Analyse. Les deux principaux candidats officiels de l’UDC pour le Conseil fédéral ne soulèvent pas l’enthousiasme dans leur région respective. Curieux malaise des deux côtés de la Sarine.
Catherine Bellini et Michel Guillaume
L’anguleux Thomas Aeschi et le rassurant Guy Parmelin ont ceci en commun: ils suscitent un certain embarras dans leur canton et leur région linguistique. Du côté de Zoug, l’enthousiasme envers le conseiller national Thomas Aeschi est qualifié de «retenu» par les politiciens et journalistes locaux quand ils s’aventurent à parler de lui.
A l’UDC cantonale que Thomas Aeschi préside depuis le printemps, on se montre prudent; dans les autres partis, on a tendance à s’incliner devant son succès. Et dans la presse, on connaît l’opiniâtreté du parlementaire qui surréagit à la moindre critique. Pour tout dire, la plupart des interlocuteurs préfèrent ne pas s’exprimer du tout. A l’instar du conseiller d’Etat Heinz Tännler, un politicien d’ordinaire communicatif.
Souvenez-vous: le candidat zougois de l’UDC, c’était lui. Mais il s’est retiré de la course après qu’un camarade de parti lui eut reproché d’avoir travaillé pour la FIFA. Entre-temps, hop, Thomas Aeschi est devenu candidat. Il doit la trouver saumâtre, Heinz Tännler. Politicien expérimenté, il avait été si bien noté par la direction de l’UDC suisse il y a quatre ans qu’il était arrivé juste après Bruno Zuppiger parmi les papables au Conseil fédéral.
Oui, il a le chic, Thomas Aeschi, pour se glisser prestement aux places que d’autres doivent quitter dans l’urgence. C’est à l’affaire supposée sexuelle entre l’ex-président de l’UDC zougoise et une députée verte qu’il doit son ascension à la tête du parti cantonal. Le conseiller aux Etats zougois Joachim Eder, PLR, approché par Aeschi avant sa nomination, lui avait conseillé d’attendre encore quelques années et d’acquérir de l’expérience. Il dit pourtant: «Désormais, je le soutiens, car il est Zougois et Suisse allemand. Mais il doit s’émanciper de Herrliberg, devenir autonome, Ueli Maurer devrait pouvoir l’aider.» La dépendance idéologique à Christoph Blocher reste le principal défaut évoqué envers Thomas Aeschi. «Sur la politique des étrangers, il sait peu de chose, n’approfondit pas et répète les slogans de son parti», constate Andreas Lustenberger. Jeune député au Grand Conseil pour les Verts, il trouve, par ailleurs, l’homme «très sympathique».
Dans sa commune de Baar cependant, le jeune consultant ne suscite pas vraiment l’amour fou. Le maire Andreas Hotz, président du PLR local, affirme dans les médias qu’il ne sait presque rien de la vie privée du jeune candidat et que son bref passage au Grand Conseil ne permet pas de juger de son action politique. Mais il souligne une «extraordinaire ambition». Il faut préciser qu’une lettre de lecteur signée Thomas Aeschi, dénonçant un projet de centre pour réfugiés dans la commune, a mal passé. Et amené le Conseil communal à déposer plainte pour viol du secret de fonction contre inconnu.
Pushy-Aeschi
Dans le reste de la Suisse alémanique, l’enthousiasme n’est pas palpable non plus, mis à part chez les chefs de l’UDC, Toni Brunner, Adrian Amstutz ou Christoph Blocher, et à l’exception notoire de l’industriel Peter Spuhler qui vient de souligner les compétences en matière financière de ce diplômé de Saint-Gall et de Harvard.
Même parmi les parlementaires zurichois qui ont pourtant voté pour lui au groupe, certains ne l’éliront pas: «Trop jeune», lâchent-ils, laconiques.
Dans les autres partis bourgeois, beaucoup doutent de la capacité du jeune Zougois à endosser l’habit de conseiller fédéral. «Il travaille de manière excessive, inonde la commission d’amendements qui n’ont pas la moindre chance de trouver une majorité», répètent ses collègues au National. Il manquerait de doigté. Ceux qui se sont déplacés à l’étranger avec lui témoignent d’une hyperactivité à la limite du supportable. Il peut partir trois jours avant le reste du groupe pour rencontrer des interlocuteurs supplémentaires et montre une fâcheuse tendance à monopoliser le temps de parole. «Plus grave, il manque de courage politique, juge un PLR qui le connaît bien. Jamais il ne varie d’un iota de la position de son parti, même quand il n’est pas d’accord.» Un autre élu de Suisse orientale estime qu’«il ferait peut-être un bon secrétaire d’Etat aux Finances. Mais un homme d’Etat, c’est autre chose.»
