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Climat L’Inde, l’enfant terrible

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Vendredi, 11 Décembre, 2015 - 05:47

Analyse. Entre engagement climatique et impératifs de croissance, la position de l’Inde est complexe. Elle renvoie au monde occidental ses propres contradictions.

Vanessa Dougnac, New Delhi

Il fallait oser: affirmer un fort engagement climatique tout en revendiquant le droit à produire des émissions de gaz à effet de serre. Dans la lutte contre le réchauffement climatique, c’est la position du géant indien, sous-continent de 1,3 milliard d’âmes. New Delhi s’engage à multiplier les efforts et à développer les énergies renouvelables, mais refuse de sacrifier son développement sur l’autel des négociations de la COP21. Invoquant une «justice climatique», l’Inde a voulu s’octroyer, à la conférence de Paris, le principe d’un espace «carbone» pour émettre davantage de CO2 que d’autres. Car au pays du Mahatma Gandhi, l’industrialisation tourne à pleins fourneaux.

Fossé nord-sud

Crachant leurs cendres toxiques, les usines et les centrales portent l’espoir immense d’éradiquer la pauvreté, de pourvoir 300 millions d’Indiens en électricité et de nourrir une croissance qui touche cette année les 7,5%. Fulgurant, ce modèle de développement comprime en trois décennies deux siècles de révolution industrielle à l’occidentale. L’Inde promet de réduire l’intensité carbone de son PIB mais, en clair, elle continuera à polluer les cieux, alors qu’elle est le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Entre intérêts nationaux et vision globale, le pays incarne un profond dilemme.

Ce paradoxe lui donne le rôle in-contournable de l’enfant terrible des négociations de la COP21. Il laisse perplexe, car il n’est pas si réducteur: l’Inde renvoie aux pays occidentaux, premiers pollueurs et responsables historiques du désastre climatique en cours, la responsabilité d’en gérer les conséquences. La principale pomme de discorde concerne le «fonds vert»: l’Inde demande au «club» des riches de payer la note pour soutenir la transition énergétique des pays émergents. Et se montrera plus conciliante sur le dossier si les promesses de verser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 sont tenues. Mais un document officiel publié ce mois-ci en Inde va jusqu’à douter des montants mobilisés et les estime inférieurs de 50 milliards d’euros à ce qui est avancé sur le papier… Entre le Nord et le Sud, la confiance règne! Au-delà, le sous-continent ne veut pas que son développement soit l’otage des Américains, notamment, qui se sont enrichis en polluant et qui, maintenant, lui demandent de supporter une part coûteuse du fardeau climatique.

Dans le pays, l’aplomb des revendications du premier ministre, Narendra Modi, passe plutôt bien. Pour une partie de l’opinion, ses positions incarnent l’image d’une Inde forte. L’idée que l’Occident tenterait de la «restreindre» est souvent insinuée dans les médias. Une moyenne très modeste est mise en avant: 1,6 tonne d’équivalent CO2 émis par habitant et par an en Inde, contre 7,1 en Chine ou 16,4 aux Etats-Unis. Comme le précédent gouvernement, les officiels indiens reprennent en chœur l’éternel couplet: «L’Occident n’a pas de leçons à nous donner.»

Et l’Inde entend bien doubler, d’ici à 2020, sa production de charbon, qui assure 60% de la production électrique. Elle pose cette dépendance en une nécessité humaine. Chaque mois, une nouvelle mine s’ouvre. Les réserves en charbon sont abondantes et produisent une électricité peu chère. L’Inde n’a pas trouvé mieux à portée de main. Mais elle s’engage aussi vers des énergies non polluantes. Elle possède déjà un important parc éolien et favorise le recours au solaire. Le gouvernement promet désormais de convertir 40% de sa capacité de génération électrique vers le renouvelable d’ici à 2030. «Nous misons sur le solaire, l’éolien et, dans une moindre mesure, sur l’hydraulique et le nucléaire», a répété le ministre de l’Environnement, Prakash Javadekar.

