Reportage. La micromaison futuriste conçue par un atelier d’architecture slovaque ne restera pas au stade de prototype. Les précommandes de cet habitat énergétiquement indépendant, qui passionne déjà la webosphère et plusieurs célébrités, viennent d’être lancées.
Florence Perret, Bratislava
Pour la trouver, en ce jour férié du 26e anniversaire de la révolution de velours, il faut franchir le Danube, sortir de Bratislava, passer les zones industrielles, rouler en direction des Petites Carpates, bifurquer vers l’est, traverser quelques villages et forêts. Alors seulement elle apparaît.
On a beau l’avoir vue en photos sous toutes ses coutures, en miniature le matin même chez ses concepteurs, la surprise reste intacte. L’Ecocapsule est un ovni. Une sorte d’œuf d’acier qui aurait choisi ce terrain mal défriché entre deux maisonnettes pour se poser. Sauf qu’elle ne vole pas. Un sous-marin échoué?
Tomas Zacek sourit. Il sait l’effet que son Ecocapsule peut susciter. Surmontée d’une haute hélice à l’arrière (une éolienne rétractable de 750 W, en réalité), bardée de carrés noirs sur le toit (des capteurs solaires disséminés sur 2,6 m2), d’une rigole (le collecteur d’eau de pluie sur 360 degrés) et de quatre pieds, la première «micromaison énergétiquement indépendante» est bluffante.
Surprise encore derrière la grande porte papillon qui rappelle celles des bolides les plus hi-tech. Il y a là le nec plus ultra de l’habitation miniature: un lit double, un desk, des rangements, deux fenêtres, une kitchenette, une douche et des toilettes. Tout cela dans un espace de… 8 m2, électricité, chauffage, eau chaude et internet compris. De quoi susciter les fantasmes. Plus de 10 000 demandes pressantes en provenance du monde entier, Etats-Unis en tête, ont été envoyées ces derniers mois aux concepteurs. Sans compter celles, tout aussi nombreuses et insistantes, qui pullulent sur les réseaux sociaux.
Les premiers traits de crayon
Il en a fallu, du temps, à Tomas Zacek, Sona Pohlova, Igor Zacek et les autres pour en arriver là. Leur bureau Nice Architects n’était même pas né lorsque tout a commencé. Nous sommes en 2008. Les jeunes architectes, la mi-vingtaine, évoluent encore à la Faculté de Bratislava ou dans leurs programmes Erasmus à Barcelone et à Liverpool, lorsque Andes Sprouts Society, organisme «vert» à but non lucratif, lance un concours d’architecture au Delaware, USA. Le défi de Small is Beautiful? Imaginer un studio d’artiste autosuffisant, de 28 m2 maximum, à l’énergie durable, pour un coût de 5000 dollars. Et voilà les Slovaques partis pour la compétition.
Fous de nature, indépendants et déjà créatifs, ils cavalent, bossent «24 heures sur 24». Cela donnera Rolling Stone Eco Capsule. Un gros œuf de 25 m2 qui s’ouvre en deux et dont la coque est enrobée d’aluminium récupéré de canettes de bière et de soda pour refléter la nature environnante. Une chambre, une salle de bains, un bureau, mais aussi une petite scène qui permet, l’été venu, de se produire devant un public. Les concepteurs y voient d’emblée une roulotte de Tsiganes et imaginent déjà une caravane d’Ecocapsules qui, à l’image d’un camp de gitans, seraient reliées entre elles. Mais c’est un projet «plus classique» qui l’emporte. «C’était une belle idée, mais le monde n’était peut-être pas encore prêt à ça», remarque Tomas. Tué dans l’œuf, Rolling Stone? Pas tout à fait.
Bingo!
Le 1er avril 2009, à la plus grande surprise de l’équipe, qui pense à «un gag», le weblog new-yorkais Inhabitat, consacré au design et aux innovations technologiques, publie un article enthousiaste sur son «projet préféré»: Rolling Stone Eco Capusle. «Aérodynamique», «mobile», «moderne», «compacte», «respectueuse de l’environnement», «autosuffisante en termes d’énergie, d’eau et de déchets»… L’effet boule de neige est immédiat sur la Toile et dans les médias. «C’est devenu viral», se réjouit Tomas. Une cinquantaine de personnes s’emballent, veulent l’acheter. «Là, on s’est dit que c’était peut-être une bonne idée.» Les Slovaques se remettent au travail. Problème numéro un: la taille de Rolling Stone. «Trop grand, trop haut.» Compliqué de rendre énergétiquement autonome un espace de 25 m2 et tout autant de déplacer un engin de 3,50 mètres de hauteur, autant dire un éléphant.
