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La Suisse doit-elle vendre Swisscom?

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Jeudi, 21 Janvier, 2016 - 05:51

Anouch Seydtaghia
Illustrations Matthias Rihs

Analyse. Le débat sur la vente de la participation majoritaire de la Confédération  dans l’opérateur ressurgit. Voici les six arguments principaux qui le nourrissent.

C’était il y a deux ans, presque jour pour jour. Le 23 janvier 2014, la Confédération réduisait pour la dernière fois sa participation dans le capital de Swisscom. Lors de cette ultime vente d’actions, elle voyait passer sa part de 56,77% à 51,22% au sein de l’opérateur télécom. Les années précédentes, elle avait graduellement cédé ses titres, à coups de bénéfices se chiffrant en millions, voire plus encore: la dernière vente lui a rapporté 1,247 milliard de francs. Depuis deux ans, plus rien. Et s’il était temps pour Berne d’effectuer une nouvelle opération de ce type pour lâcher le contrôle de Swisscom?

C’est ce que proposait récemment, de manière directe, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport annuel consacré à la Suisse. En une dizaine de lignes, l’institution internationale dressait un portrait peu reluisant du marché helvétique. «La Suisse se classe de manière médiocre – 23e sur 28 – dans la catégorie du contrôle de l’Etat. Et le secteur de la téléphonie mobile est l’un des plus concentrés des 24 pays de l’OCDE qui ont été étudiés», écrit l’organisation, citant une étude réalisée par un tiers. Pire encore, notait l’OCDE, «le contrôle public de Swisscom soulève des questions de gouvernance et de conflit d’intérêts potentiel (…). Il faut faire davantage pour accroître la concurrence dans un domaine aussi crucial que les télécoms (…) et aller de l’avant dans la privatisation de Swisscom.»

«Aller de l’avant»? L’OCDE va un peu vite, puisque plus personne, ou presque, en Suisse, n’ose aujourd’hui parler de privatisation. Certes, tout début janvier, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) affirmait, via sa directrice Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, qu’il était nécessaire de se poser la question de la mission de Swisscom. Un rapport a ainsi été commandé.

Qu’en pense l’opérateur? «Il est important pour Swisscom, entreprise active dans un environnement économique dynamique, de disposer d’une marge de manœuvre suffisante dans le cadre d’une stratégie à long terme. Un actionnaire majoritaire doit être prêt à prendre et soutenir de tels risques entrepreneuriaux. (…) Un actionnaire majoritaire engagé sur le long terme est une nécessité», affirme son service de presse. Chaque mot est pesé. Mais le message est clair: Swisscom vit très bien ainsi.

Le débat va être relancé ces prochains mois, d’autant que l’on votera prochainement sur le service public. A priori, un clivage gauche-droite est à nouveau attendu concernant l’avenir de Swiscom.



Oui
Pour en finir avec le mélange des genres

La Confédération possède tous les leviers sur Swisscom. Elle contrôle son capital. Elle a la mainmise sur ses organes de tutelle et de contrôle: la Commission de la concurrence, la Commission de la communication, l’Office fédéral de la communication. La Confédération est aussi cliente de Swisscom. Et elle touche des dividendes liés à ses actions. «L’opérateur est surprotégé. Même lorsque la Commission de la concurrence et les tribunaux reconnaissent qu’il a abusé de sa position dominante, les amendes vont dans la caisse fédérale, pas dans les comptes des opérateurs lésés», affirme le représentant d’un opérateur qui tient à rester anonyme.

Daniel Pellet, analyste chez Bordier, admet que Swisscom est une exception. «Il domine totalement ses marchés. Il contrôle à plus de 65% celui de la téléphonie mobile, alors que la moyenne pour les autres opérateurs historiques européens est de 35%. Swisscom agit de manière très intelligente en ajustant ses tarifs de manière fine, en effectuant un travail intense de lobbying à Berne et en prenant garde de ne pas étouffer ses concurrents.»


