Non, non et non. Tel est le résultat des votations fédérales de dimanche 24 novembre. Des rejets massifs qui n’ont pas manqué d’interpeller les experts de L’Hebdo ce début de semaine. Qu’est- ce qui a fait pencher la balance dans un camp plutôt qu’un autre? L’heure est aux analyses, commentaires et interprétations.
Fraîchement débarqué au sein de notre communauté de blogueurs, Grégoire Barbey s’est penché sur l’initiative 1:12. Pour lui, le résultat témoigne de l’incohérence du texte. «(…) La lex Minder se suffisait à elle-même pour réglementer les très hauts salaires. Elle donne la liberté aux actionnaires de juger de la rémunération des dirigeants de l’entreprise. (…) Vouloir donner à l’Etat la prérogative dans les affaires courantes du secteur privé pour fixer des limitations salariales, ce n’est pas une solution en adéquation avec le modèle plutôt libéral de la Suisse. Une fois encore, la gauche s’est montrée trop gourmande. (…)»
Plus que le résultat, c’est surtout la satisfaction affichée par les promoteurs de l’initiative, se félicitant d’avoir suscité la discussion, qui a frappé Pierre Novello. «Dans le même camp, d’autres reconnaissaient qu’il s’agissait d’une démarche à vocation éthique et philosophique, justifiant sans doute certaines des faiblesses du texte et son manque de réalisme. (…) C’est dommage, car la thématique soulevée méritait mieux que cela: le creusement des inégalités des revenus issus non seulement du travail, mais aussi du capital, constitue une vraie menace sur la cohésion sociale (…)» Si elle s’étiole dramatiquement, la cohésion sociale a le mérite d’exister. Tout le contraire d’une vraie politique familiale, qu’il reste encore à trouver, selon Jacques Neirynck. «Evidemment, un texte de l’UDC, quel qu’il soit, part déjà en clopinant, car toutes les thèses de ce parti rebutent une majorité des Suisses et, en particulier, la conception ancestrale de la famille traditionnelle que l’initiative entendait sournoisement soutenir. (…) Le pays dit non à une vision passéiste mais ne dit pas oui à son avenir démographique. (…) Pour que la Suisse se maintienne, il faudrait 120 000 naissances par an alors qu’il n’y en a que 80 000.»
Dernier objet au menu: la vignette autoroutière à 100 francs, qui a généré une confusion sans limites nous rappelle François Cherix. «Oubliant que la démocratie directe est un mécanisme d’ordre plus émotionnel que rationnel, le Conseil fédéral a cru qu’il suffisait que la majoration prévue soit logique pour qu’elle soit acceptée. Oubliant qu’il représente le parti des automobilistes, le TCS a combattu la perception des nouvelles recettes permettant d’effectuer les améliorations du réseau routier. Oubliant que les défenseurs de l’environnement demandent depuis toujours que la route finance les coûts qu’elle génère, les Verts se sont opposés à l’augmentation d’une taxe payée par les automobilistes. Drôle de salade, où les cuisiniers se sont positionnés à rebours de leurs propres intérêts.» Mais les citoyens, pourquoi ont-ils voté non? Probablement pour économiser 60 francs, sans se soucier des théories qu’on leur a présentées.
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Les lumières de la ville
Freddy Buache tombe la plume
Le critique a su tracer une ligne radicale de défense du cinéma d’auteur.
Frédéric Maire
On l’a appris dans Le Matin Dimanche: Freddy Buache cesse ses chroniques dans
le journal, après cinquante-quatre ans de bons et loyaux services. (…) Depuis 1959,
il a écrit chaque semaine
et plus, dans une page entière, affirmant cette voix profondément critique qu’on pouvait apprécier,
ou pas, mais qui ne laissait personne indifférent. Pendant longtemps,
la plume de Freddy Buache a tracé une ligne radicale de défense du cinéma d’auteur et de la liberté d’expression. Car Buache s’est aussi insurgé contre les censeurs de tout poil, élevant volontiers la voix quand
la télévision romande l’invitait sur le plateau.
