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Jaroslaw Kaczynski: dérive autoritaire en Pologne

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Jeudi, 17 Décembre, 2015 - 05:59

Décodage. Le chef du parti national-conservateur PiS a l’intention de transformer radicalement l’Etat et la société. Le nouveau président polonais et la nouvelle première ministre ne servent que de faire-valoir pour faire passer ses idées.

Jan Puhl

Il y a neuf ans, Jaroslaw et son frère jumeau Lech Kaczynski étaient respectivement premier ministre et président de la Pologne. Un chef d’Etat et un chef de gouvernement pratiquement identiques, c’était un attelage unique dans le monde! Aujourd’hui, Jaroslaw Kaczynski a retrouvé le pouvoir, mais sans son jumeau et sans occuper la moindre charge au sein de l’Etat. Et il est plus puissant que jamais.

En mai, le candidat de son parti (le PiS, «Droit et Justice», national-conservateur), Andrzej Duda, remportait l’élection à la présidence. Puis, le 25 octobre, le PiS triomphait aux élections parlementaires. Il détient désormais la majorité absolue au Sejm, la Diète polonaise, et a nommé Beata Szydlo au poste de premier ministre. Mais ces deux-là ne sont que des marionnettes du fondateur du parti, Jaroslaw Kaczynski.

Candidate tête de liste, Beata Szydlo a certes remporté la bataille électorale, mais c’est Kaczynski qui a composé son gouvernement… pendant qu’elle était en vacances. «Beata Szydlo a promis durant la campagne d’écouter les voix des Polonais, écrit le publiciste Aleksander Hall. Mais la vérité est qu’elle n’écoute jamais qu’une seule voix, celle de Jaroslaw Kaczynski.» Andrzej Duda ne serait pas davantage indépendant. Il passe pour l’auxiliaire zélé de la vision droitière de Kaczynski.

opposés à la démocratie occidentale

La nouvelle configuration du pouvoir en Pologne a des répercussions sur toute l’Union européenne. Après la Hongrie (10 millions d’habitants), les presque 40 millions de citoyens polonais sont désormais dirigés par des politiciens farouchement opposés à la démocratie libérale de type occidental. Kaczynski entend réformer l’ordre étatique polonais sur le modèle hongrois. Et il recherche l’appui du premier ministre hongrois Viktor Orbán et celui d’autres dirigeants de l’Est dans la question des réfugiés.

Alors même qu’au nom de la solidarité internationale l’Europe de l’Est a bénéficié des milliards de contributions de Bruxelles, des Etats européens comme la Hongrie et la Pologne se calfeutrent dans des positions nationales-égoïstes, au moment où il s’agit de répondre aux besoins de plus d’un million de réfugiés arrivés en Europe rien que cette année. Pour Kaczynski, les réfugiés musulmans installeraient incontinent dans sa patrie catholique des «zones de charia». Il a également exprimé la crainte que les réfugiés n’apportent la dysenterie, le choléra et «toutes sortes de parasites et de bactéries qui n’agissent pas sur les organismes de ces gens-là».

Contrôler et éduquer

Peu après le changement de gouvernement, il y a un mois, cet homme sans fonction officielle s’est mis au travail: il a d’abord changé les dirigeants des quatre services secrets et soumis les nouvellement nommés à un vieil ami à lui, Mariusz Kaminski. Puis il a incité sa majorité parlementaire à remplacer cinq des quinze juges constitutionnels par des personnes à son goût. Dans l’opération, le président Duda a été aux petits soins.

Kaczynski ne croit pas à une présence discrète de l’Etat: l’Etat de Kaczynski contrôle et éduque, il joue un rôle de politique identitaire. Il n’est pas là pour permettre à ses concitoyens autant de liberté que possible dans leur style de vie. L’analogie avec la Hongrie est évidente: Viktor Orbán tient en laisse la Cour suprême et garde les médias sous sa férule. C’est la prochaine étape de Kaczynski et de son PiS: remplacer les dirigeants des télévisions et radios publiques par des gens dévoués.

