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Bertrand Piccard: "Un cadre légal est indispensable pour nous imposer le remplacement de vieilles technologies par de nouvelles technologie"

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Jeudi, 3 Décembre, 2015 - 05:52

Interview. Présent à la COP21, à Paris, le Vaudois Bertrand Piccard, l’un des pilotes de «Solar Impulse», remue ciel et terre pour plaider la cause de l’efficience énergétique.

Conscient des enjeux du réchauffement climatique, avocat passionné des nouvelles technologies et de l’efficience énergétique, Bertrand Piccard est à la Suisse ce que Nicolas Hulot est à la France: un éveilleur des consciences. Porte-drapeau des nouvelles technologies, Solar Impulse piloté à tour de rôle par André Borschberg et Bertrand Piccard n’a pu, comme prévu, achever son tour du monde avant la COP21. De sérieux problèmes de batteries ont cloué l’avion solaire à Hawaii après sa traversée du Pacifique. La poursuite de l’épopée au-dessus de l’Atlantique et de l’Europe jusqu’à Abou Dhabi est prévue en avril prochain. En attendant, les deux pilotes ont été invités à participer à une série de conférences, notamment dans le cadre de la Commission européenne et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP). Un débat est par ailleurs programmé avec Ernest J. Moniz, secrétaire américain à l’Energie, et Bertrand Piccard. Lequel a accordé un entretien à L’Hebdo.

Vous aviez prévu d’avoir achevé le tour du monde de «Solar Impulse» au moment de la COP21. Etes-vous déçu que ce ne soit pas le cas?

J’ai craint que le message de Solar Impulse ne soit dénaturé par le fait que nous n’avons pas réussi à faire notre tour du monde en une année. En réalité, il ne l’est pas. Tout le monde a bien compris que l’avion solaire a d’ores et déjà réussi à faire l’impossible: un vol de cinq jours et cinq nuits du Japon à Hawaii, sans aucun carburant. Notre problème de batteries est la conséquence d’une erreur opérationnelle. Ironie de l’histoire: celles-ci ont surchauffé, car nous les avons trop bien isolées, avec la même mousse isolante que je prône pour les habitations!

Vous avez rédigé une charte destinée aux négociateurs de la Conférence sur le climat. Mettre en avant les solutions plutôt que les problèmes, ne plus présenter la protection de la nature comme une menace pour la mobilité, parler d’investissements rentables… Vous cultivez la pensée positive. C’est la psychologie du psychiatre que vous êtes qui vous fait tenir de tels propos?

C’est la réalité de l’être humain. Il y a deux erreurs à ne pas commettre. La première est de croire que la conscience et la philosophie suffiront pour faire face aux changements climatiques. Dire que la nature est tellement belle qu’il convient de la protéger, c’est insuffisant. L’autre erreur, c’est de ne parler que des problèmes, des coûts et de la nécessité d’agir pour les générations futures.

Pourquoi?

Parce que cela ne fera que désamorcer l’intérêt et la motivation de ceux qui doivent prendre des décisions ici et maintenant. Il faut donc replacer la lutte contre les changements climatiques dans la réalité de l’être humain, qui recherche un profit immédiat. Ce dernier apparaît clairement au moment où les technologies propres se substituent aux anciennes, quand elles entraînent dans leur sillage un regain d’investissements, des marchés industriels inédits et de nouveaux emplois. Avec à la clé une diminution d’au moins 50% d’émissions de CO2.

Franchement, vous croyez qu’il est encore possible d’éviter une catastrophe en réduisant, comme c’est espéré, d’au moins 40% les gaz à effet de serre d’ici à 2050?

Il y a dix ans, les solutions faisaient encore défaut, faute de technologies adéquates. Aujourd’hui, celles-ci existent bel et bien. L’efficience énergétique, qui permet de minimiser la consommation d’énergie pour un service rendu identique, est mon cheval de bataille. Les technologies propres ne doivent pas se limiter aux énergies renouvelables. Ces dernières ne suffiront jamais à nous satisfaire tant que nous continuerons à gaspiller la moitié de l’énergie que nous consommons. Notre monde ressemble à un homme dans une baignoire qui fuit. Au lieu de colmater la fuite, il ouvre tout grand le robinet pour rajouter de l’eau. Absurde!

Quels sont les domaines concernés par l’efficience énergétique?

Ils sont légion. Voyez par exemple le réseau de distribution d’électricité intelligent, le smart grid: ABB transporte désormais du courant électrique à haut voltage en courant continu avec 5% de perte au lieu de 50% dans un passé récent. Concernant l’éclairage, la majorité de nos ampoules perdent encore 95% de l’énergie qu’elles consomment. Si l’on remplaçait ces dernières par des LED ainsi que le chauffage électrique direct par des pompes à chaleur, on économiserait la production de deux centrales nucléaires en Suisse. Il y a enfin l’isolation des bâtiments. J’ai fait l’expérience d’une économie de 30% sur ma facture d’énergie quand j’ai mieux isolé le toit de ma maison.