Trop ou trop peu
Si la soif de pouvoir de Thomas Aeschi joue en sa défaveur en Suisse alémanique, en Suisse romande c’est au contraire le manque de niaque qu’on reproche au candidat vaudois Guy Parmelin.
Il avait refusé le haut lieu du pouvoir qu’est le Conseil d’Etat quand il s’est agi d’y remplacer l’UDC Jean-Claude Mermoud. Or, ce poste-là, dans le canton de Vaud, ne se refuse pas. D’autant moins que son parti a perdu le fauteuil et la droite la majorité au gouvernement. Même si celle-ci lui a beaucoup pardonné depuis son récent soutien à Olivier Français dans sa course, réussie, au sénat.
Il n’en reste pas moins que Guy Parmelin, parlementaire fédéral sérieux, compétent et très apprécié au sein de la Commission de la santé et des affaires sociales, ne s’est jamais conduit en leader. «Il n’a pas l’image de conquérant qui sied au pouvoir», entend-on. «Objectivement, il n’a pas un bilan politique qui va au-delà du travail en commission», estime la conseillère nationale Cesla Amarelle (PS-VD).
Pourtant, on l’aime bien, Guy Parmelin. Et, comme le précise Pierre-François Veillon, son compagnon de parti, «Vaud ne se résume pas à l’Ecole polytechnique fédérale, c’est une petite Suisse avec des villes mais aussi des Alpes, des Préalpes et des campagnes». Parmelin, c’est l’homme du juste milieu, qui fleure bon Gilles et sa Venoge.
Justement. Le dynamique arc lémanique se sent peu représenté par ce parlementaire viticulteur, élu d’une UDC qui n’affiche pas, en Suisse romande, le profil triomphant du parti alémanique. On lui reproche son engagement au comité de l’initiative «Contre l’immigration de masse» alors que la région a grand besoin de main-d’œuvre étrangère, dans la recherche notamment. Le fait qu’il se soit opposé à FAIF, le Financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire, apparaît insupportable.
Et puis, juste milieu ou pas, Vaud a pour habitude d’envoyer de fortes personnalités au Conseil fédéral. On se souvient de Jean-Pascal Delamuraz, l’homme de tous les éclats, ou avant lui Georges-André Chevallaz.
Ces dernières années, de vrais leaders de parti ont tenté leur chance, tels le PLR Pascal Broulis et le socialiste Pierre-Yves Maillard. Des carrures, à l’image des syndics de Lausanne, de Delamuraz, encore lui, à Brélaz en passant par Yvette Jaggi.
Aujourd’hui encore, l’arc lémanique mais aussi Neuchâtel ou Fribourg disposent de gros calibres politiques prêts à bondir dans la fonction de conseiller fédéral le jour où une place se libère. Outre Pierre-Yves Maillard, qui reste un papable en puissance, avancent aussi Roger Nordmann, Géraldine Savary ou la PLR Isabelle Moret. A Genève, le brillant conseiller d’Etat Pierre Maudet a déjà acquis une réputation d’homme d’Etat, et d’autres émergent, à l’image du PDC Guillaume Barazzone. Sans même parler du ténor valaisan Christophe Darbellay.
Bref: «Le niveau de la politique romande est assez élevé. Faudrait-il renoncer à certains talents pour éviter qu’un UDC pire que Guy Parmelin n’entre au Conseil fédéral?», s’interroge un parlementaire romand tandis que d’autres qualifient le Vaudois de «moindre mal». Dilemme et embarras. D’ailleurs ici aussi, la plupart des interlocuteurs ne veulent pas être cités. Ou pratiquent la langue de bois.
Autant dire que si la candidature de Thomas Aeschi est assez mal perçue en Suisse alémanique, celle de Guy Parmelin ne soulève pas d’élan en Suisse romande. «Paradoxalement, Guy Parmelin a davantage de chances d’être élu que Pascal Broulis et Pierre-Yves Maillard à l’époque, alors qu’ils bénéficiaient d’une vraie force d’entraînement dans leur région», analyse l’historien Olivier Meuwly.
Parce qu’il siège au Parlement. Et parce que ceux qui voudront éviter Thomas Aeschi en Suisse alémanique voteront pour le Vaudois, plus rassurant, plus prévisible, moins susceptible d’être aux ordres de Christoph Blocher.
Et s’ils se tournaient tous vers le Tessinois Norman Gobbi? Histoire de laisser la voie libre aux futurs Alémaniques et Romands? De régler la question tessinoise une bonne fois? Peu probable. Elire un léguiste au gouvernement suisse, réputé peu collégial? Gênant. D’autant plus que le Tessinois divise aussi chez lui. Alors, à moins qu’un quatrième candidat ne déboule, le successeur d’Eveline Widmer-Schlumpf ne sera pas reçu comme un vrai champion dans sa région.