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Gothard: quatre bonnes raisons de dire non

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Jeudi, 28 Janvier, 2016 - 05:51

Eclairage. Faut-il creuser un deuxième tube routier pour assainir l’actuel tunnel sans fermer cet axe transalpin durant trois ans? La bataille fait rage. Il apparaît que ce projet est une tactique du lobby routier pour créer un fait accompli et enterrer l’initiative des Alpes dans vingt ans.

Le Gothard, ce mythe alpestre symbole de liberté et d’indépendance, se retrouve au cœur d’une votation déchaînant forcément les passions. Le peuple doit se prononcer le 28 février prochain sur le projet d’un deuxième tube routier pour 2,8 milliards de francs. La ministre des Transports, Doris Leuthard, milite ardemment en sa faveur, elle qui veut faire d’une pierre trois coups: assainir un tunnel vieillot, améliorer sa sécurité et maintenir la paix du ménage fédéral en ne coupant pas le Tessin du reste du pays pendant les travaux. Pourtant, de nombreuses questions restent ouvertes, dont une qui est cruciale: faut-il vraiment dépenser une telle somme alors que l’on s’apprête à ouvrir la deuxième transversale ferroviaire au même endroit? A y regarder de plus près, il y a beaucoup de bonnes raisons de s’opposer au projet.

1. La construction d’un deuxième tube va àl’encontre de la politique de transfert des marchandises de la route au rail.

Aujourd’hui bidirectionnel, le tunnel routier du Gothard, reliant Göschenen (UR) à Airolo (TI) sur 17 kilomètres, ne répond plus aux normes actuelles de sécurité, de la ventilation à l’éclairage en passant par le revêtement. Il faut donc l’assainir, ce que personne ne conteste. Reste à savoir quand et comment.

En favorisant la construction d’un deuxième tube au Gothard, on évite ainsi sa fermeture durant trois à quatre ans, le temps d’assainir le tunnel existant. «C’est la meilleure solution, la plus durable aussi», souligne Doris Leuthard. Elle apporte un gain élevé de sécurité: on ne circulera plus que dans une direction dans chacun des deux tubes. Or, le Gothard a fait 36 victimes depuis son ouverture en 1980.

Le problème, c’est qu’en optant pour la variante à deux galeries la Suisse fait preuve d’incohérence dans une politique des transports jusqu’ici citée en exemple dans l’Europe entière. Lorsque le peuple vote en faveur de la construction de deux nouvelles transversales ferroviaires au Lötschberg et au Gothard en 1998, il concrétise la vision d’un transfert des marchandises de la route au rail. Deux décennies plus tard, ces chantiers pharaoniques d’un coût de 24 milliards de francs sont sur le point d’être achevés. Le 1er juin prochain, la même Doris Leuthard inaugurera le tunnel ferroviaire le plus long du monde avec ses 57 kilomètres.

Faut-il vraiment donner le signal contraire d’un agrandissement des capacités sur la route trois mois avant cet événement historique? Les associations écologiques crient au gaspillage. Même la Neue Zürcher Zeitung, qui n’a pas l’habitude d’être dans le camp des Verts, se montre sceptique. «Ce projet est cher et inefficace», déplore-t-elle, en proposant deux autres options: la solution du ferroutage (en chargeant les véhicules sur le train) ou celle que la raison impose: attendre les premiers résultats qu’apporte le tunnel ferroviaire, puis agir en conséquence. C’est d’autant plus logique que la réfection du tunnel n’est plus aussi urgente qu’on le pensait. Alors qu’on parlait d’un assainissement pour 2025, les spécialistes estiment aujourd’hui qu’on pourrait encore y circuler jusqu’en 2035 en procédant aux travaux de maintenance habituels.