Comment faire pour encourager les travaux d’isolation des bâtiments?

Les ménages et les entreprises doivent savoir que de tels investissements sont rapidement très rentables, de l’ordre de 10 à 20% par an. Quant aux personnes privées qui n’ont pas les moyens de les réaliser, elles devraient pouvoir bénéficier de prêts bancaires à taux zéro. Une telle formule est notamment pratiquée en France, afin d’améliorer la performance énergétique des logements et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. En Suisse, nous pourrions imaginer la création d’un fonds fédéral écologique qui aurait pour mission de gérer un tel système.

Et pour la mobilité?

Les moteurs à combustion ont un rendement de seulement 27%. Quelque 73% d’énergie sont perdus. Dans un moteur électrique, comme ceux qui équipent Solar Impulse, le rendement atteint 97%. La voiture électrique devrait être encouragée.

La voiture électrique est quasi absente sur les routes suisses. Comment l’expliquez-vous?

C’est d’abord une question de prix. Le parc automobile norvégien recense déjà 2% de voitures électriques. Ces dernières sont exemptes de droits de douane à l’importation. La Tesla, très en vogue dans ce pays, coûte le prix d’une VW Passat.

L’autonomie jugée encore trop faible de la voiture électrique n’est-elle pas un autre handicap majeur?

C’est vrai, mais l’autonomie des voitures électriques augmente régulièrement au fil des ans. Pour ceux qui ne veulent pas encore rouler avec ce type de véhicule, la voiture hybride offre une solution intéressante. Celle que je possède depuis 2004 me permet de consommer moitié moins d’essence qu’une voiture classique du même type.

Que préconisez-vous pour les véhicules qui roulent encore à l’essence ou au diesel?

La consommation de carburant d’une voiture ne devrait pas excéder 2 à 3 litres aux 100 kilomètres parcourus. Une telle mesure forcerait les industriels à mettre sur le marché des solutions déjà existantes mais pas encore ou peu commercialisées.

Impossible, donc, de faire l’économie d’un cadre légal contraignant?

Dans notre société il existe un cadre légal pour la santé, la justice, l’éducation, la culture, les arts, etc., mais il n’y en a pas pour les émissions de CO2. On a le droit de gaspiller autant d’énergie que l’on veut. C’est aberrant. Prenez les coques de bateau, sachant que le transport maritime est très polluant. Il existe aujourd’hui des enduits dont la résistance à l’eau permet 30% d’économie de carburant. L’utilisation de tels produits devrait être obligatoire.

Que pensez-vous de l’initiative de l’ancien ministre français Jean-Louis Borloo de créer une agence de l’électrification de l’Afrique en faveur des 650 millions d’Africains privés d’électricité?

C’est une excellente initiative massivement soutenue par les chefs d’Etat africains. J’espère vivement que les pays riches vont l’encourager. Voilà un geste concret, efficace et bien ciblé au profit des pays les plus déshérités.

Finalement, qu’attendez-vous de cette COP21?

Je crains que cette conférence ne se solde par un accord minimaliste sur des objectifs non contraignants de baisse de CO2. Comme si le dioxyde de carbone était la maladie alors qu’il n’est qu’un symptôme! La maladie, c’est notre manière de gaspiller de l’énergie. Une fois l’accord signé, qu’allons-nous faire? Les politiques auront besoin des solutions fournies par les ingénieurs et les industriels. C’est pourquoi, une fois encore, un cadre légal est indispensable pour nous imposer le remplacement de vieilles technologies par des technologies propres.

Comment, idéalement, devraient évoluer les conférences sur le climat?

Ces conférences devraient chercher et détecter, pour chaque région de la planète, quelles sont les technologies propres existantes les plus rentables et les mieux adaptées aux systèmes météorologique, politique et économique de ladite région. Un vrai débat scientifique et financier serait ainsi enclenché sur la meilleure manière de les utiliser. Dans la foulée, les politiques se chargeraient de fixer un cadre légal qui aurait une force juridique contraignante. Finalement, la planète a urgemment besoin d’une alliance entre les politiques, les économistes, les industriels et les scientifiques. Eviter toute déperdition d’énergie entre ces mondes-là, c’est aussi une garantie d’efficience!


Profil
Bertrand Piccard

1958 Naissance à Lausanne. Marié à Michèle, père de Solange, Oriane et Estelle. 1992 Vainqueur de la 1re course transatlantique en ballon avec le Belge Wim Verstraeten. 1999 1er tour du monde sans escale en ballon avec Breitling Orbiter 3, avec Brian Jones. 2003 Lancement de Solar Impulse. 2010 Premier vol de nuit à l’énergie solaire. 9 mars 2015 Départ d’Abou Dhabi pour un tour du monde qui devrait s’achever en juillet 2016.

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Jean Revillard / Solar Impulse, Rezo
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