«Une impression de mascarade»

Pour l’économiste Jean-Joseph Boillot, les mesures annoncées par l’Inde alimentent une «impression de mascarade» autour de la COP21. «A leur tour, les pays émergents sont rentrés dans l’hypocrisie collective en promettant de s’engager sur des réductions de CO2, estime-t-il. Le discours d’une croissance verte n’engage pas vers la réduction absolue des émissions de gaz à effet de serre. Tant qu’on ne taxera pas les émissions qui sont liées au carbone – et l’Inde s’y refuse –, on donne un avantage indu aux énergies carbones.»

Mais ce n’est pas tout. Le pays s’investit également dans un ambitieux projet de «puits de carbone» visant à reboiser des espaces. Pourtant, la plupart des experts n’y croient pas. «Alors que l’Inde parle de la responsabilité historique de l’Occident, on oublie de regarder l’histoire même de nos forêts. Notre modèle de reboisement ne peut être réduit à une arme contre le réchauffement climatique», souligne Kanchi Kohli, spécialiste des politiques forestières. Elle estime que le concept reste «très limité, car il ignore la complexité de la gestion des forêts».

Au-delà, la revendication du recours aux énergies fossiles peut sembler incompatible avec une culture qui a puisé sa spiritualité en célébrant les rivières sacrées ou en se recueillant dans l’Himalaya… Avec son idéal de détachement du matériel, l’Inde aurait oublié la nature. En urbanisant à marche forcée, en déboisant, en polluant, le pays n’a ménagé ni ses grands espaces naturels ni l’environnement urbain. Les terres sont dégradées, les eaux de surface souillées. Dans sa course au progrès, l’ancienne colonie britannique a fermé les yeux.

Aujourd’hui, elle souffre au premier chef du réchauffement climatique et de la pollution. Elle en cumule les effets destructeurs: sécheresses, moussons improbables, fonte des glaciers, cyclones. Dans les mégalopoles, l’opinion publique commence à se mobiliser pour lutter contre la pollution atmosphérique. D’après l’Organisation mondiale de la santé, treize des 20 villes les plus polluées du monde sont indiennes. Ces jours-ci, Delhi peine à s’entrevoir dans une brume fantomatique, sous le halo à l’agonie d’un soleil rouge. «Pourquoi le gouvernement ne voit-il pas que nous sommes dans une situation d’urgence?» s’indigne Nicky Dodd. Cette avocate indienne a organisé un Pique-nique avec des masques dans la capitale, afin de sensibiliser au scénario de science-fiction en train de devenir réalité.

Une conscience qui s’éveille

Les voix critiques sont de plus en plus nombreuses. Même au sein du gouvernement. Maneka Gandhi, ministre des Droits de la femme et de l’enfant, a créé un tollé sur les réseaux sociaux en lâchant: «Le fait que le pollueur historique soit l’Occident n’absout en rien l’Inde d’être aujourd’hui l’un des pollueurs principaux.» Pour Kanchi Kohli, «les conséquences environnementales et sociales vont être énormes, l’Inde tentant seulement d’atténuer les émissions et les impacts». Pourtant, dans une Inde aux mille innovations et à l’incroyable capacité d’adaptation, il existe aussi le rêve de trouver la voie d’un développement propre, avec le défi de faire baisser le coût des énergies renouvelables. Gouvernement et organisations savent mettre des projets en place jusqu’aux plus lointaines campagnes. L’Inde, qui a marqué les esprits en envoyant en orbite sur Mars une sonde pour un coût dérisoire, a le talent de pouvoir se réinventer.


Zoom. Réussite ou échec, la conférence de Paris devra entraîner dans son sillage une nouvelle gouvernance mondiale.

Philippe Le Bé

«Words, words, words.» Cette formule tirée de l’une des plus célèbres tragédies de William Shakespeare, Hamlet, collerait-elle à la peau de la COP21, comme d’ailleurs à celle des conférences sur le climat qui l’ont précédée? Des flots de paroles suivies de bien maigres effets. Invité à un débat organisé vendredi dernier par France 2, Jean-Marc Jancovici, qui a notamment collaboré à l’élaboration du Pacte écologique de la Fondation Nicolas Hulot, a légèrement plombé l’ambiance.