Mais Kaczynski aura de la peine à aller aussi loin qu’Orbán. Il ne peut modifier la Constitution, à la différence de son homologue idéologique hongrois. Lorsque Orbán est arrivé au pouvoir, l’opposition hongroise était discréditée par des affaires de corruption. En revanche, Kaczynski a affaire à une société sûre d’elle, de plus en plus ouverte. Un récent sondage indique que 55% des Polonais considèrent les dernières manœuvres du PiS comme un danger pour la démocratie.

Kaczynski doit son énorme pouvoir à la grande considération dont il jouit parmi les adhérents de son parti. Il a fondé Droit et Justice en 2001 et, depuis, il guide le parti sans partage. Il établit personnellement les listes électorales, tant et si bien que ni Duda ni Szydlo n’ont été élus par un congrès. Kaczynski est l’éminence grise du parti, son idéologue en chef et son stratège. Le fait qu’il soit resté en politique après la mort de son frère jumeau bien-aimé lui a valu une réputation d’homme de fer, inflexible, indestructible.

Admirateur d’israël

«Si l’on demandait à Kaczynski quel Etat est son modèle préféré, il désignerait à coup sûr Israël», dit un homme qui le connaît depuis des décennies. Il admire la puissance de l’armée israélienne et le fait qu’elle renonce à être politiquement correcte. Israël défend ses intérêts, même contre le monde entier. En plus, la société israélienne tient ensemble par l’expérience collective de l’Holocauste. Selon Kaczynski, l’histoire de la Pologne repose sur une narration semblable puisque, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a commis des crimes atroces contre les peuples d’Europe de l’Est.

Le succès de Kaczynski se fonde sur le fait qu’aux yeux de la droite sa biographie épouse parfaitement le discours nationaliste polonais: en 1944, dans les décombres de Varsovie, son père résistait à l’occupant nazi. Plus tard, dans les années 80, les jumeaux faisaient partie de Solidarnosc, le syndicat qui a signé la fin du régime communiste. En 2010, son frère Lech a péri dans un accident d’avion à Smolensk, en Russie. Une mort en héros pour la droite, puisqu’il se rendait à une commémoration des victimes du massacre de Katyn, au cours duquel les services secrets soviétiques avaient, durant la Seconde Guerre mondiale, exécuté 22 000 officiers, intellectuels et prêtres polonais.

Le culte national-pathétique de son frère assure à Jaroslaw Kaczynski les voix de la droite. Au-delà du pathos, il gère toutefois habilement le politique, avec pragmatisme. En Beata Szydlo et Andrzej Duda, il a découvert deux nouvelles effigies de son parti qui dispensent son discours radical. C’est ainsi qu’il a rendu le PiS fréquentable, même pour les jeunes. Conformément à son idéologie, Kaczynski a déclaré un jour que l’Etat polonais devait être modernisé, mais pas l’âme polonaise. Message à l’électeur: il ne faut pas changer.

Plus que tout autre pays de l’Union, la Pologne a expérimenté la croissance: 45% ces huit dernières années. Une modernisation à bride abattue a élevé le niveau de vie de beaucoup de Polonais mais elle crée également de l’insécurité; la classe moyenne redoute la concurrence des multinationales occidentales. La perte de postes de travail est une menace permanente depuis que, dans les années 90, la protection contre le licenciement a été supprimée conformément aux préceptes néolibéraux.

Le PiS promet de s’opposer à la globalisation par la solidarité. Ses promesses sociales électorales coûteraient 300 milliards de zlotys (plus de 74 milliards de francs). Le deuxième message du PiS est: nous ferons front à la tendance occidentale; il n’y aura jamais en Pologne de société multiculturelle comme en France ou en Allemagne.

L'europe, quand ça l’arrange

A la différence de la droite en Grande-Bretagne et en France, Kaczynski ne s’est jamais opposé à l’Europe. Il a besoin des fonds européens, qui atteindront 106 milliards d’euros en 2020, pour moderniser l’est du pays. Ce qui ne l’empêche pas de rejeter les exigences de Bruxelles quant aux réfugiés. Il compte ses alliés au sein du groupe de Visegrad: la Hongrie et la République tchèque, qui refusent les quotas de réfugiés européens, et la Slovaquie, qui a entamé une action devant la Cour européenne. Kaczynski est convaincu qu’Angela Merkel et les Allemands, avec leur culture de l’accueil, portent la responsabilité de la crise des migrants.

