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Hitler: l'Allemagne face à son démon

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Jeudi, 14 Janvier, 2016 - 06:00

Texte de Pascale Hugues

Dossier. La triomphale sortie d’un film satirique, tiré d’un best-seller, et la très discutée réédition de «Mein Kampf» démontrent que Hitler interpelle toujours autant en Allemagne. Et reste un sujet de débat plus actuel que jamais.

Un succès foudroyant et totalement inattendu: Il est de retour a franchi la barre des 2,4 millions de spectateurs et caracolé des semaines en tête du hit-parade des films à l’affiche dans les cinémas allemands, jusqu’à la sortie de Spectre. Seul James Bond a donc réussi à détrôner Hitler.

Ce sont les jeunes, entre 15 et 25 ans, qui accourent dans les salles pour voir le Führer revenu dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Le scénario du film est tiré du livre du même nom, qui fait lui aussi un tabac. Paru en septembre 2012, ce bouquin s’est imposé pendant vingt semaines comme best-seller, avant d’occuper la quatrième place des meilleures ventes. Il s’est ainsi déjà écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires en Allemagne. Et il a été traduit dans 41 pays. Son prix: 19,33 euros. Un gag commercial qui fait allusion à l’année 1933, pendant laquelle Hitler prit le pouvoir.

Cette fiction satirique, écrite à la première personne dans le style militant de Mein Kampf par le journaliste Timur Vermes, a encore connu un triomphe lors de la parution de sa version audio. Une version enregistrée avec la voix de l’un des grands acteurs allemands, Christoph Maria Herbst, qui interprète dans le film un producteur de télévision dévoré par l’ambition et l’envie.

L’idée de base n’est pas nouvelle: un personnage historique ressuscité qui s’égare dans la société d’aujourd’hui. Hitler en uniforme déchiré se réveille ainsi un matin, septante ans après la guerre, sur une pelouse de Mitte, quartier branché du nouveau Berlin, à quelques mètres de l’endroit où se trouvait le bunker dans lequel il s’est suicidé le 30 avril 1945. Il demande alors à un gosse revêtu d’un maillot de foot à l’effigie de Ronaldo: «Garçon de la Jeunesse hitlérienne, peux-tu m’indiquer le chemin?» Et Hitler d’errer à travers la ville, totalement déconcerté. Il ne reconnaît plus la capitale du IIIe Reich. Il rend visite au teinturier turc Yilmaz, se retrouve la star d’une chaîne de télévision privée. Il découvre l’internet et YouTube, ces fabuleux outils de propagande. Tout le monde le prend pour un comédien. Et il fait fureur.

Avec son réalisateur, il parcourt du nord au sud et d’est en ouest cette Allemagne gouvernée par «une matrone qui a le charme d’un saule pleureur» (Angela Merkel) et par un «pudding gélatineux» (Sigmar Gabriel, le coéquipier social-démocrate de la chancelière au sein du gouvernement de coalition). Sous le mode de la caméra invisible, Hitler rencontre son Volk, son peuple, et le spectateur comprend que, finalement, les Allemands n’ont pas vraiment changé: racisme, xénophobie, peur de l’avenir, étroitesse d’esprit. Le portrait de l’Allemagne contemporaine se révèle plutôt déprimant.

Le premier film à oser représenter Hitler en chair et en os, à en brosser un portrait psychologique, fut La chute. Réalisé par Oliver Hirschbiegel, il est sorti sur les écrans en 2004 avec l’acteur suisse Bruno Ganz dans le rôle de Hitler. Ce long métrage, nommé en 2005 aux oscars dans la catégorie du meilleur film étranger, raconte les derniers jours du Führer dans son bunker, son aveuglement, son incapacité à admettre que la guerre est perdue. Bruno Ganz a longtemps hésité avant d’accepter ce rôle. «On ne peut pas jouer cela, c’est tellement monstrueux», expliquait-il dans une interview.

Un Hitler «trop humain»

Pour faire contrepoids à cette fresque historique qui avait soulevé une énorme controverse en Allemagne – on reprochait à Hirschbiegel d’avoir montré un Hitler «trop humain» –, Dani Levy, réalisateur suisse et juif qui vit à Berlin, est allé plus loin. Dans Mon Führer: la vraie véritable histoire d’Adolf Hitler, il montre un Hitler déprimé, drogué, impuissant, qui fait pipi au lit… Dani Levy voulait réveiller les Allemands bercés par le flot trop confortable des documentaires sur le IIIe Reich qui leur est sans cesse présenté, les provoquer, les secouer. Le scénario est simple: l’Allemagne à bout de forces attend la défaite dans Berlin en ruine. Hitler sombre dans la dépression. Pour remonter le moral des Allemands, Goebbels a une idée: il fait chercher le professeur d’art dramatique juif Josef Israel Grünbaum, qui croupit dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Le professeur Grünbaum est alors chargé de donner des cours de diction à Hitler et de le préparer au grand discours qu’il tiendra devant les foules pour le 1er janvier 1945. «Vous ranimerez en lui le feu de 1939!» ordonne Goebbels.

Une comédie sur Hitler… Charlie Chaplin avait déjà osé. Les critiques ravageuses pleuvent dans la presse allemande sur le film de Dani Levy. Quant à Helge Schneider, le cabarettiste qui a accepté la tâche périlleuse d’interpréter Hitler, il s’empresse de prendre ses distances. «Ce Hitler ne me fait pas rire. Si j’avais su ce que ce film allait devenir au montage, je n’aurais peut-être pas accepté ce rôle», s’écrie-t-il.

Réaliser une œuvre burlesque sur Hitler n’est pas sans risque. Si, il y a dix ans encore, il était très mal vu de faire du IIIe Reich un sujet de comédie, le succès d’Il est de retour prouve que pour les jeunes Allemands, plus sûrs d’eux que leurs parents, le tabou est définitivement transgressé. 

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Obs / Constantin Film / Anne Wilk
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