L’ingénieur et consultant a souligné que les pays ayant ratifié le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), entré en vigueur en 2005, affichent finalement le même bilan carbone que ceux qui ne l’ont pas entériné. Alors, à quoi bon? «Des six COP auxquelles j’ai participé, comme ministre de l’Environnement puis comme députée européenne, je suis toujours ressortie extrêmement frustrée, nous confie Corinne Lepage. J’avais le sentiment que l’on dépensait beaucoup de temps et d’argent pour pas grand-chose.»

Vers un gouvernement-monde?

Sans que l’on sache, au moment où ces lignes sont écrites, si la 21e conférence des parties sera un échec ou un succès avec des mesures vraiment contraignantes, son ancrage onusien suscite les plus grands doutes. Comme si tout ce qui émanait des Nations Unies – «ce grand machin que tout le monde tripote», comme disait Charles de Gaulle – était définitivement à ranger au rayon des accessoires aussi inutiles que coûteux. Que les pays souverains tiennent ou non leurs engagements, l’ONU est impuissante. Elle est restée les bras ballants quand, en décembre 2011, le Canada a été le premier pays à se retirer du protocole de Kyoto. Dès lors, que faire? Contourner le «machin» ou, au contraire, le renforcer?

Aux yeux du biologiste Jean-Marie Pelt, président de l’Institut européen d’écologie, «les temps sont mûrs pour que les Etats acceptent un transfert à l’ONU de leur souveraineté sur un domaine aussi vital que l’écologie». Lequel comprend le climat, les ressources naturelles et la lutte contre les pollutions. Et l’homme de science de plaider en faveur d’un «droit d’ingérence écologique». L’ONU pourrait par exemple imposer à la Chine, dont les villes étouffent sous le smog, un calendrier contraignant de mesures à prendre pour accélérer le remplacement du charbon par des énergies renouvelables. Utopique? «Sans doute, mais nous devons aller dans cette direction», insiste le biologiste.

Voilà qui remet au goût du jour l’idée d’un gouvernement-monde cher à Jacques Attali. L’ancien conseiller spécial auprès de François Mitterrand qui, au début de ce siècle, rêvait d’une fusion de G7 et du Conseil de sécurité des Nations Unies, préfère aujourd’hui se montrer plus réaliste en nous parlant «d’Etat de droit démocratique planétaire», en dehors de l’ONU «paralysée et qui le restera». Construit à partir d’accords gouvernementaux, cet «Etat de droit se développerait à l’image de la Suisse, créée par la volonté des cantons de se rassembler et de former une Confédération».

Corinne Lepage va dans le même sens. Il ne s’agirait pas, selon l’ancienne ministre, de supprimer les COP mais de créer des «corps intermédiaires, de grandes coalitions géographiques et thématiques gérant des dossiers concrets, ce qui nous ferait gagner du temps». Des groupes industriels plancheraient, par exemple, sur des mesures précises de réduction des GES. Lesquelles serviraient ensuite de référence à une réglementation plus large. «Il faut agir de bas en haut.» La remarque qui va sans dire dans l’esprit suisse et anglo-saxon va sans doute mieux en la disant dans l’esprit français!

Le temps de la résistance

En attendant un hypothétique gouvernement-monde avec ou sans l’ONU, l’accélération des événements climatiques dévastateurs, présents et à venir, pousse d’ores et déjà les corps intermédiaires à agir. A l’occasion de la COP21, plus de 700 maires se sont engagés à ce que leurs villes atteignent 100% d’énergies renouvelables d’ici à 2050 et réduisent de 3,7 gigatonnes les émissions annuelles de GES. Des promesses, certes, mais à une échelle plus maîtrisable que celle des Etats.

Par ailleurs, comme le suggère la fougueuse journaliste canadienne Naomi Klein dans son ouvrage au titre prometteur Tout peut changer (Actes Sud), un mouvement de résistance commence à prendre forme au sein de la population. Il se manifeste notamment par «les campagnes de désinvestissement du secteur des combustibles fossiles, l’adoption de règlements locaux interdisant les activités d’extraction à haut risque, les poursuites judiciaires audacieuses intentées par des groupes autochtones et d’autres défenseurs de l’environnement».

En d’autres termes, ce que les gouvernants auront négligé pourrait bien être pris à bras-le-corps par la base. Car, si «la banquise fond plus rapidement que ne le prévoyaient les modèles informatiques, la résistance menace elle aussi de faire sauter le couvercle de la marmite».

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