Au fil de ses articles, Freddy Buache a défini en quelque sorte un cercle d’artistes remarquables alors décriés mais par la suite plus
que reconnus (au hasard, Angelopoulos, Antonioni, Bergman, Buñuel, Godard, Huston, Pialat, etc.). Aujourd’hui, une voix critique comme la sienne est engloutie dans l’hypermédiatisation des événements, des «people» et du cinéma à gros budget. Dans les journaux et les médias dominants, James Bond, Thor ou le Hobbit prennent toute la place, selon l’adage «ce qui vend fait vendre».
Et la petite voix qui met
en avant le dernier film
de Manoel de Oliveira reste submergée par ce flux
de cinéma industriel. C’est probablement l’une des raisons qui font que Freddy Buache laisse tomber
la plume. C’est dommage.
Il continue néanmoins
à donner des cours
à la Cinémathèque suisse,
à y présenter des films avec l’enthousiasme que l’on sait, et à écrire des livres. Espérons surtout que sa longévité et son obstination feront des émules – notamment dans la galaxie des blogs qui s’affirme, souvent, comme le dernier espace
de contre-culture.
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Politique internationale
L’importance du «consentement à l’impôt» pour la démocratie
En France, le contrat de confiance qui devrait exister entre l’Etat et ses contribuables se réduit comme peau de chagrin.
Martine Brunschwig Graf
Un quart des Français sont tentés de frauder le fisc, nous apprend l’Agence France-Presse (…). On peut se demander s’ils sont conscients de leurs réponses car ils sont aussi 44 sur 100 à déclarer avoir déjà réglé en liquide des services divers afin d’éviter la TVA et/ou les charges sociales. On s’avoue donc plus volontiers fraudeur que fraudeur potentiel! Cela ne prête néanmoins pas
à rire car le «consentement à l’impôt» que souhaite mesurer cette enquête n’apparaît pas très solide. Cela est-il inquiétant? Oui, certainement, si l’on se réfère à ce que le gouvernement français lui-même donne comme définition: «Le consentement à l’impôt permet à chaque Français par l’intermédiaire de ses représentants au Parlement de contrôler les finances
de l’Etat, et donc l’action
du gouvernement; il est l’élément central du budget de l’Etat, dont le vote est
un pilier essentiel de la démocratie représentative.» Un sondage tout aussi récent montre que pour 43% des Français, payer ses impôts n’est pas un acte citoyen. (…) Le contrat
de confiance qui devrait exister entre l’Etat et ses citoyens contribuables
se réduit donc comme peau de chagrin. C’est une chose que d’aimer ou non ses dirigeants et ses représentants, cela en est une autre que se sentir si peu citoyen que l’on n’exerce plus que ses droits sans considération pour ses devoirs.
Ce mal, car c’en est
un, guette tous les pays dès lors que la confiance est rompue. Au-delà de la confiance, c’est la démocratie qui en souffre (…). L’an prochain, les Français éliront les autorités municipales. (…) Ce sont elles qui vont se retrouver en première ligne, s’agissant de devoir financer
de nouvelles tâches imposées par l’Etat central sans concertation.
La décentralisation sans
le transfert des moyens financiers correspondants était déjà difficile, mais viennent s’ajouter à cela une réforme scolaire coûteuse et des milliards
de réductions de recettes. L’Etat central ne le dit pas ouvertement mais les communes devront peut-être choisir entre hausse des impôts et mise sous tutelle. Le «consentement à l’impôt» en France n’est donc pas près de se renforcer, bien au contraire. Au-delà des résultats électoraux de l’an prochain, il faut se demander quelle ampleur pourrait prendre la révolte. Les bonnets rouges bretons ne sont qu’un avant-goût de ce qui pourrait se produire.