’a qu’une semaine de tournoi en Suisse.
Qu’est-ce qui le distingue des autres sportifs?
Il incarne son sport et il continuera de le faire après sa carrière parce qu’il possède cette valeur subjective de «meilleur joueur de l’histoire du tennis». Comparer les champions et les époques est toujours délicat, mais Federer est associé au record le plus évocateur du tennis, le nombre de titres du Grand Chelem, et au plus grand tournoi du monde, Wimbledon. En plus, contrairement à un Nadal ou à un Tiger Woods en golf, il termine extrêmement bien sa carrière puisqu’il faut un Djokovic à son summum pour le battre.
Est-il devenu une marque?
Pour construire une marque, il faut deux choses: la célébrité et une image. Il possède les deux. Il incarne l’élégance, la longévité, la fiabilité et la stabilité.
N’est-il pas un peu lisse?
Pour un sponsor, c’est extrêmement rassurant. Avec lui, il n’y a jamais de faute de goût. C’est ce qui en fait une personnalité très recherchée pour les relations publiques.
Comment imaginez-vous sa reconversion?
Pour le moment, sa structure de marketing sportif, Team 8, reste assez obscure. En revanche, sa fondation fait sens, sa famille est partie prenante et il a la capacité de lever des fonds. Beaucoup de célébrités se développent en créant leur propre marque. Soit purement sportive comme Michael Jordan, qui gagne mieux sa vie en vendant ses fameuses Air que du temps où il dominait la NBA, soit plus sportswear, comme le font Tony Parker avec La Halle ou Zinédine Zidane avec Mango. Pour le moment, sa griffe RF est davantage une collection qu’une marque, mais elle est quand même assez innovante. Dans le sport, je ne le vois pas en consultant pour les médias, ni en capitaine de Coupe Davis ou en coach. Je ne pense toutefois pas qu’il disparaîtra comme un Pete Sampras. David Beckham a acheté une franchise de la Major League Soccer à Miami, Djokovic a racheté le tournoi de Belgrade; Federer pourrait faire la même chose. Pas forcément à Bâle, peut-être à Halle, où il a de très bonnes relations avec Gerry Weber.
Propos recueillis par Laurent Favre
Profil
Jean-Philippe Danglade
Professeur de marketing à la Kedge Business School. Auteur de Marketing et célébrités (Dunod, 2013).