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La brève vie de l’antimusée de Tinguely

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Jeudi, 21 Janvier, 2016 - 05:45

Un ouvrage raconte le destin de l’usine de La Verrerie transformée en espace d’exposition par l’artiste, avant d’être vidée de sa substance puis oubliée.

Il ne reste rien du grand projet crépusculaire de Jean Tinguely à La Verrerie, dans la Veveyse fribourgeoise. Sauf un livre paru récemment, bel ouvrage qui redonne la mesure de cette folle mais courte aventure de l’art.

L’enseignant et scénographe Olivier Suter raconte par le détail le destin de ce qu’il considère être «la synthèse et le sommet» de la pensée du sculpteur. En 1988, Jean Tinguely acquiert une usine désaffectée sur la commune de La Verrerie. Elle doit servir d’atelier, surtout d’antimusée, comme une sorte d’œuvre d’art totale qui contesterait avec malice les institutions officielles. «Pour les voleurs, il y a les prisons; pour les artistes, il y a les musées», souriait le sculpteur. Le visiteur doit s’y salir les chaussures, passer sous une guillotine, distinguer à grand-peine dans le froid et l’obscurité les machineries macabres du maître du mouvement, fasciné par les danses de la mort moyenâgeuses de Bâle, lui-même en sursis après des problèmes de santé à répétition.

L’entrée est loin d’être libre. Le curieux doit montrer patte blanche, quitte à être sèchement refoulé. Les enfants, en revanche, ces jeunes pousses pas encore contaminées par «l’histoire dollars» (Tinguley dixit), sont les bienvenus. Il y a là, dans cet invraisemblable capharnaüm en constant aménagement, une bonne centaine de sculptures, parfois gigantesques, comme la Grande Méta Maxi Maxi Utopia. Un avion à l’envers, une pointeuse, les automobiles de Tinguely.

Dont une Renault R5 métamorphosée en Faucheuse, tous crânes dehors, nommée «Safari de la mort moscovite». Les œuvres des proches (Niki de Saint Phalle, Yves Klein, Bernhard Luginbühl, Daniel Spoerri, Ben...) ponctuent également les 3000 m2 de l’usine, obscurcie par des tôles placées sur les fenêtres. A l’entrée, en majestés noires, les Veuves d’Eva Aeppli.

L’antimusée s’appelle le Torpedo Institut: un hommage à Pontus Hultén, ami proche de Tinguely et premier directeur du Moderna Museet, à Stockholm, musée aménagé dans une ancienne fabrique de torpilles.

Par voie testamentaire, Jean Tinguely avait affirmé sa volonté de voir son antimusée lui survivre, en l’état. Las: Tinguely disparu, en 1991, l’usine de la mort sublimée a elle-même passé de vie à trépas. Des proches de l’artiste voulaient la maintenir ainsi, d’autres considéraient que la messe était dite après le décès de Tinguely. Fribourg n’avait pas, au contraire de Bâle, les dizaines de millions nécessaires à la création et à l’entretien d’une institution permanente, fragile de surcroît.

Légataire universelle du sculpteur fribourgeois, Niki de Saint Phalle a été ainsi contrainte de trancher le nœud gordien. Elle a confié la moitié des machines du Torpedo Institut au Musée Tinguly de Bâle, ouvert en 1996. Comme elle donnera plus tard des œuvres de Tinguely à l’Espace qui porte aussi son nom dans le centre de Fribourg.

Tombé dans un trou noir de la biographie du plasticien, même pas célébré dans le Musée Tinguely de Bâle, le Torpedo Institut a été vidé de sa substance vive, puis oublié. Jusqu’à ce formidable livre, qui lui redonne un peu de vie par la procuration d’une analyse fouillée et de documents largement inédits. En posant également la question de la postérité de l’œuvre d’un grand artiste, ces moments de tension où agissent les forces mauvaises de l’argent, de l’ego et des bonnes intentions.

«Torpedo Institut». D’Olivier Suter. Ed. Patrick Frey. 

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