Durant tous les débats, les partisans du deuxième tube se gaussent de la solution d’«autoroute ferroviaire» avec transfert des véhicules sur le rail suggérée par les écologistes. «Du grand bricolage», ironisent-ils, alléguant que cette variante a trop d’inconvénients: elle ne serait pas en mesure d’absorber tout le trafic, soit 5 millions de voitures et 900 000 camions par an. En fait, il s’avère que le Département des transports (DETEC) a changé d’avis sur cette question, comme par hasard peu après que le socialiste Moritz Leuenberger eut cédé sa place à la PDC Doris Leuthard.

En 2010 encore, un rapport conclut qu’«une autoroute ferroviaire courte est techniquement réalisable, efficace et attractive, bien qu’onéreuse». Plusieurs ingénieurs estiment aujourd’hui que le DETEC n’a pas sérieusement planché sur des solutions de remplacement au deuxième tube, comme le Vaudois Rodolphe Weibel, qui a proposé de transformer le vieux tunnel ferroviaire historique du Gothard en tunnel routier.

2. Lorsque ce deuxième tunnel sera construit, le Conseil fédéral ne pourra pas résister à la pression intérieure du lobby de la route et à celle extérieure de l’Union européenne.

C’est un fait incontestable: ce projet double la capacité de cette transversale alpine. Mais Doris Leuthard assure qu’il est exclu d’ouvrir les quatre pistes, conformément à l’article 84 de la Constitution découlant de l’initiative des Alpes. En 1994, à la surprise générale, le peuple avait accepté celle-ci, qui exige de transporter toutes les marchandises par le rail. Lors de sa mise en œuvre, le Conseil fédéral a fixé un objectif annuel plus réaliste de 650 000 camions. On en est encore loin: aujourd’hui, même si ce chiffre est en baisse, un million de poids lourds transitent encore par le Gothard.

C’est dire que les détracteurs du projet ne croient plus aux promesses du Conseil fédéral. Pour eux, ce projet n’est qu’une manière de contourner la Constitution. Lorsque le deuxième tube sera construit, le lobby routier et l’UE exerceront une forte pression pour qu’on utilise les quatre pistes, d’autant plus que l’ancien commissaire européen aux transports Siim Kallas s’était déjà félicité de «cette réserve de capacité». «Si la capacité est là, on finira par l’utiliser», déclare Jon Pult, le président de l’association Initiative des Alpes. D’où «l’enfer de transit» qui menace, posant la question du respect des engagements que la Suisse a pris lors de la toute récente conférence sur le climat de Paris.

Pour rassurer les sceptiques, Doris Leuthard brandit une lettre de la commissaire européenne aux transports, Violeta Bulc. Celle-ci lui affirme que les restrictions de capacité prévues par la Suisse sont conformes à l’accord bilatéral sur les transports terrestres, en particulier à son article 32 qui stipule le principe de la non-introduction de restriction quantitative unilatérale. Mais une telle lettre risque de ne pas peser lourd en cas de conflit devant un tribunal. Maître assistant à l’Institut de droit européen de l’Université de Fribourg, Markus Kern doute que les assurances reçues soient suffisantes. «Le fait de bloquer deux voies constitue l’équivalent d’une restriction quantitative.

Il y a donc violation de l’article 32», estime ce juriste, d’ailleurs auditionné par la commission des transports du Conseil des Etats. «Pour éviter tout risque de conflit, il aurait fallu que la Suisse obtienne de l’UE une modification de l’accord, par exemple par le biais d’un protocole additionnel.»

Autre problème juridique: n’aurait-il pas fallu modifier la Constitution, plutôt que de se contenter d’une loi, pour creuser le deuxième tunnel? L’ancien ministre des Transports Moritz Leuenberger pense que oui. Auditionné par la commission des transports du Conseil des Etats en janvier 2014, l’Office fédéral de la justice a prétendu que le procédé était «juridiquement défendable, tout en étant problématique politiquement». Car on crée un fait accompli qui biaiserait une éventuelle votation dans trente ans sur l’utilisation des quatre voies.