Ces dernières années, la Pologne, naguère outsider attardé, est devenue un acteur important de l’UE. Cela fut possible en étroite association avec l’Allemagne – une alliance insupportable aux yeux du nationaliste Kaczynski. Il prendra sûrement ses distances avec Berlin. Reste qu’il est improbable qu’il retrouve les accents belliqueux d’il y a neuf ans, quand il reprochait aux Allemands de vouloir éluder leur responsabilité dans la Seconde Guerre mondiale.

Dans le débat sur l’avenir de l’UE, il pourrait devenir sur bien des points un allié du premier ministre britannique David Cameron. Car il voudrait tant un rôle analogue à celui de la Grande-Bretagne: dans l’UE et en même temps autonome, avec une devise propre et une intégration modérée. Le chef suprême du parti Droit et Justice a déjà liquidé le poste de préposé à l’introduction de l’euro.

© DER SPIEGEL traduction et adaptation Gian Pozzy


Cette Pologne qui doit sa prospérité à l’Union européenne

La Pologne est entrée dans l’Union européenne le 1er mai 2004, en même temps que neuf autres Etats (Chypre, Malte, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Estonie, Lituanie, Lettonie et Hongrie), créant ainsi l’UE 25. Et elle est membre de l’Espace Schengen depuis le 21 décembre 2007.

Peuplée de 39 millions d’habitants, la Pologne touchera 82,5 milliards d’euros du Fonds de cohésion européen pour les années 2014 à 2020, des montants attribués en priorité aux domaines de l’infrastructure, des IT, de la formation, de la recherche et du développement. Trente et un milliards d’euros doivent servir à l’investissement dans les régions de l’est accusant un retard structurel. Créé en 1994, le Fonds de cohésion est un instrument de politique régionale de l’UE destiné aux pays membres dont le PIB par habitant est inférieur à 90% de la moyenne européenne (actuellement 16 pays). Grâce au soutien européen, la Pologne est le seul pays de l’Union à avoir été en croissance économique permanente depuis vingt-cinq ans. Parmi les Polonais qui continuent cependant de grogner contre Bruxelles figurent les agriculteurs, pour qui les réglementations européennes sont trop formatées, de sorte que les produits locaux polonais y perdent leur identité. Cela dit, ces agriculteurs qui roulaient en charrette il y a vingt ans possèdent aujourd’hui de rutilants tracteurs.

A la fin de 2013, les investissements directs de la Suisse en Pologne représentaient 6,9 milliards de francs. Des groupes d’édition suisses se sont massivement investis en Pologne, à l’instar de la joint-venture Ringier Axel Springer (éditeur de L’Hebdo) qui y possède des journaux, des magazines et notamment le site Onet, portail de contenus leader dans le pays.

Malgré une modernisation à cadence élevée du pays grâce, notamment, au Fonds de cohésion, un sondage publié par Work Service le 15 avril 2015 indique qu’un Polonais actif sur cinq se dit prêt à quitter son pays dans les douze mois pour trouver un meilleur emploi (32% chez les 18 à 24 ans). Près de la moitié de ces candidats à l’émigration ne travaillent pas, mais 25% ont un job à plein temps. Le principal motif d’émigration reste en effet la recherche d’un revenu supérieur, les salaires dans ce pays étant parmi les moins élevés de l’OCDE. Environ 2 millions de Polonais ont rejoint la Grande-Bretagne et l’Irlande. Dans le Royaume-Uni, ils forment désormais la deuxième communauté immigrée après les Irlandais et les Indiens.

La Pologne fait partie de ce que l’on surnomme par dérision l’Helvétistan, autrement dit le groupe de pays représentés par la Suisse au conseil d’administration du FMI: outre la Suisse, il est formé de la Pologne, de la Serbie, du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Kirghizistan. Ce groupe hétérogène représente 2,8% des voix du FMI. Un protocole signé en 2012 prévoit que la Suisse partage son siège au sein du conseil d’administration avec la Pologne, tout en conservant la direction du groupe de vote. Gian Pozzy

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Janek Skarzynski / AFP
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