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«Un coup fatal pour beaucoup d’entreprises»

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Jeudi, 7 Janvier, 2016 - 05:55

Interview. Hans-Ulrich Müller, président du Swiss Venture Club voit dans le franc fort un danger pour la place industrielle helvétique.

Il y a un an, la Banque nationale suisse a supprimé le taux plancher du franc face à l’euro. Comment l’économie l’a-t-elle digéré?

Les entrepreneurs se battent. Tout le monde dit que c’est dur, personne n’y voit une opportunité. Janvier, février et mars ont été terribles, car nul ne voyait ce qui allait se passer. On avançait à l’aveuglette. L’abandon brutal du cours de change fixe a produit le même effet que si l’ensemble de l’économie suisse avait augmenté d’un jour à l’autre de 15% sa liste de prix dans la zone euro. La question que se posent désormais bon nombre d’entreprises est: vaut-il encore la peine de produire en Suisse?

Et quelle est la réponse?

Il y en a plusieurs, selon la situation des entreprises. Mais malheureusement j’entends parler de plus en plus souvent de dirigeants prêts à abandonner, en partie ou totalement, la production en Suisse. La situation est compliquée. Selon le dernier sondage de Swissmem, un tiers des entreprises s’attendent à des pertes. Un tiers, c’est énorme!

Et vous, croyez-vous encore en la place industrielle suisse?

Oui, je veux produire ici. Mais cela n’ira pas sans adaptations. Chez FL Metalltechnik, par exemple, nous avons dû geler les salaires et réduire un peu le personnel, négocier les contrats avec les sous-traitants, repenser certains investissements déjà décidés et parfois les ajourner. C’est ainsi que nous avons renoncé pour l’instant à construire une nouvelle usine.

La désindustrialisation est-elle à la porte?

La désindustrialisation est comme un nuage d’orage dans le ciel. Ici et là, il pleut déjà, quand parfois il ne tombe pas des cordes. On ne sait pas si l’orage va s’étendre à toute la Suisse. Mais ce qui est certain, c’est qu’il faut tout faire pour chasser ces perturbations du ciel. Si le franc reste fort, la place industrielle devient tout simplement trop chère. ABB, Rieter et SIA Abrasives ont déjà annoncé d’importants plans de réduction de leurs activités, tandis que d’autres y songent. Et cela se répercute bien sûr sur les sous-traitants. Plus la situation actuelle persistera, plus le danger augmentera sur le processus de réduction des effectifs et de délocalisation.

La Suisse deviendrait un pays de services. Est-ce si grave?

Voulons-nous vraiment devenir un peuple d’avocats, de banquiers, de fonctionnaires et d’hôteliers? La Suisse occupe une position éminente dans l’industrie mondiale, notamment dans l’horlogerie, la micromécanique, les technologies médicales, la biotechnologie, la pharma et l’alimentation. Nous ne devrions pas négliger ces atouts. Notre place industrielle a aussi aisément traversé la crise financière parce qu’elle est hautement diversifiée. En se contentant du secteur des services, la Suisse détruirait cette diversité. Ce ne serait pas seulement grave, ce serait fatal. Sans compter qu’une économie forte dépend en bonne partie de l’innovation.

L’innovation demeurerait.

Non. L’innovation que nous connaissons aujourd’hui ne peut exister sans une industrie forte. Au bout du compte, il faut un produit, quelque chose doit être fabriqué. Du coup, une désindustrialisation aurait pour conséquence à long terme que l’ensemble de la chaîne de production de valeur serait délocalisé: pas seulement la production mais aussi la recherche et le développement. En plus, un nombre énorme d’emplois dans les services dépendent directement de la place industrielle.

Des experts assurent que cette cure d’endurcissement fait du bien à l’industrie. La pression rend les entreprises encore meilleures, plus compétitives.