La capsule ne fait pas vivre l’équipe pour autant. Les jeunes architectes doivent revenir à leur métier, faire tourner l’atelier Nice Architects qu’ils viennent de créer dans une ancienne usine de couture d’un quartier industriel de Bratislava. Ils confient alors les recherches aux stagiaires de passage. Le projet avance lentement.
C’est le Web Summit de Dublin de 2014 et son start-up event qui vont redonner l’impulsion. «Ecocapsule est une start-up!» réalise soudain Tomas, qui s’inscrit. Un mois très intensif, une grosse miniaturisation et un grand pas pour l’Ecocapsule. Pour l’envoyer à Dublin, en effet, et la faire entrer dans un conteneur, les architectes vont devoir réduire sa taille de 25 à 8 m2. Résultat: un nouvel intérieur et un nouveau volume qui, en plus, permet de mieux gérer l’énergie. «Le rêve était en train de devenir réalité.» Bingo!
Susan, Ashton et les autres
Restaient encore plusieurs questions techniques à régler. «Un des plus gros challenges fut… les toilettes!» indique Tomas. En clair, que faire des excréments? Toilettes à incinération? Trop d’énergie, «environ 2000 watts par combustion», l’équivalent des besoins énergétiques d’une journée dans l’Ecocapusle. Toilettes à séparation d’urine? Oui, mais «ce n’est pas encore la solution idéale». Alors convertir ces déchets en énergie comme cela se fait déjà en Chine ou en Inde? «Oui, nous sommes justement en train de tester cette idée dans notre jardin.» Nice Architects est en sûr: il va trouver ses «toilettes de rêve».
Parmi ces milliers d’acheteurs prêts à aligner les dollars, des hôteliers, des «hommes qui veulent faire une retraite sans femme (sic!)», des sociétés minières chilienne et australienne. Mais aussi des célébrités, comme l’actrice Susan Sarandon, ambassadrice pour l’ONU. «C’est vrai, nous sommes en contact avec elle. C’est encourageant d’avoir des retours de telles personnalités. Peut-être sera-t-elle notre ambassadrice…» A moins qu’Ashton Kutcher ou Moby, qui ont semble-t-il craqué eux aussi, ne lui volent la vedette.
Les meilleurs spots
Nice Architects est en train d’élaborer une sorte de «best of» des meilleurs spots où disposer son œuf, à commencer par les «endroits où il n’y a aucune infrastructure», comme les montagnes, les plages, les toits d’immeubles… En revanche, les forêts noires ou les déserts soiffards ne sont pas faits pour elle. Certains pays, certaines régions sont évidemment plus ou moins aptes à collecter l’eau de pluie dans le réservoir. Avec 15% de taux de remplissage, l’Australie fait a priori pâle figure aux côtés des Pays-Bas et leurs 55%. «La technologie est à la pointe, mais elle n’est pas encore parfaite. Et comme nous ne sommes pas magiciens, il y a effectivement des endroits où vous ne survivrez pas! En revanche, vous pourrez bien poser votre Ecocapsule dans des endroits où c’était impossible jusqu’ici sans générateur d’essence. Vous serez complètement autosuffisant.»
Certes, mais le transport, lui, sera tout sauf vert… «Trois possibilités s’offriront à vous. La première, onéreuse: l’accrocher à un hélicoptère si vous allez dans des lieux très reculés; la deuxième: la poser sur un camion; la troisième: sur une remorque faite pour l’Ecocapsule.»
Seules 50 capsules pourront voir le jour en 2016. «Une édition limitée et customisée qui sera très chère, avertit Tomas Zacek qui nous dévoile le prix en primeur: 79 900 euros. Car pour le moment, notre partenaire slovaque a de très petites capacités de production. Ce sera aussi une sorte de test.» Les principaux bénéficiaires se trouveront aux Etats-Unis (60% des demandes), au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande mais aussi en Allemagne et peut-être en Suisse «où nous avons de bons échos». La production en série devrait suivre l’année suivante, avec de nouveaux partenaires. «Grâce à l’écho des médias, nous avons pu travailler avec d’excellentes compagnies du monde entier que nous n’aurions jamais pu approcher sans cela.»
