Jack Shafer
La campagne la plus embarrassante et la plus vulgaire de tous les temps nous enseigne que, malgré ces dérapages, les Américains sont un peuple bien.
Bien que Thanksgiving soit déjà loin, j’espère qu’il n’est pas trop tard pour dire toute ma gratitude pour la campagne de Donald Trump à la présidence. Ses récentes sornettes exigeant d’interdire aux musulmans d’entrer aux Etats-Unis ont réveillé les humeurs animales qui sommeillent chez certains frères et sœurs nativistes (courant nord-américain et australien qui s’oppose à toute nouvelle immigration, ndlr). Oui, c’est moche. Mais ce qui est bien, c’est que sa proposition réveille un consensus américain sur les valeurs de la tolérance religieuse et de la liberté d’expression. Elle rassemble les opinions par-delà les divisions politiques.
Pour engueuler Trump, on a vu des conservateurs tels que le sénateur John McCain, le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, et Jeb Bush, frère de, qui a tweeté que Trump était détraqué. Dans un coude-à-coude au moins métaphorique avec les conservateurs, on a vu Hillary Clinton qualifier la proposition de Trump de «répréhensible, chargée de préjugés et de nature à créer la division». Le gouverneur démocrate du Maryland, Martin O’Malley, a taxé Trump de «démagogue fasciste». Et un porte-parole de la Maison Blanche a assuré que le langage de Trump le disqualifiait dans ses aspirations à la présidence. Simultanément, des commentateurs l’attaquaient de droite et de gauche, le comparant notamment à Mussolini.
Par son intolérance, Donald Trump a réussi l’impossible: réunir les deux courants de pensée politique les plus répandus et nous a rappelé que, malgré tous leurs errements, les Américains forment un peuple plutôt bien qui, lorsqu’il le faut, est capable d’étendre son respect et sa courtoisie à des cultures différentes de la nôtre. Sans les provocations de Trump à l’endroit des musulmans, on verrait mal le candidat Paul Ryan se planter devant les caméras pour se désolidariser, lui, de son parti et le pays, de l’hystérie «trumpienne». «Etre conservateur, ce n’est pas ça», déclara-t‑il avec emphase.
«J’ai un tempérament de rassembleur», assurait Trump en septembre. Il parlait de sa capacité à remplir les salles de supporters enthousiastes, bien sûr. Mais il apparaît qu’il a un talent encore plus marqué pour réunir à peu près tous les autres, de gauche et de droite, contre lui. Au bout du compte, les supporters enthousiastes de Trump ne sont pas tant que ça, en termes relatifs: dans les sondages réalisés parmi les électeurs républicains et apparentés, il oscille entre 25 et 35%, ce qui, selon les calculs du site d’information interactif FiveThirtyEight, revient à 6 à 8% de l’ensemble de l’électorat, soit à peu près la même proportion de gens qui affirment que l’alunissage d’Apollo 11 était un truquage.
Un cadeau aux répulicains
Au début de l’été, quand Trump a lancé sa candidature et s’est mis à grimper dans les sondages, ils ont été nombreux à penser qu’il était un agent double infiltré par les démocrates – Hillary et Bill Clinton étaient présents à son dernier mariage – pour saboter les républicains par une campagne présidentielle sous forme de parodie de réunion du Tea Party (le chapelier fou d’Alice au pays des merveilles, en quelque sorte). Comme le relevait John Fund dans National Review, que faire d’un «républicain» qui suspecte des liens entre l’autisme et l’industrie pharmaceutique, qui met toujours en doute le fait que Barack Obama est bien né aux Etats-Unis, qui défend le capitalisme des petits copains et qui verrait bien Oprah Winfrey comme colistière? Je n’ai jamais cru à la théorie selon laquelle Trump serait un agent infiltré pour détruire le Parti républicain mais, maintenant qu’il est devenu complètement timbré, je commence à croire qu’il fait un cadeau aux républicains: il fait en sorte que, quel que soit le candidat qui sera désigné par la Convention nationale républicaine, ce dernier paraîtra normal, sain d’esprit et éligible en comparaison avec Donald Trump.
La théorie de l’Overton Window, du nom de l’économiste, considère que seule une étroite catégorie d’arguments peut être prise en compte dans l’arène politique en un temps donné, de sorte que les politiciens évitent de débattre d’idées qui pourraient être vues comme «impensables» ou «radicales» par le public. Ils privilégient donc des notions «populaires», «sensées» et «acceptables». Il y a quelque temps, Donald Trump a testé l’Overton Window en proposant la déportation de masse des 11 millions d’immigrés sans papiers, ce qu’à peu près tout le monde considère comme techniquement impossible et même impensable. Et le voilà qui propose l’interdiction d’entrée aux musulmans, ce qui est non moins impensable et peut-être même anticonstitutionnel. Pour alimenter l’intérêt pour sa campagne, Trump devra imaginer une autre proposition impensable.
La réprobation écrasante, à gauche comme à droite, face à la démagogie «trumpienne» nous ramène à notre respect élémentaire des bonnes manières. Dieu me garde de suggérer que nous devrions redouter ou dénoncer toute idée impensable ou que nous devrions tous nous unir pour rejeter tout ce qui nous ferait sortir de notre zone de confort habituelle. Le mariage gay et la légalisation de la marijuana, par exemple, ont longtemps été considérés comme impensables, puis admis au terme d’un long débat substantiel. Mais notre réponse rationnelle au dernier coup de pub vulgaire de Donald Trump prouve que, au bout du compte, nous maîtrisons nos humeurs animales. Et pour cela, je ne peux que dire: «Merci, Trump!»
© Politico
Traduction et adaptation Gian Pozzy