Yves Hulmann et Emmanuel Garessus
Suisse alémanique. Alors que Zurich reprend confiance, Schwytz et Lucerne se résignent à procéder à des hausses d’impôts. Bâle-Ville prend l’avantage sur son rival de la campagne.
En quelques mois, ce sont deux tabous qui sont tombés à Zoug. La chute du premier incombe à Peter Hegglin, le directeur des Finances, qui a déclaré fin septembre qu’«une hausse d’impôts est possible. On ne doit pas considérer la fiscalité de manière idéologique», a dit celui qui est aussi président de la Conférence des directeurs cantonaux des finances (CDF). Une révolution dans un canton habitué aux baisses de la charge fiscale depuis plusieurs décennies. La chute du second, plus anecdotique, implique que le canton ne versera plus d’intérêt aux contribuables qui paient leur dû en avance.
Longtemps envié par ses voisins zurichois et lucernois, le petit canton prévoit pour 2016 un déficit de plus de 26 millions de francs. Celui-ci aurait même été deux fois plus élevé si le gouvernement n’avait pas puisé dans ses réserves à hauteur de 150 millions. A ce rythme, elles seront épuisées en 2018.
La situation de Zoug n’est pas isolée en Suisse centrale. Confronté à un déficit de 7 millions attendu pour cette année, Obwald a annoncé un plan d’économies allié à une hausse de ses impôts. En 2006, le demi-canton avait défrayé la chronique en allant jusqu’à proposer des taux dégressifs pour les revenus les plus élevés. La situation est aussi tendue à Nidwald, qui prévoit un budget légèrement déficitaire pour 2016 et qui a mis sur pied un plan d’économies de 6 millions l’automne dernier. Auparavant, le demi-canton avait baissé trois fois ses impôts entre 2007 et 2011.
Schwytz, qui a longtemps profité de l’afflux de contribuables aisés travaillant dans la région zurichoise, prévoit aussi un déficit de près de 54 millions pour 2016. Juste avant Noël, le Parlement cantonal a donné le feu vert à une hausse de son taux d’imposition, la deuxième en un an.
Economies à Lucerne
Au début de la décennie, Lucerne a joué la carte des baisses d’impôts pour rivaliser avec les régions voisines. En octobre, son directeur des Finances, Marcel Schwerzmann, a pu présenter pour 2016 un budget au déficit très limité. Mais les trois années suivantes, les Lucernois devront se serrer la ceinture: 330 millions d’économies sont prévus de 2017 à 2019, soit 110 millions par année.
Cette situation tendue a ravivé le débat sur la péréquation financière. L’été dernier, plusieurs parlementaires de Suisse centrale sont montés au créneau, s’estimant trop pénalisés par la réforme annoncée. La contribution de Nidwald passera, par exemple, de 21 à plus de 30 millions en 2016. Une hausse de 50%, qualifiée de «scandale» par Peter Keller, conseiller national UDC.
Cité par la Neue Luzerner Zeitung, ce parlementaire estimait que les cantons économes comme Schwytz et Nidwald sont pénalisés par les cantons bénéficiaires, tels que Berne, qui «abusent du système de solidarité». Le gouvernement zougois a promis aussi de réagir. Toutefois, le référendum lancé l’été dernier contre la réforme de la péréquation financière a échoué en octobre. Il n’a recueilli que 7500 signatures, dont 5000 de Schwytz et 1000 de Zoug. Loin des 50 000 requises pour aboutir au plan fédéral.
Les cantons de Suisse centrale restent néanmoins décidés à préserver leur attrait fiscal. Schwytz passera à l’impôt à taux unique dès 2017. Malgré les hausses d’impôts annoncées par plusieurs cantons de Suisse centrale, leur compétitivité sur ce plan n’est pas remise en question. Selon le dernier BAK Taxation Index (indicateur de la charge fiscale de l’institut de recherches conjoncturelles BAK à Bâle), Zoug, Obwald et Schwytz continuent de figurer parmi les sites les plus attrayants pour les personnes hautement qualifiées à travers le monde, juste après Singapour et Hong Kong. Lucerne arrive en huitième place, Zurich en onzième position.