C’est du cynisme. Mais ma réponse ne le sera pas: la dynamique internationale est une cure d’endurcissement permanente. Les entreprises industrielles et d’exportation sont tout le temps mises sous la pression internationale des prix, de l’innovation et elles entendent continuer à relever ce défi. Depuis l’appréciation du franc il y a près d’un an, on ne saurait parler de cure d’endurcissement. Avant la crise financière, un euro coûtait à peu près 1,60 franc, aujourd’hui ce n’est même pas 1,10 franc. C’est là que se situe le danger de voir l’industrie prendre un bouillon.

Vos entreprises risquent-elles aussi de prendre un bouillon?

FL Metalltechnik survivra sûrement au choc du franc. Pour la fabrique d’emballages Mopac, à Wasen, ce sera plus dur. La moitié de son chiffre d’affaires provient de l’UE. Nous autres investisseurs sommes intervenus pour sauver des postes de travail au sein de cette entreprise. Nous avons apporté beaucoup d’argent, acheté de nouvelles machines. Malgré tout, nous ne sommes pas parvenus à remettre l’entreprise sur des bases solides, de manière à ce qu’elle ait assez de réserves pour surmonter le choc. Elle est aujourd’hui en sursis concordataire. Nous avons dû licencier 33 personnes sur 220. Nous continuons de lutter, mais ce n’est pas simple.

Les entreprises souffrent de la cherté du franc. Une devise forte n’est-elle pas, cependant, bonne pour le pays?

Fondamentalement, oui. Mais toute chose a ses bons et ses mauvais côtés, tout est question de mesure. Ces quarante dernières années, le franc s’est apprécié en moyenne de 0,5% par an. La devise forte a fait que la productivité n’a cessé d’augmenter et qu’elle s’est imposée dans des industries et des services à haute valeur ajoutée. Mais une appréciation brutale de 20%, qui ne serait pas corrigée rapidement, constitue le coup fatal pour beaucoup d’entreprises.

Que devrait entreprendre la Banque nationale?

Je ne suis pas banquier d’émission. Néanmoins, je peux dire que l’appréciation du 15 janvier 2015 n’est pas une bonne chose pour l’économie. Et je me demande, en tant qu’entrepreneur, s’il n’y aurait pas eu un meilleur moyen, car une devise est le reflet de la force économique d’un pays, donc de son produit social brut. Comme notre économie est forte, la devise est alors forte. Pourtant, avec la suppression du taux plancher, notre économie s’est affaiblie. Et avec les taux d’intérêt négatifs, nous risquons des problèmes durables chez les investisseurs institutionnels. Pour les caisses de pension et les institutions sociales, c’est jouer avec le feu. Les générations futures devront payer la facture.

Que proposez-vous?

Si le rétablissement d’un taux plancher ou le raccordement à un panier de devises n’est pas une option, il ne reste plus guère à la Banque nationale que de continuer à intervenir sur le marché des devises, comme elle le fait heureusement aujourd’hui déjà. Autrement dit, elle achète des devises étrangères contre du franc. Et comme le franc est surévalué, la BNS obtient des devises étrangères à un prix de discount. Elle obtient donc un actif de valeur qui peut être investi dans des actifs de valeur d’autres pays. Evidemment, la BNS endosse ainsi un risque de devises sur un volume historiquement très important de réserves de devises étrangères. Mais j’estime le risque de dévaluation de cet investissement plus faible que les répercussions graves que nous devrions endosser si nous désindustrialisions notre place économique.

Un fonds souverain serait-il une bonne idée?

Dans un fonds souverain, la gestion de fortune serait assumée par une institution indépendante de la BNS. C’est sûrement une approche intéressante, comme le montrent les exemples de Singapour et de la Norvège. Il est temps d’évaluer toutes les options, étant entendu que c’est à la BNS de trouver la voie royale. L’essentiel est que le dialogue s’établisse avec les PME. C’est pourquoi le Swiss Venture Club a organisé un entretien en février 2016 avec le président de la BNS, Thomas Jordan, et son ex-directeur de thèse Ernst Baltensperger.

Propos recueillis par Florence Vuichard

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Martin Ruetschi KEYSTONE
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