3. Les 2,8 milliards du projet manqueront aux besoins plus urgents du réseau de la plaine, notamment en Suisse romande.

«Le Gothard est un projet d’assainissement qu’il faudra de toute manière entreprendre. Il n’empêche aucun des projets intégrés dans le futur fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA).» C’est ce que promet Doris Leuthard. En fait, surtout dans l’actuelle période d’austérité budgétaire où la Confédération devra économiser 1 milliard par an, nombreux sont les cantons romands qui craignent le pire, comme l’a montré la procédure de consultation effectuée en 2013. Genève a émis un avis «défavorable», «car la variante d’un second tube ne présente pas un rapport coût-utilité suffisant». Vaud a été tout aussi sceptique, utilisant presque les mêmes termes. Quant au Grand Conseil neuchâtelois, il a même voté non.

Depuis, trois ans ont passé et la situation a évolué. «Il y a de bonnes chances pour que l’on puisse réaliser tous les projets du nouveau schéma directeur autoroutier suisse», se félicite Patrick Eperon, coordinateur de la campagne romande du oui. En fait, rien n’est encore sûr concernant le financement de ce fonds. Le Conseil des Etats examine ces temps-ci une solution de compromis. D’une part, le fonds intégrerait tous les projets liés aux 400 kilomètres de routes cantonales repris par la Confédération, précisément ceux qui avaient été recalés en raison du rejet de la hausse de la vignette à 100 francs en 2013.

Ce qui rassure de nombreux cantons comme Neuchâtel, le Jura et le Valais. D’autre part, on alimenterait ce fonds à raison d’environ 3,2 milliards de francs par an provenant de différentes sources, dont nouvellement 10% de la taxe de base sur les carburants et une contribution de 60 millions des cantons. Cela permettrait de limiter la hausse du prix de l’essence à 4 centimes pour les automobilistes, au lieu des 6 centimes prévus initialement.

Officiellement, le Gothard et les autres projets autoroutiers ne sont pas en concurrence. Mais, comme le dit en aparté un conseiller d’Etat romand, «chaque franc dépensé pour le Gothard va manquer ailleurs», et notamment pour les projets d’agglomération dont la réalisation sera à tout le moins retardée. Or, ce sont les grandes villes comme Genève, Lausanne ou Zurich qui enregistrent des bouchons au quotidien avec plus de 100 000 véhicules par jour sur leurs périphériques, et non le Gothard, où ne transitent que 18 000 véhicules par jour.

4. Contrairement à ce que l’on prétend, le Tessin n’est pas unanime sur ce projet.

Au Tessin, la campagne de votation est féroce. Les partisans du Gothard ont rallié de nombreuses personnalités à leur cause. Du monde politique bien sûr, comme Norman Gobbi (Lega) ou Filippo Lombardi (PDC), mais aussi du sport, comme l’ex-footballeur Claudio Sulser et la présidente du HC Lugano, Vicky Mantegazza, voire de la culture comme Marco Solari, président du Festival du film de Locarno. Sans parler de l’économie: «Pour nous, Tessinois, le Gothard n’est pas un tunnel de vacances. Environ 75% des véhicules relèvent du trafic intérieur. Plus de 600 emplois disparaîtraient en cas de fermeture du tunnel», souligne Glauco Martinetti, président de la Chambre tessinoise du commerce.

Publié le 22 janvier dernier, un sondage de l’institut gfs.bern donne une large majorité en faveur du doublement du Gothard (76% d’avis favorables ou plutôt favorables). Pourtant, le canton est beaucoup plus divisé qu’on ne le croit. C’est ainsi que les maires de trois localités importantes s’engagent pour le non: Mario Branda (PS, Bellinzone), Moreno Colombo (PLR, Chiasso) et Carlo Croci (PDC, Mendrisio). «Nous ne voulons pas de cadeau empoisonné. Ce Gothard à deux tubes nuira à l’environnement et à notre santé en provoquant des embouteillages sans fin, en Léventine comme dans le Sottoceneri.» En 1994 et en 2004, les Tessinois ont approuvé l’initiative des Alpes avant de rejeter le projet Avanti prévoyant un doublement du Gothard. 

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