Le millier d’unités bénéficiera encore d’améliorations technologiques. «Le prix sera alors revu à la baisse, annonce l’architecte. Notre but est vraiment de la vendre le moins cher possible afin que l’Ecocapsule soit accessible à tout le monde.»
Pour après, tout oublier, jusqu’au sens du mot loyer.
La capsule en détail
Longueur 4,46 mètres
Largeur 2,25 mètres
Hauteur 2,60 mètres (4,50 avec éolienne déployée)
Surface 8,2 m2
Volume 10 m3 Poids 1200 kg (1900 avec réservoir d’eau plein)
Coque fibre de verre
Isolation mousse de polyuréthane
Pieds réglables, en métal
Eau deux réservoirs de 350 litres (eau de pluie filtrée et eau grise)
Fenêtres triple vitrage avec plaques de polycarbonate fumé
Eolienne rétractable, puissance 750 W
Panneaux solaires puissance 600 W
Chauffage au sol
Lit de 90 x 200 cm à 145 x 200 cm
«Oui, c’est le couteau suisse de l’habitat»
Cinq questions à Igor Zacek, CEO et cofondateur d’Ecocapsule.
Ecocapsule, un coup de chance?
C’est un projet trop complexe pour être juste un coup de chance. C’est un produit de développement de longue haleine qui a commencé en 2008. Mais c’est vrai, l’engouement du public est nettement plus important que ce que nous imaginions.
Combien de commandes avez-vous reçues?
Aucune commande n’a été acceptée jusqu’à mercredi 2 décembre, date de l’annonce du prix de l’Ecocapsule et du lancement des précommandes. Mais l’intérêt était déjà massif: plus de 10 000 demandes de renseignements nous étaient parvenues jusque là.
Combien émanent de Suisse?
De 150 à 200 environ.
Vous avez été le premier surpris du buzz autour de la capsule. A quoi est-ce dû selon vous?
A plusieurs facteurs, mais principalement à l’évolution des mentalités. La génération actuelle a des valeurs différentes de celles de ses parents. Dans les années 80, pour être heureux, il fallait avoir un emploi stable, une maison, être attaché à un lieu. Internet a passablement modifié le marché de l’emploi. De nombreux jobs ne demandent qu’une simple connexion désormais. Ce qui, il y a encore dix ans, exigeait une énorme infrastructure peut être effectué aujourd’hui sur un simple ordinateur portable. Cela a ouvert un tout nouveau monde, celui de la mobilité. Les gens peuvent voyager, leur travail ne les limite plus à un lieu donné. La sensibilisation à l’écologie a contribué à promouvoir encore le projet. Mais le plus important est que l’Ecocapsule réunit la plupart des envies de chacun: la liberté personnelle, l’indépendance et la possibilité de voyager.
Le couteau suisse de l’habitat, en quelque sorte?
Oui, la polyvalence est la clé du succès de la capsule. Ce n’est pas seulement une maison portable. Ses caractéristiques – mobilité, production et stockage d’énergie, eau potable, indépendance, etc. – peuvent être utilisées dans différentes situations. Comme unité d’habitation bien sûr: chalet, chambre d’amis, structure hôtelière, station de recherche, abri d’urgence pour humanitaires voire camping-car si on lui adjoint une remorque. L’Ecocapsule est aussi une plateforme qui peut servir à des activités autres: serveur distant, batterie portable, station de recharge pour voitures électriques, unité de filtration d’eau… Sachant que le couteau suisse a cinq fonctions de base, cette comparaison est tout à fait appropriée.
Propos recueillis par Florence Perret
Profil
Tomas et Igor Zacek
Naissance 29 décembre 1979 et 13 janvier 1982 à Bratislava.
Parents Ingénieurs.
Etudes Architecture et génie civil à Bratislava. Mais aussi à Copenhague, à Paris, à Barcelone et à Liverpool.
Particularités Amoureux de la nature, indépendants.
Souvenir fort Tomas a 10 ans, il est avec son père sur la grand-place de Bratislava et agite comme la foule des trousseaux de clés. C’est la fin de la révolution de velours. La fin du communisme.