Interview. A la tête de l’Académie de police de Savatan, le colonel Alain Bergonzoli, ancien commandant des gendarmes vaudois, pense que la formation de tous les policiers à la notion de primo-intervenant devient essentielle.
Propos recueillis par Sabine Pirolt
Quelles sont les qualités d’un bon policier aujourd’hui?
Le courage redevient la qualité première. Risquer sa vie pour protéger celle d’autrui demande de l’abnégation et un sens du courage très élevé. D’autres pensent que c’est le côté relationnel. Je ne mets pas ces deux qualités en opposition. Malheureusement, les événements récents me donnent raison. Il faut rappeler le sens premier de la mission de la police: protéger et servir. Le policier doit être irréprochable dans sa manière de faire respecter les lois et, de par ses actes, amener le citoyen à comprendre immédiatement le sens de ces actions.
Une année pour devenir policier, est-ce encore suffisant?
La formation d’un policier ne se termine pas à sa sortie de Savatan avec l’obtention de son brevet fédéral. Il faut quelques années de pratique pour devenir autonome. Dans la plupart des corps du pays, les policiers effectuent encore des stages normés, parfois sur plus de deux ans, par exemple à Police-secours ou dans une brigade judiciaire. Le concept de formation de demain prévoit de prendre en considération cette composante, afin d’élever le niveau de certification vers une voie qui correspond à une école supérieure.
Après les événements de Paris, devrait-on repenser la formation?
Ces attentats annoncent une lutte longue et difficile. Combattre ce phénomène va prendre du temps: il faut plutôt parler d’années que de jours. Pour notre société qui vit dans l’immédiateté, ce sera éprouvant. La situation actuelle met en lumière la nécessité de développer toutes les synergies possibles entre les différentes forces de police. Sur ce point, le modèle allemand est intéressant. Il permet une montée en puissance des forces, tout en respectant l’autonomie des länder et en garantissant l’engagement de ressources centralisées afin de produire un effort principal.
Quelles sont les mesures à prendre pour lutter contre le terrorisme?
A l’exemple de la lutte contre des virus violents, la lutte contre le terrorisme nécessite trois types de mesures: la prévention, la protection et l’intervention. Pour la prévention, la Suisse, de par sa structure fédéraliste, est très performante. Elle connaît ses citoyens et ses préoccupations. La détection de personnes en rupture avec les valeurs de la société est en principe facilitée. Face à une menace terroriste, outre la recherche de renseignements, il s’agit de pouvoir dissuader certaines actions hostiles par le renforcement des mesures de protection. Si nous avons la capacité de monter en puissance dans ce domaine-là, la limite se situe sur le plan des effectifs disponibles pouvant être engagés dans la durée. Et en ce qui concerne l’intervention, la Suisse est bien équipée en comparaison internationale. Pour élever ce niveau, nous devons nous questionner sur les équipements personnels, l’armement, les munitions et le renforcement de la formation dans certains domaines.
Actuellement, la population est-elle bien protégée?
Dans notre pays, le niveau de sécurité est très élevé et ce en raison de facteurs sociologiques, historiques, politiques et juridiques. Il y a encore cinq ans, la doctrine d’engagement pour des cas d’amok était peu connue. Les premiers policiers à arriver sur le lieu d’un événement observaient. Suivaient les groupes d’intervention spécialisés. Aujourd’hui, face à des individus qui tuent, il faut adapter cette doctrine, les premiers policiers qui arrivent sur place doivent disposer des compétences et des capacités pour agir directement. Cela ne signifie pas que les groupes d’intervention spécialisés n’opèrent plus. La préparation de tous les collaborateurs à la notion de primo-intervenant devient donc essentielle. Cela nous renvoie à des valeurs fondamentales, telles que la capacité pour tous les policiers à s’interposer, dès les premiers instants, à un forcené ou à un groupe de terroristes déchaînés. Il est donc primordial de préparer le personnel à ce type de situation.
Qu’en est-il de l’armée? Pourrait-elle, comme en France, intervenir en cas d’attaques terroristes?
En Suisse, nous avons une armée de milice. Il faut également rappeler que le principe de subsidiarité est inscrit dans la Constitution. Il revient aux autorités politiques des cantons de dire si elles souhaitent l’engagement de l’armée. Juridiquement et pratiquement, le processus existe, mais il devrait franchir un certain nombre de seuils qui prennent du temps. On peut légitimement se demander s’il ne serait pas opportun d’aller au-delà. Je pense clairement que oui. Il est urgent d’anticiper et de conceptualiser un plan Vigipirate pouvant être déclenché rapidement.
Profil
Alain Bergonzoli
1961 Naissance à Lausanne, marié, trois enfants.
1985 Responsable de la sûreté de l’ambassade suisse à Beyrouth.
1994 Entre à la police cantonale vaudoise comme premierlieutenant.
2001-2008 Commandant de la gendarmerie vaudoise. Dès 2009 Directeur de l’Académie de police de Savatan, colonel de gendarmerie.