Zurich compte sur UBS
Zurich devrait bénéficier d’un coup de pouce bienvenu de la part d’UBS cette année après avoir négocié année après année un budget tout juste à l’équilibre. La grande banque devrait verser de nouveau des impôts – et même un «montant en millions à trois chiffres», assurait à la mi-novembre le Tages-Anzeiger, qui déclarait s’appuyer sur des informations «de source sûre». Les directeurs des Finances du canton et de la ville n’ont ni démenti ni confirmé la nouvelle.
Si cette dernière n’a pas encore été confirmée jusqu’ici par la banque ou les autorités, plusieurs raisons rendent ce scénario probable. D’une part, la création en 2014 d’une nouvelle unité d’UBS spécifique à la Suisse fait que celle-ci ne pourra pas déduire de sa facture fiscale les pertes essuyées au niveau du groupe durant la crise financière de 2007-2009. D’autre part, de telles pertes ne peuvent de toute façon pas être reportées au-delà d’une période de sept ans.
Plus généralement, 2016 sera une année faste pour Zurich. Les recettes des impôts sur les bénéfices des entreprises devraient avoisiner le milliard de francs, près de 200 millions de plus qu’en 2015 et presque autant qu’en 2007! Le canton prévoit un excédent de 10 millions de francs. Même la ville aborde la nouvelle année avec un budget dans les chiffres noirs, pour la première fois depuis sept ans.
Mais cette hausse des recettes cantonales ne devrait être qu’un répit. En l’absence de mesures d’économies supplémentaires, les déficits cumulés entre 2017 et 2019 pourraient avoisiner les 800 millions, selon les estimations publiées en octobre par la Conférence des directeurs cantonaux des finances.
Les surprises des deux Bâles
L’image remonte aux années 1990. D’un côté, Bâle-Campagne, un demi-canton bourgeois, terre de résidence des cadres de la pharma et de la finance, aux comptes financiers excédentaires. De l’autre Bâle-Ville, un demi-canton à gauche, déficitaire et où résident de nombreuses personnes ayant besoin de transferts financiers pour joindre les deux bouts.
Tout a changé au tournant du siècle. Bâle-Ville resplendit de santé, profitant des recettes fiscales obtenues de multinationales comme Roche, Novartis et Syngenta. Et pendant ce temps, l’autre demi-canton, qui dépend avant tout des revenus des ménages, s’enfonce dans le rouge. «Le boom de la pharma a ruiné Bâle-Campagne», titrait récemment la Basler Zeitung.
La ville détient le record de Suisse des recettes fiscales provenant des personnes juridiques (entre 25 et 37% selon les années). Elle a pu procéder à sept baisses d’impôts en vingt ans s’élevant au total à 420 millions de francs. «Sans la pharma, la stratégie de Bâle-Campagne aurait réussi, celle qui consistait à devenir l’oasis fiscale des familles de classe moyenne travaillant en ville», expliquait, dans le quotidien, Kurt Schmidheiny, professeur d’économie à l’Université de Bâle. A l’inverse, l’objectif de Bâle-Campagne n’a pas été atteint. De nombreuses catégories de ménages paient davantage d’impôts que s’ils résidaient à la ville. C’est particulièrement vrai pour les hauts revenus.
Bâle-Ville n’est pourtant pas sans souci. Les rumeurs de rachat de Straumann et de Syngenta, de grandes sociétés domiciliées sur les rives du Rhin, et la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III) risquent de laisser des traces. En outre, le gouvernement de Bâle-Campagne a instauré un frein à l’endettement, qui doit remplacer l’actuel frein au déficit à partir de janvier 2017. L’objectif consiste à obtenir un équilibre des finances sur une période de huit ans, les quatre passés et les quatre à venir. Les déficits des années 2013 à 2016 doivent ainsi être compensés lors de la période allant de 2017 à 2020.
Les paradis fiscaux alémaniques ne sont décidément plus ce qu’ils étaient.