Oui
Pour mettre tous les concurrents sur pied d’égalité

Cet argument découle du précédent: donner les mêmes chances que Swisscom à Salt, UPC ou Sunrise. Dans son rapport, l’OCDE note par exemple que Swisscom peut emprunter de l’argent sur les marchés à des taux plus bas que ses concurrents, car les banques savent que l’opérateur jouit d’une sorte de garantie d’Etat. Et que faire défaut serait quasiment impossible. Il y a ainsi sans doute une concurrence biaisée au niveau du financement. Mais du point de vue du marché? «Il y a quelques années, oui, l’accès au réseau de cuivre de Swisscom était trop cher et difficile pour ses concurrents, répond Daniel Pellet. Mais les technologies évoluent et les concurrents de Swisscom ne semblent pas du tout se plaindre de la situation sur le marché de la fibre optique, que l’opérateur a finement ouvert en partie à ses concurrents.»


Oui
Pour laisser Swisscom totalement libre

«Nous devons nous demander si Swisscom est en situation d’agir avec suffisamment de rapidité dans son secteur traditionnel des télécommunications et à quel prix», relevait Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch. En réalité, il semble y avoir peu de souci à se faire pour l’opérateur. Il veut se profiler comme un acteur majeur de la numérisation dans toutes les industries, dévore le marché informatique et bouscule les câblo-opérateurs sur le marché de la télévision avec ses innovations. Swisscom a beau ne plus pouvoir prendre de participation majoritaire dans le capital d’un opérateur étranger majeur, à la suite d’expériences catastrophiques, il a suffisamment à faire en Suisse pour se passer de nouvelles aventures hors des frontières nationales.


Non
Pour garder un champion helvétique

Professeur d’informatique à l’EPFL et membre de la Commission de la communication, Jean-Pierre Hubaux, qui s’exprime à titre personnel, a un avis clair: «Du point de vue de la souveraineté du pays, garder le contrôle de son infrastructure télécom et de ses services majeurs est capital. Les citoyens, via l’Etat, doivent maîtriser cette partie si importante de l’économie et de leurs vies et ne pas la céder à des intérêts étrangers. Les décisions doivent être prises en Suisse, par des personnes ayant pour priorité les consommateurs ainsi que les citoyens suisses. Si Swisscom devait passer sous contrôle étranger, notre pays en ressortirait affaibli.»

Autre argument parallèle: si la Suisse veut tenter de rivaliser avec des géants tels que Google, Facebook ou Whats­App, elle a tout intérêt à se donner les chances de développer un champion national capable de leur tenir tête dans certains segments de marché.


Non
Pour conserver des emplois en Suisse

Aujourd’hui, Swisscom compte 18 936 employés dans le pays. Il n’est pas certain que, sous le contrôle d’un fonds d’investissement américain ou britannique, il ne soit pas tenté, sous la pression de son nouvel actionnaire majoritaire, de délocaliser une partie des activités en Europe de l’Est ou en Asie. Ou de stocker à l’étranger des données. Lorsque ses concurrents nouent des contrats avec des centres d’appel en Pologne ou au Maghreb, personne ne trouve à y redire. En mains publiques, il est quasi inconcevable que Swisscom fasse de même. Mais une fois sous contrôle étranger… Pour mémoire, les rares fois où Swisscom a tenté de sous-traiter une partie de ses services, les critiques l’ont rapidement incité à faire machine arrière.


Non
Pour assurer des dividendes à la Confédération

C’est sans doute l’argument le plus terre à terre et le plus concret. Avec ses 26 394 000 actions, la Confédération s’assure, chaque année, un dividende de 581 millions de francs. Le dividende versé par l’opérateur progresse régulièrement, année après année. Il s’établit actuellement à 22 francs par action. Mais en parallèle, la Confédération prend aussi un risque lié à la fluctuation du cours de l’action. Le titre vaut aujourd’hui environ 480 francs. Il en valait près de 570 l’été passé. Pour l’heure, les analystes estiment que l’action de Swisscom devrait demeurer stable à moyen terme. Mais à long terme, il n’est pas certain que le titre demeure proche des 500 francs.

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Matthias Rihs
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